Or moy, qui suis tout flame et de nuict et de jour, Qui n'haleine que feu, ne respire qu'amour, Je me laisse emporter à mes flames communes, Et cours souz divers vents de diverses fortunes. Ravy de tous objects, j'ayme si vivement, Que je n'ay pour l'amour ny choix ny jugement. De toute eslection mon ame est despourveue, Et nul object certain ne limite ma veue. Toute femme m'agrée, et les perfections Du corps ou de l'esprit troublent mes passions. J'ayme le port de l'une, et de l'autre la taille; L'autre d'un trait lascif me livre la bataille; Et l'autre, desdaignant d'un œil sévère et doux Ma peine et mon amour, me donne mille coups. Soit qu'une autre, modeste, à l'impourveu m'avise, De vergongne et d'amour mon âme est toute éprise : Je sens d'un sage feu mon esprit enflammer, Et son honnesteté me contrainct de l'aymer. Si quelque autre, affetée en sa douce malice, Gouverne son œillade avecq' de l'artifice, J'ayme sa gentillesse, et mon nouveau desir Se la promet sçavante en l'amoureux plaisir. Que l'autre parle livre et face des merveilles : Amour, qui prend par tout, me prend par les oreilles, Et juge par l'esprit, parfaict en ses accords, Des points plus accomplis que peut avoir le corps. Si l'autre est, au rebours, des lettres nonchalante, Je croy qu'au fait d'amour elle sera sçavante, Et que nature, habile à couvrir son deffaut, Luy aura mis au lict tout l'esprit qu'il luy faut. Ainsi de toute femme à mes yeux opposée, Soit parfaite en beauté ou soit mal composée De mœurs ou de façons, quelque chose m'en plaist, Et ne sçay point comment, ny pourquoi, ny que c'est. Quelque objet que l'esprit par mes yeux te figure, Mon cœur, tendre à l'amour, en reçoit la pointure : Mais sans parler de moy, que toute amour em- Ainsi, moy seulement souz l'amour je ne plic Mais de tous les mortels la nature accomplie Fleschit sous cest empire, et n'est homme ici bas Qui soit exempt d'amour non plus que du trespas. Ce n'est donc chose estrange (estant si naturelle) Que ceste passion me trouble la cervelle, M'empoisonne l'esprit, et me charme si fort, Que j'aymeray, je croy, encore après ma mort. Marquis, voylà le vent dont ma nef est portée A la triste mercy de la vague indomtée, Sans cordes, sans timon, sans estoile ny jour, Reste ingrat et piteux de l'orage d'Amour, Qui, content de mon mal et joyeux de ma perte, Se rit de voir des flots ma poitrine couverte, Et comme sans espoir flote ma passion, Digne, non de risée, ains de compassion. Cependant, incertain du cours de la tempeste, Je nage sur les flots, et, relevant la teste, Je semble despiter, naufrage audacieux, L'infortune, les vents, la marine et les cieux, M'esgayant en mon mal comme un melancolique Qui repute à vertu son humeur frenetique, Discourt de son caprice, en caquete tout hart. Aussi comme à vertu j'estime ce deffaut, Et quand tout par mal-heur jureroit mon dommage, Je mourray fort content, mourant en ce voyage. A MONSIEUR L'ABBÉ DE BEAULIEU NOMMÉ PAR SA MAJESTÉ A L'EVESCHÉ DU MANS SATYRE VIII CHARLES, de mes pechez j'ay bien fait penitence. Or toy, qui te cognois aux cas de conscience, Me vint prendre et me dict, pensant dire un bon mot: Me voir à Rome pauvre entre les mains des Juifs. «Que vous estes heureux, vous autres belles ames, Je devins aussi fier qu'un chat amadoué; Et sentant au palais mon discours se confondre, Relever ses cheveux; dire : « En ma conscience! » Un esprit aussi grand que grande est sa beauté. |