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plufieurs perfonnages, dit-il, font diversement intéresses dans le même événement, et s'ils font tous dignes que j'entre dans leurs paffions, il y a alors unité d'action, et non pas unité d'intérêt. (a)

(a) Je foupçonne qu'il y a une erreur dans cette propofition, qui m'avait paru d'abord très-plaufible; je fupplie M. de la Motte de l'examiner avec moi. N'y a-t-il pas dans Rodogune plufieurs perfonnages principaux diversement intéreffés? Cependant il n'y a réellement qu'un feul intérêt dans la pièce, qui eft celui de l'amour de Rodogune et 'Antiochus. Dans Britannicus: Agrippine, Néron, Narciffe, Britannicus, Junie, n'ont-ils pas tous des intérêts féparés, ne méritent-ils pas tous mon attention? Cependant ce n'eft qu'à l'amour de Britannicus et de Junie que le public prend une part intéressante. Il est donc très-ordi· naire qu'un feul et unique intérêt résulte de diverfes paffions bien ménagées. C'est un centre où plufieurs lignes différentes aboutiffent: c'eft la principale figure du tableau, que les autres font paraître fans fe dérober à la vue. Le défaut n'eft pas d'amener fur la fcène plufieurs perfonnages avec des défirs et des deffeins différens; le défaut eft de ne favoir pas fixer notre intérêt fur un feul amour, lorfqu'on en préfente plufieurs. C'eft alors qu'il n'y a plus unité d'intérêt; et c'est alors auffi qu'il n'y a plus unité

d'action.

La tragédie de Pompée en est un exemple: César vient en Egypte pour voir Cléopâtre: Pompée pour s'y réfugier. Cléopâtre veut être aimée et régner: Cornélie veut le venger fans favoir comment: Ptolomée fonge à conferver fa couronne. Toutes ces parties défaffemblées ne compofent point un tout auffi l'action eft double et même triple, et le fpectateur ne s'intéreffe pour perfonne.

Si ce n'est point une témérité d'ofer mêler mes défauts avec ceux du grand Corneille, j'ajouterai que mon Oedipe eft encore une preuve que des intérêts très-divers, et, fi je puis uler de ce mot, mal affortis, font néceffairement une duplicité d'action. L'amour de Philoctete n'est point lié à la fituation d'Oedipe, et dès-là cette pièce est double. Note tirée de l'édition de 1730.

Théâtre. Tom. I.

G

Depuis que j'ai pris la liberté de difputer contre M. de la Motte fur cette petite queftion, j'ai relu le difcours du grand Corneille fur les trois unités; il vaut mieux confulter ce grand maître que moi. Voici comme il s'exprime: Je tiens donc, et je l'ai déjà dit, que l'unité d'action confifte en l'unité d'intrigue et en l'unité de péril. Que le lecteur life cet endroit de Corneille, et il décidera bien vîte entre M. de la Motte et moi; et quand je ne ferais pas fort de l'autorité de ce grand homme, n'ai-je pas encore une raifon plus convaincante? c'est l'expérience. Qu'on life nos meilleures tragédies françaises, ou trouvera toujours les perfonnages principaux diversement intéreffés; mais ces intérêts divers fe rapportent tous à celui du perfonnage principal, et alors il y a unité d'action. Si au contraire tous ces intérêts différens ne fe rapportent pas au principal acteur, fi ce ne font pas des lignes qui aboutiffent à un centre commun, l'intérêt eft double, et ce qu'on appelle action au théâtre l'eft aufli. Tenons-nous en donc comme le grand Corneille aux trois unités, dans lesquelles les autres règles, c'est-à-dire les autres beautés, fe trouvent renfermées.

M. de la Motte les appelle des principes de Fantaisie, et prétend qu'on peut fort bien s'en

paffer dans nos tragédies, parce qu'elles font négligées dans nos opéra. C'eft, ce me femble, vouloir réformer un gouvernement régulier fur l'exemple d'une anarchie.

DE L'OPERA.

L'opéra eft un fpectacle auffi bizarre que magnifique, où les yeux et les oreilles font plus fatisfaits que l'efprit, où l'asservissement à la mufique rend néceffaires les fautes les plus. ridicules, où il faut chanter des ariettes dans la deftruction d'une ville et danfer autour d'un tombeau; où l'on voit le palais de Plutón et celui du Soleil, des dieux, des démons, des magiciens, des prestiges, des monftres, des palais formés et détruits en un clin d'œil. On tolère ces extravagances, on les aime même, parce qu'on eft là dans le pays des fées; et pourvu qu'il y ait du fpectacle, de belles danfes, une belle musique, quelques fcènes intéreffantes, on eft content. Il ferait auffi ridicule d'exiger dans Alcefte l'unité d'action, de lieu et de temps, que de vouloir introduire des danfes et des démons dans Cinna ou dans Rodogune.

Cependant quoique les opéra foient dispensés de ces trois règles, les meilleurs font encore ceux où elles font le moins violées on les

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retrouve même, fi je ne me trompe, dans plufieurs; tant elles font néceffaires et naturelles, et tant elles fervent à intéreffer le fpectateur. Comment donc M. de la Motte peut-il reprocher à notre nation la légèreté de condamner, dans un fpectacle, les mêmes chofes que nous approuvons dans un autre? Il n'y a perfonne qui ne pût répondre à M. de la Motte, J'exige avec raifon beaucoup plus de perfection d'une tragédie que d'un opéra, parce qu'à une tragédie non attention n'eft point partagée, que ce n'eft ni d'une farabande, ni d'un pas de deux ,, que dépend mon plaifir, et que c'est à mon ame ,, uniquement qu'il faut plaire. J'admire qu'un homme ait fu amener et conduire dans un feul lieu et dans un feul jour, un feul événe,, ment que mon efprit conçoit fans fatigue, et où mon cœur s'intéreffe par degrés. Plus je », vois combien cette fimplicité eft difficile, plus elle me charme; et fi je veux enfuite me rendre raifon de mon plaifir, je trouve que je fuis de l'avis de M. Defpréaux qui dit:

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» Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli, Tienne jufqu'à la fin le théâtre rempli.

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J'ai pour moi, pourra-t-il dire, l'autorité

́n du grand Corneille : j'ai plus encore, j'ai fon

, exemple, et le plaifir que me font fes ouvrages ,, à proportion qu'il a plus ou moins obéi à » cette règle.

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M. de la Motte ne s'eft pas contenté de vouloir ôter du théâtre fes principales règles, il veut encore lui ôter la poéfie, et nous donner des tragédies en profe.

DES TRAGEDIES EN PROSE.

Cet auteur ingénieux et fécond, qui n'a fait que des vers en fa vie, ou des ouvrages de profe à l'occafion de fes vers, écrit contre fon art même et le traite avec le même mépris qu'il a traité Homère, que pourtant il a traduit. Jamais Virgile, ni le Tasse, ni M. Defpréaux, ni M. Racine, ni M. Pope, ne fe font avifés d'écrire contre l'harmonie des vers; ni M. de Lulli contre la mufique, ni M. Newton contre les mathématiques. On a vu des hommes qui ont eu quelquefois la faibleffe de fe croire fupérieurs à leur profeffion, ce qui eft le für moyen d'être audeffous; mais on n'en avait point encore vu qui vouluffent l'avilir. Il n'y a que trop de perfonnes qui méprifent la poéfie faute de la connaître. Paris eft plein de gens de bon fens, nés avec des organes infenfibles à toute harmonie, pour qui de la mufique n'eft que du bruit, et à qui la poéfie ne

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