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SUISSE.

Le modèle de la véritable économie agricole se trouve en Suisse. Là rien n'est perdu; partout l'homme rend productives les situations les plus stériles; partout il lutte contre le désavantage de sa position, et presque toujours avec succès.

En Suisse, aussi, se trouve en quelque sorte le centre de l'éducation agricole pour l'Europe. Les instituts d'agriculture théorique et pratique fondés à Hofwil, par M. de Fellemberg, sont devenus le germe fécond des améliorations nombreuses que l'agriculture a reçues en Europe depuis vingt-cinq

ans.

Outre ces instituts, il en existe d'analogues dans les cantons de Zurich, de Bàle, de Soleure; un à Braschof, et celui du canton de Glaris, à LinthBoden, établi sur un sol provenant du desséchement des marais de Linth, instituts destinés uniquement à l'éducation des pauvres paysans. Des sociétés économiques, dans presque tous les cantons, encouragent l'instruction, et les améliorations en agriculture. Elles ont contribué puissamment à augmenter les ressources alimentaires qui, en effet, ont marché longtemps dans une progression croissante, comme la population, mais qui aujourd'hui deviennent insuffisantes.

Genève est une des villes de l'Europe où l'on s'occupe le plus de théories agricoles et des arts qui s'y rattachent. Le célèbre M. Decandolle a élevé la science de la botanique à son plus haut période. M. Charles Pictet a publié un excellent ouvrage sur les méthodes d'assolement.

Au printemps de 1820, il a été formé, dans le domaine de Carra, commune de Ressinges, une école rurale à l'imitation de celle d'Hofwil. Le gouvernement cantonnal, quatre ans avant cette fondation, s'entendit avec M. de Fellemberg qui lui donna les plus précieux secours.

Plusieurs personnes, animées de l'amour du bien public, se sont réunies à Genève, dans l'objet de travailler à un code rural et à une instruction complète et motivée, sur les différentes clauses, conditions et réserves qui doivent entrer dans les actes

(1) Les Turcs sont, dans le fond, plus portés au repos qu'à l'oisiveté; mais le climat établit entre eux, à cet égard, une sensible différence. Les Turcs asiatiques aiment par-dessus tout la tranquillité d'esprit et de corps. Ceux de l'Albanie et de l'Illyrie professent une vie active et laborieuse. Ceux de Constantinople languissent en général dans une molle oisiveté. Les fatigues et les travaux sont pour les esclaves et pour les individus réduits à une extrême pauvreté, tels que les paysans grecs et arméniens.

(2) Toutes les propriétés sont censées appartenir au grandseigneur. Suivant les circonstances, il en fait le partage entre les soldats, pour les récompenser de leurs services, et ceux qui les obtiennent sont obligés, à proportion du revenu, d'entretenir ÉCONOMIE POLITIQUE.

par lesquels un propriétaire confie à un cultivateur l'exploitation de ses terres.

turquie d'Europe.

Les institutions politiques, d'accord en quelque sorte avec la religion mahométane, sont un obstacle permanent au développement de l'agriculture dans la Turquie. L'influence du climat éloigne l'homme du travail (1), et les dogmes religieux qui attribuent toutes choses à la fatalité ne stimulent point la persévérance, le courage et la prudence. Le despotisme du gouvernement laisse peu de garantie à la propriété. Le travail et l'industrie sont donc abandonnés en général aux individus les plus pauvres, et aux étrangers.

Les propriétés territoriales, en Turquie, sont divisées en trois classes (2).

1o Les terres inféodées aux mosquées, ou à des couvents de derviches, moyennant une redevance envers le grand-seigneur : celles-ci sont en quelque sorte sous le régime de main-morte et administrées avec beaucoup de négligence. Les produits fournissent à d'abondantes aumônes.

2o Les terres inféodées à des aga ou beys non héréditaires, et pouvant leur être enlevées par le grand-seigneur. Elles sont cultivées par des paysans serfs dont la condition est à peu près la même que celle des paysans russes.

3o Enfin, les terres libres appartenant à de petits propriétaires cultivateurs.

La base de l'agriculture est l'entretien de nombreux troupeaux pour lesquels le droit de parcours est maintenu, comme on le voit encore en Espagne. Les diverses cultures des pays méridionaux sont l'objet des travaux agricoles, mais s'exécutent sans intelligence, sans lumières et sans but de perfectionnement. Il n'existe en Turquie aucune institution destinée à améliorer les théories et la pratique de l'agriculture.

Les paysans turcs vivent en général avec sobriété et économie. Ils confectionnent eux-mêmes leurs vêtements. Les serfs sont entretenus par leurs seigneurs. Mais les rayas ou chrétiens prolétaires

des hommes et des chevaux pour le service de la guerre. Les terres destinées à un usage religieux sont seules soustraites à l'autorité du sultan. Un grand de l'empire, en mourant, fût-il déclaré criminel de lèse-majesté, peut donner valablement tous ses biens à une mosquée. Habituellement, le prince se contente de prendre 3 p. o/o sur les successions des gens du peuple. Mais il fait saisir les successions des grands de l'empire ou des Turcs riches, lorsqu'ils meurent sans enfants mâles. Le grand-seigneur a la propriété, et les filles l'usufruit. Ainsi, la plupart des biens ne sont possédés que d'une manière précaire. Quant à l'administration de la justice, on sait combien elle est arbitraire, barbare et vénale.

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sont excessivement misérables. Sans la fertilité du sol, les besoins peu nombreux des classes inférieures, et les préceptes de charité qui sont passés des codes de Moïse et de l'Évangile dans le Coran, leur sort serait digne de la plus profonde pitié.

Les impôts fonciers sont très-modérés ; les terres des paysans libres n'en supportent que de très légers, et les frais de perception n'en absorbent qu'une minime partie. Il existe dans les villes et les villages une administration municipale indépendante du pouvoir et élue par le peuple, à laquelle est confiée la répartition des charges publiques. Cette institution tempère, en quelques points, les vices de l'administration supérieure, mais ne peut obvier aux énormes abus résultant du despotisme du gouvernement et d'une religion basée sur le fatalisme, le culte des sens et d'innombrables pratiques (1). Il n'est donc pas étonnant qu'en Turquie quelques castes se soient arrogé le privilége des richesses et du luxe le plus efféminé, et qu'un grand nombre d'individus croupissent dans la servitude, l'abjection et la misère.

(1) L'établissement de l'islamisme (résignation à la volonté de Dieu) en Turquie, ne semble avoir été et ne pouvoir être qu'une transition pour amener les peuples de cette partie de l'Europe aux dogmes du christianisme. Quelques historiens ont attribué à Mahomet la pensée d'avoir voulu seulement réformer d'abord la religion absurde et barbare de sa patrie. Il est plus vraisemblable que, parvenu à un haut degré de considération et de fortune, il conçut l'ambition d'asservir l'Arabie et de fonder un empire. Pour parvenir plus sûrement à son but, il résolut de créer une religion nouvelle.

Ses relations commerciales avec la Syrie, la Palestine et T'Égypte, lui avaient fourni l'occasion de s'instruire de la religion chrétienne déjà répandue depuis six cents ans, et de la loi de Moïse observée par un grand nombre d'Arabes. A cette époque, la plupart des tribus diverses de ce peuple étaient plongées dans Pidolâtrie la plus grossière. Les chrétiens orientaux étaient divisés en une infinité de sectes qui se persécutaient avec fureur. La cour de Constantinople s'occupait de querelles théologiques, tandis que son empire, ébranlé par de sanglantes révolutions, était livré sans défense aux attaques des Persans. La Perse ellemême se trouvait également épuisée par de longues guerres civiles et par les conquêtes de son souverain. Tout concourait donc à favoriser les desseins de Mahomet; et ce fut dans ces circonstances qu'il crut pouvoir se donner comme inspiré de Dieu, pour prophète, pour apôtre, afin d'établir une religion nouvelle dans laquelle, ayant égard aux mœurs, au climat et aux diverses croyances, il réunit à la fois les païens, les juifs et les plus relâchés des chrétiens. Aux uns il offrait, avec un culte plus raisonnable, l'attrait des voluptés sensuelles; aux autres, une partie des dogmes de l'ancienne loi; et enfin aux derniers, quelques-unes des vérités saintes de la religion chrétienne. L'Alcoran (lecture par excellence) reconnaît la déchéance du premier homme, la tradition des principaux patriarches, Noë, Abraham, Joseph, Moïse; la prédication de saint Jean, etc. Il présente J.-C. comme conçu sans corruption dans le sein d'une vierge, créé du souffle de Dieu, animé de son esprit, et envoyé pour établir l'Évangile, jusqu'à ce que Mahomet l'ait confirmé. L'Alcoran appelle J.-C. le verbe, la vertu, l'âme et la force de Dieu. Il nie cependant sa génération éternelle et sa divinité, mêlant les fables les plus extravagantes aux plus sublimes pré

Le mouvement général des esprits, en Europe, ne permet pas de penser qu'une situation aussi disparate avec la civilisation chrétienne puisse longtemps se maintenir. Le souverain actuel de la Turquie a paru lui-même le pressentir. Déjà, il a étouffé la puissance monstrueuse des janissaires. Beaucoup de lois barbares, beaucoup de coutumes absurdes sont à peu près abandonnées. La Turquie actuelle ne ressemble plus à ce qu'elle était il y a cinquante ans. Les mœurs européennes commencent à s'y introduire. La condition des esclaves s'est surtout beaucoup améliorée, et la plupart des Turcs traitent les leurs avec douceur et humanité. Mais il ne sera permis d'espérer aucun progrès rapide tant que la religion de Mahomet régnera sur cette contrée magnifique. Que d'immenses sources de prospérité ne verrait-on pas s'ouvrir en Europe, si jamais la croix apparue à Constantin brillait de nouveau sur la coupole de Sainte-Sophie, et si la justice etune politique véritablement chrétienne présidaient à la nouvelle ère qui semble se préparer pour l'empire turc (2)!

ceptes. La morale de l'Alcoran est renfermée dans ses paroles : Recherchez qui vous chasse, donnez à qui vous ôte, pardonnez à qui vous offense, faites du bien à tous, ne contestez point avec les ignorants. »

Mahomet admet un purgatoire et un enfer, mais dont les peines sont temporaires. Il propose pour récompense une vie éternelle où l'âme sera enivrée de tous les plaisirs spirituels, et où le corps, ressuscité avec les sens, goûtera, pour les sens mêmes, toutes les voluptés qui lui sont propres. Le principe de la prédestination et de la fatalité domine tous les autres.

Du reste, cette religion devait être établie sans miracle, sans dispute, sans contradiction, c'est-à-dire par l'autorité et la force. Le paradis est assuré aux croyans qui auront donné la mort aux incrédules. Aussi, l'histoire fournit-elle la preuve que le mahométisme, fondé par un législateur voluptueux et absolu, s'est établi bien moins par la séduction, que par la violence et la force des armes. Il y aurait des rapprochements frappants à faire, à cet égard, entre Mahomet et Henri VIII.

Il est hors de doute que les progrès des lumières et de la civilisation morale amèneront tôt ou tard un grande réforme dans les croyances de ces peuples, et l'on peut entrevoir déjà l'époque où le mahométisme aura accompli sa destinée providentielle.

(a) Nous croyons qu'on lira avec intérêt l'opinion d'un publiciste anglais sur la situation présente et l'avenir de l'empire ottoman; nous l'empruntons à la Revue de Westminster.

« Si toutes les chances de ruine menacent à la fois la Porte ottomane, si la condescendance des souverains de l'Europe lui permet seule de subsister encore, le philosophe ne voit pas, dans cette chute inévitable d'un empire régi par des lois et des institutions monstrueuses, un sujet de plaintes et de regrets. Devant la civilisation et son progrès, il fallait que tout cet édifice croulât un jour. En supposant même que l'ambition de la Russie soit plus tard couronnée de succès et que la croix grecque de Pétersbourg doive s'élever sur les minarets de Constantinople, il est impossible ou du moins improbable que le même monarque règne longtemps sur la Néva et sur le Bosphore. On verrait donc ce vaste corps de la Russie se disjoindre ou se démembrer; le trône des califes tomber sous la loi de quelques nouveaux princes chrétiens, et des institutions européennes s'établir aux lieux où le croissant brilla pendant six siècles. Que dans ce mouve

CHAPITRE III.

DE L'ÉTAT DE l'agriculture En France.

« La France, dit M. le comte Chaptal (1), a l'avantage inappréciable d'être à la fois agricole et manufacturière; à l'exception du coton, les productions de son sol fournissent à son industrie, la presque totalité des matières premières qui lui sont nécessaires. Le sort de l'agriculture et celui des fabriques se trouvent donc naturellement unis, et leur prospérité paraît inséparable.

« La France est du petit nombre de ces nations privilégiées qui peuvent, pour ainsi dire, se suffire à elles-mêmes. L'agriculture lui fournit abondamment ce qui est nécessaire à la subsistance de ses nombreux habitants, et ses manufactures versent dans la consommation tout ce que le luxe du riche et les besoins du pauvre peuvent consommer.

«La nature a donc tout préparé pour la prospérité de la France: mais des institutions dont l'origine remonte aux premiers temps de la monarchie et que la puissance des rois et le progrès des lumières n'avaient pu que modifier, ont contrarié sans cesse le développement de ces heureuses dispositions. »

D

Ce jugement d'un homme d'état justement estimé, réunit et concilie les principes qui, à diverses époques, avaient dirigé Sully et Colbert sur les moyens de multiplier sur le sol de la France les sources fécondes de la production. En effet, l'agriculture et l'industrie qui s'exerce sur les produits nationaux, tels sont les éléments d'une prospérité progressive et assurée pour notre belle patrie, telles

ment convulsif, plusieurs provinces, auxquelles la Turquie imposait la loi, retrouvent leur indépendance, et que cet immense changement influe sur les destinées de l'Europe, c'est ce dont on ne peut douter. Qui sait si la vieille Byzance n'est pas destinée à devenir un nouveau centre de civilisation; si l'Orient, longtemps assoupi dans la solennelle majesté de l'islamisme, ne renaîtra pas à une vie nouvelle; si les rives du Nil ne s'enorgueilliront pas une seconde fois de leurs mille cités; si les côtes de la Barbarie ne retrouveront pas les trois cents colléges dont elles étaient fières; si l'on ne verra pas renaître de leurs cendres les bibliothèques de Pergame et d'Alexandrie; si une nouvelle ère de gloire n'est pas réservée à la Phénicie, à Tyr, à Sidon; si enfin les contrées qui ont vu l'aurore de la civilisation dorer les

Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France.

(Économiques de Sully.)

sont les bases d'une économie politique véritablement nationale.

Malgré la direction imprimée plus spécialement aux manufactures, par Colbert, l'agriculture a été en général regardée exclusivement en France comme la mère nourricière du royaume. On devrait, par conséquent, s'étonner qu'elle n'ait pas fait des progrès plus rapides, si l'on ne réfléchissait à toutes les entraves puissantes et nombreuses dont tous les perfectionnements ont eu successivement à s'affranchir.

Au nombre de ces obstacles se placent naturellement la concentration des propriétés entre les mains de la noblesse et des établissements de mainmorte, les lois relatives aux substitutions, le prélèvement des droits féodaux, des dîmes, en un mot les charges qui pesaient sur les petites propriétés. On peut y joindre aussi les guerres fréquentes, l'état imparfait des routes et des communications intérieures, les douanes existant de province à province, les priviléges locaux, et par-dessus tout l'absence d'instruction et de lumières dans la classe des agriculteurs.

Nos véritables maîtres en agriculture furent les utiles et pieux cénobites qui, dépositaires, par tradition, de l'économie agricole des Romains, opérérent les premiers en France ces grands défrichements, source de la richesse de la plupart des ordres religieux.

Charlemagne et St-Louis avaient cherché à amé

toits de leurs villes naissantes, ne verront pas des cités plus belles, des communautés plus industrielles et plus libres, se développer sous les rayons puissants d'une civilisation parvenue à son zenith! » (Westminster Review) Nous nous réunissons de grand cœur à ces vœux et à ces espérances; mais à des conditions d'humanité et de justice seulement, car nous regarderions comme un immense malheur que la chute de l'empire turc ne servit qu'à satisfaire des vues ambitieuses, à s'arroger la domination de la Méditerranée et à plonger l'Europe dans de nouveaux conflits de suprématie maritime et commerciale.

(1) De l'Industrie française.

liorer l'agriculture par de sages réglements. Depuis cette dernière époque jusqu'au règne de Henri IV, l'agriculture paraît n'avoir été qu'une sorte de routine, transmise d'âge en âge, que modifiait seulement la diversité des terrains et des climats, et que des circonstances particulières avaient perfectionnée dans quelques contrées de la France plus heureusement situées. De temps à autre, le royaume s'enrichissait de quelque nouveau genre de culture introduit par l'effet de nos guerres lointaines. Les croisades nous valurent plusieurs arbres utiles; la conquête de Naples nous donna le mûrier. Plusieurs provinces étaient devenues florissantes par des cultures spéciales et par l'industrie que celles-ci faisaient naître; mais la plupart languissaient dans un état stationnaire. Ni la législation, ni des institutions publiques, ni des encouragements puissants n'avaient été dirigés vers l'amélioration de l'agriculture théorique et pratique. Plusieurs de nos rois étaient venus au secours de la classe des laboureurs par des mesures que dictait l'humanité plutôt que l'avancement de l'économie agricole.

François Ier, Henri III et Charles X, avaient rendu quelques édits utiles. Marguerite de Valois, épouse de Henri d'Albret, roi de Navarre, et sa fille Jeanne, avaient vivifié le Béarn par une noble protection accordée à l'agriculture; mais l'importance de celte industrie comme base de la prospérité publique ne paraît avoir été parfaitement comprise que par Henri IV et son immortel minis. tre. Les encouragements efficaces donnés à cet art utile, et les premiers écrits destinés à propager les véritables principes, datent de ce règne mémorable. Le Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres et les édits rendus sous l'administration de Sully, principalement pour la liberté du commerce des grains et pour autoriser de grands desséchements, forment, à proprement parler, la première époque des progrès de l'agriculture française.

Le règne de Louis XIII ne fut pas fécond en hommes capables d'apprécier l'économie agricole. Richelieu, plus adonné à la politique qu'aux arts utiles, ne suivit pas les idées de prévoyance de Sully. Mazarin n'était guère mieux disposé à ambitionner cette sorte de gloire que l'amour de la patrie invite à chercher au sein de la paix. Ces deux ministres ne portèrent donc point leur attention sur l'accroissement des produits attachés au sol, produits qui ne peuvent être remplacés et qui remplacent avantageusement les matières tirées de l'étranger. Colbert, dans ses vastes projets pour la gloire et la prospérité de la France, s'occupa plutôt d'encourager l'agriculture par la création de nouveaux débouchés offerts au commerce, par le développement de l'industrie manufacturière, par la

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construction de routes et de canaux et par la fondation de colonies extérieures, que par des institutions spéciales: ce système, pour être incomplet, n'était pas moins extrêmement favorable aux intérêts de l'agriculture, qui ne peut jamais que gagner à toutes les mesures qui améliorent l'industrie nationale.

Sous le règne de Louis XIV, qui attirait à la cour tous les hommes de génie et tous les grands propriétaires des provinces, les mœurs des classes élevées, que reflètent tour à tour les autres degrés de la société, dédaignaient l'agriculture. Des agronomes ne pouvaient guère se former quand la science, la littérature et les arts agissaient, en quelque sorte, de concert pour mépriser, fuir ou proscrire tout ce qui rappelait l'humble exercice de la culture des terres. La Quintinie et Le Nôtre n'ont dû leur réputation qu'à l'avantage d'exercer leur art dans les dépendances royales. Leurs travaux s'appliquaient plutôt au luxe des jardins qu'à l'agriculture proprement dite; ils propagèrent ce luxe dans les provinces, mais sans avancer l'art dans son utilité réelle. La révocation de l'édit de Nantes avait porté un coup fatal à toutes les industries; l'agriculture ne pouvait manquer de s'en ressentir péniblement. Le système prohibitif de l'exportation des grains et même de leur circulation de province à province, produisit des résultats non moins funestes que ne purent compenser des encouragements donnés aux défrichements et aux desséchements, et quelques faveurs accordées à des cultivateurs signalés à la surveillance du monarque.

« A cette époque, dit M. le comte Chaptal, le sol français appartenait à trois classes de propriétaires: la première se composait d'usufruitiers qui n'avaient aucun intérêt à améliorer ; la seconde était formée par ces hommes puissants qui vivaient des bienfaits de la cour et qui s'occupaient peu de bonifier leurs immenses domaines. L'existence de ces deux classes de la société se trouvait d'ailleurs assurée par le produit des corvées, des droits féodaux et des dîmes que leur payait le cultivateur. Enfin la troisième classe comprenait ces hommes laborieux, voués par état à la culture de la terre, qui ne retiraient de leurs pénibles travaux que le strict nécessaire, et auxquels on ne laissait pas même le moyen d'améliorer un sol qu'ils baignaient toute l'année de leurs sueurs (1). »

Pour rendre ce tableau plus juste, il aurait fallu ajouter qu'il existait aussi, en France, une classe de bourgeois propriétaires et de cultivateurs qui possédaient personnellement quelques portions de terres affranchies de la plupart des droits seigneu

(1) Chaptal, de l'Industrie française,

riaux. Cette classe, à la vérité, n'était pas la plus nombreuse, mais elle avait son importance dans l'état. Il s'en fallait de beaucoup d'ailleurs que la concentration des propriétcs entre les mains de la noblesse et du clergé eût été poussée jamais en France au même point qu'en Angleterre. Malgré les lois sur les substitutions des terres, la division des propriétés n'était pas rigoureusement interdite, et de nombreuses exceptions attestaient à cet égard la tolérance du gouvernement ou les progrès de l'opinion.

Sans doute toutes ces institutions n'étaient pas favorables aux classes inférieures. Mais l'humanité et la charité des grands propriétaires trouvaient en général le moyen d'en adoucir les effets. Beaucoup de terres étaient aliénées moyennant une redevance minime. Les terres vagues ou en friche étaient en quelque sorte abandonnées aux paysans pauvres. On a cité souvent l'exemple de seigneurs durs envers leurs vassaux. Il faut, pour être juste, dire que ces exemples étaient fort rares. Le plus grand nombre des riches seigneurs qui habitaient leurs terres, s'efforçaient d'exercer un patronage doux et paternel envers les malheureux, et ce n'était jamais en vain que ceux-ci recouraient à leur bienfaisance.

Quoi qu'il en soit, on comprend facilement qu'une telle organisation sociale se prêtât peu à de grandes améliorations d'agriculture, lorsque surtout l'opinion dominante plaçait l'honneur et la gloire dans la profession des armes, dans les dignités ecclésiastiques et dans les hautes charges de la magistra- |

ture.

Voltaire, dans son discours de réception à l'Académie française, s'exprimait en ces termes : « Pourrions-nous imiter aujourd'hui l'auteur des Géorgiques, qui nomme sans détour tous les instruments de l'agriculture? A peine les connaissons-nous; notre mollesse orgueilleuse, dans le sein du repos et du luxe des villes, attache malheureusement une idée basse aux travaux champêtres et aux détails des arts utiles que les maîtres de la terre cultivaient de leurs mains victorieuses. »

Cependant, à cette époque, Buffon, par son génie et par son éloquence, allait bientôt familiariser la langue et l'opinion avec des noms et des choses jusqu'alors dédaignés ou méprisés ; et Valmont de Bomare, inspiré par ce noble exemple, ne devait pas tarder à faire connaître les charmes et l'utilité de l'étude de la nature.

Larégence licencieuse de la minorité de Louis XV, en altérant profondément les mœurs, et en inspirant le goût de l'agiotage, détourna, de plus en plus, les esprits des améliorations agricoles.

Le cardinal de Fleury aurait pu les y ramener, dans son pacifique et long ministère. Il préféra

suivre le système de Colbert, et rapporta les ordonnances rendues à la fin du règne de Louis XIV en faveur de la liberté du commerce des grains. Ce ne fut qu'en 1754 que cette liberté fût de nouveau proclamée par un édit solennel, grâce aux ministres qui composaient alors le conseil du roi qui s'attachèrent à favoriser davantage l'agriculture, dont l'importance se révélait aux yeux des hommes éclairés et désintéressés.

Louis XVI, dont le nom se retrouve toujours dans tout ce qui a été entrepris de bon et de généreux pour le bonheur des peuples, instruit par l'exemple des améliorations obtenues en Angleterre et en Belgique, éclairé par les écrivains qui fondaient alors l'économie publique en France, et secondé par des ministres animés de ses vues de bien public, chercha à replacer l'agriculture au rang qui lui appartient dans l'ordre social. Non-seulement il honora et protégea les hommes qui s'occupaient d'améliorer la science agronomique, mais il créa lui-même dans ses domaines les premiers établissements modèles qui aient été formés en France. Sous son règne, furent instituées la société royale d'agriculture de Paris, et celles fondées dans la plus grande partie de nos provinces.

La société royale d'agriculture fut d'abord confiée aux soins de M. Berthier de Sauvigny, alors intendant de Paris, qui, pour propager les fruits de cette institution, eut l'heureuse pensée de créer des comices agricoles dans sa vaste généralité, qui s'étendait, depuis Mantes et Beauvais, jusqu'au centre de la Bourgogne.

MM. de Malesherbes, Turgot, Bertin, Laverdi et Trudaine, formaient un conseil intime auprès du roi, et c'est sous les auspices de ce conseil, que ce bon prince, n'écoutant que son cœur, abolit la servitude, les corvées, la torture et fit ouvrir une multitude de routes et des canaux.

De ce règne date la création des écoles vétérinaires de Charenton et de Lyon, et l'introduction de la race des mérinos de France.

La protection de Louis XVI développa une heureuse émulation de travaux scientifiques et pratiques dirigés vers l'agriculture. On vit bientôt apparaître avec un éclat modeste, mais bienfaisant, les noms de Rosier, de Cretté, de Palluel, de Bullion, de Vilmorin, de Dumont, de Bourgelat, de Chabert, de Vicq-d'Azir, de Gilbert et de Parmentier; qui s'alliaient si noblement aux noms illustres des Larochefoucauld, des Charost, etc.

La littérature suivit cette heureuse impulsion: les poëmes de Delille, de Rosset, de Saint-Lambert, de Roucher, devinrent l'expression d'un grand changement opéré dans les mœurs et l'opinion de la société.

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