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connues. Les transports par eau et par terre, les améliorations agricoles, les assurances de tout genre, les forges, les houilles, les chemins de fer, la librairie, les théâtres, les bals, les concerts, tout est tombé en proie à des calculs quelquefois bons, industriellement parlant, mais plus souvent désastreux pour ceux dont l'imagination s'en est laissé séduire. Ainsi, parce que les actions d'un journal se sont élevées de 3000 à 300,000 fr., parce que les actions d'une autre feuille ont rapporté, pour un capital de 1000 fr., 2500 fr. de revenu, on a vu l'agiotage faire des prospectus de journaux; on a vu l'opinion, la morale, les connaissances utiles ou inutiles se diviser en actions et en coupons d'actions; on a vu des noms illustres, des gloires littéraires, la poésie, l'histoire, le style, devenir la base première d'une société en commandite, et se transformer en capital social annoncé en grandes lettres dans les journaux.

Mais, sans parcourir en détail tous les genres de spéculations dangereuses qui font tant de bruit de nos jours, arrêtons-nous un instant sur ce qui se passe autour de nous, et prenons pour exemple, parmi beaucoup d'autres, les actions sur les houilles qu'on exploite dans le département du Nord. Il est facile de se rendre compte, d'une manière générale, de l'importance que ces exploitations ont acquises. La rareté et la cherté du bois de chauffage, la création des canaux et des routes qui introduisent les objets d'échange jusqu'aux lieux les plus étrangers jusqu'à présent au commerce, les applications si vastes et si variées de la vapeur, ont dû faire naître la certitude que ce genre d'exploitation était riche d'avenir. D'ailleurs, Anzin et les charbonnages belges ont créé des fortunes colossales; c'en était assez. Aussitôt, dans notre pays ordinairement si modéré et si sage, le vertige s'est propagé; les espérances avides se sont enfoncées dans les profondes et noires cavernes des bassins houillers, comme autrefois l'imagination des Espagnols

volait par-delà l'Atlantique dans les montagnes enchantées d'Eldorado.

On a donc formé, dans plusieurs de nos arrondissements, des sociétés pour rechercher la houille c'était bien. Mais voici quelques faits entre mille qui feront voit jusqu'où on en est venu. Un homme se met dans l'esprit qu'en tel endroit il doit y avoir du charbon; il propose une société pour faire des sondages. On n'a encore aucune probabilité, aucun indice qu'il y ait là du charbón; quelquefois même les indications de la science devraient au contraire détourner d'y faire cette recherche; n'importe, les actions finissent par se placer au pair; puis, par cela seul qu'elles sont placées, il s'établit une confiance, une espèce de notoriété qu'il doit y avoir là du charbon; la contagion gagne, les actions montent, quintuplent, décuplént. Ainsi des actions de sociétés de recherches de 400 fr. se sont élevées à 1500, 3000, 4000, pour retomber ensuite au pair, avec impossibilité de les négocier. On a vu un capital de 1,120,000 fr. devenir 4,864,000 fr. avant que l'on eût acquis l'assurance qu'il y eût de la houille exploitable. Plusieurs associés, dans une certaine affaire, ont réalisé plus de 80,000 fr. chacun, avant d'avoir déboursé un sou pour payer leurs actions.

Lorsque les bases d'une entreprise sont assez connues et calculées pour que la prudence permette de s'y engager, les valeurs se fixent bien vite. Il est donc évident que ces énormes et subites fluctuations ne sont possibles que dans l'incertitude même du succès; c'est l'état problématique de l'entreprise, c'est l'absence de données propres à diriger l'esprit, qui produit ces élévations et ces renversements extraordinaires de fortune; c'est donc un véritable jeu, c'est une scène de folie et d'immoralité, où l'on se sent comme emporté dans un tourbillon d'avarice; où l'on contracte les habitudes presque invincibles, et tôt ou tard ruineuses, du joueur; où le sort des familles est jeté à

des chances mobiles; où l'on ne s'enrichit le plus souvent que par la ruine d'autrui. Ainsi le jeu se substitue à un travail réellement productif, qui serait utile à la société entière, en même temps qu'à celui qui s'y livrerait. Le jeu sur les mauvaises affaires nuit aux bonnes; de sorte que, dans cette ivresse aléatoire, les entreprises qui produisent déjà un avantage certain et satisfaisant, par exemple, 10, 12, 15 pour cent, auront moins de faveur, précisé ment parce qu'on en connaît les bénéfices, que d'autres affaires tout-à-fait incertaines et dangereuses. Ainsi, leg capitaux, le temps, l'intelligence sont détournés de leurs fonctions créatrices, pour s'épuiser dans des combinaisons purement individuelles, et dans une espèce de combat stérile dont le hasard est l'arbitre, quand le charlatanisme et le mensonge n'ont pas déjà d'avance arrêté les décisions

du hasard.

Au reste, il ne faut pas, sur un aperçu superficiel ou prévenu, faire la part du charlatanisme plus grande qu'elle n'est réellement. Dans cette fureur d'agiotage, tout le monde est coupable, les acheteurs aussi bien que les vendeurs. Si l'on voit des acheteurs d'actions s'exposer avec tant d'im¬ prudence, se laisser fasciner par des illusions dont l'homme de sang froid s'étonne, c'est parce que leur propre avídité leur a fait tourner la tête. C'est une maladie générale. Les actions, une fois sorties des premières mains, rencontrent des spéculateurs de tous les étages, et ce qu'on appelle la mousse se fait alors comme par une fatale unanimité. Parce que certaines personnes auront provoqué et conduit une bonne affaire, la confiance publique s'attachera à leurs idées, à leurs espérances, à leurs promesses, comme si leur capacité avait tout fait, et comme si un passé brillant garantissait un avenir plus brillant encore. C'est une prévention que souvent on payera cher; mais elle est naturelle et puissante, surtout à ces heures d'exaltation fiévreuse où la cupidité bouillonne, comme si c'était une grande et généreuse passion.

Un jour, pourtant, il faudra bien que l'enivrement finisse; il faudra bien que la réalité prenne la place des illusions. Alors, qu'arrivera-t-il à cette foule de dupes qui se croit riche, parce qu'elle possède de grandes valeurs fictives? Un homme a pris au pair et a gardé de ces actions si prodigieusement enflées; il compte sur ce papier comme sur une source réelle d'opulence; son train de vie, son luxe, ses espérances, ses acquisitions, son orgueil, reposent sur cette base qui, à vrai dire, n'existe même pas. Mais qu'un bruit, une peur, un doute se répande; qu'une de ces paniques, qui viennent quelquefois on ne sait d'où ni comment, dissipe la confiance; que l'une de ces crises qui, de temps en temps, ne font qu'un saut de l'Amérique en Angleterre, et de l'Angleterré en France, se manifeste à l'époque de sa périodicité ordinaire; alors tout le monde s'empressera de vendre comme on s'est empressé d'acheter; et la peur produisant la peur, toute cette richesse qu'on avait en portefeuille ne sera bientôt plus que du papier; toute cette fortune crèvera comme une bulle de savon; la liquidation réduira au néant tant de confiance, tant de projets déjà arrêtés, tant de prétentions mal dissimulées qu'inspirait une fortune subite. Quelle chute! Quelle ruine! Quel compte à se rendre à soi-même, à sa famille, à l'opinion publique, à ceux que peut-être on entraîne dans sa chute! C'est ainsi que se réalisent ces nombreux désastres dont on parle aux moments de crise; c'est ainsi que les triomphes de l'agiotage finissent trop souvent par des tragédies, par la honte, par l'exil, par le suicide.

T.

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TOUTE nation qui brille est près de son déclin, a dit, je crois, Montesquieu. Je ne sais si la perfection dans les arts n'est pas le signe d'une décadence prochaine, et si, en particulier, la perfection matérielle des œuvres d'art n'indique pas déjà une altération du sentiment qui doit dominer l'artiste. Je m'explique lorsqu'une foi naïve et puissante inspirait l'ouvrier sculpteur du moyen-âge, chargé de figurer le Christ dans l'intérieur d'une église, il suivait sans hésiter le sentiment religieux qui le poussait à une œuvre pleine d'expression, mais simple et sans apprêt. L'artiste, en ce cas, disparaissait derrière le chrétien; et comme le but du sculpteur n'avait pas été de faire admirer son œuvre, ce Christ ne servait qu'à rappeler aux fidèles le Dieu mort sur la croix, et le nom de l'artiste était oublié. L'art alors avait un but réel et pratique dont l'importance effaçait l'art même. Mais à mesure que la foi s'affaiblit, l'art devint à lui-même son but, et de même que l'on finit par écrire pour écrire, et que l'on cherche dans les mots le son et non le sens, de même on fit de l'art pour l'art, c'est-à-dire de la parole sans la pensée. Ainsi, des tableaux peints dans l'atelier, sous des préoccupations toutes mondaines et personnelles, vinrent recouvrir dans les églises les sculptures gothiques; et l'on admira les églises au lieu d'y prier.

Je conçois l'art pur, parce que je suis de mon siècle;

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