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et qu'elles pourraient avoir dans un homme de fon mérite un adverfaire redoutable.

DES TROIS UNITÉS.

M. de la Motte veut d'abord profcrire l'unité d'action, de lieu et de temps.

Les Français font les premiers d'entre les nations modernes, qui ont fait revivre ces fages règles du théâtre; les autres peuples ont été long-temps fans vouloir recevoir un joug qui paraiffait fi févère; mais comme ce joug était jufte, et que la raifon triomphe enfin de tout, ils s'y font foumis avec le temps. Aujourd'hui mème, en Angleterre, les auteurs affectent d'avertir audevant de leurs pièces que la durée de l'action eft égale à celle de la représentation; et ils vont plus loin que nous, qui en cela avons été leurs maîtres. Toutes les nations commencent à regarder comme barbares les temps où cette pratique était ignorée des plus grands génies, tels que Don Lopez de Vega et Shakespear; elles avouent même l'obligation qu'elles nous ont de les avoir retirées de cette barbarie faut-il qu'un français fe ferve aujourd'hui de tout fon efprit pour nous y ramener ?

Quand je n'aurais autre chofe à dire à M. de la Motte, finon que meffieurs Corneille, Racine,

Molière, Addiffon, Congreve, Maffei, ont tous obfervé les lois du théâtre, c'en ferait affez pour devoir arrêter quiconque voudrait les violer : mais M. de la Motte mérite qu'on le combatte par des raifons, plus que par des autorités.

Qu'est-ce qu'une pièce de théâtre? La repréfentation d'une action. Pourquoi d'une feule, et non de deux ou trois? C'eft que l'esprit humain ne peut embraffer plufieurs objets à la fois; c'eft que l'intérêt qui fe partage s'anéantit bientôt; c'eft que nous fommes choqués de voir, méme dans un tableau, deux événemens; c'est qu'enfin la nature feule nous a indiqué ce précepte, qui doit être invariable comme elle.

Par la même raison, l'unité de lieu eft effentielle; car une feule action ne peut fe paffer en plufieurs lieux à la fois. Si les perfonnages que je vois font à Athènes au premier acte, comment peuvent-ils fe trouver en Perfe au fecond? M. le Brun a-t-il peint Alexandre à Arbelles et dans les Indes fur la même toile?" Je ne ferais pas étonné, dit adroitement M. de la Motte, qu'une nation ,, fenfée, mais moins amie des règles, s'accommodât de voir Coriolan condamné à Rome » au premier acte, reçu chez les Volfques au » troifième, et affiégeant Rome au quatrième, " etc." Premièrement, je ne conçois point

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qu'un peuple fenfé et éclairé ne fût pas ami de règles toutes puifées dans le bon fens, et toutes faites pour fon plaifir. Secondement, qui ne sent que voilà trois tragédies, et qu'un pareil projet, fût-il exécuté même en beaux vers, ne ferait jamais qu'une pièce de Jodelle ou de Hardy verfifiée par un moderne habile?

L'unité de temps eft jointe naturellement aux deux premières. En voici, je crois, une preuve bien fenfible. J'affifte à une tragédie, c'est-à-dire à la représentation d'une action; le fujet eft l'accompliffement- de cette action unique. On confpire contre Augufte dans Rome; je veux favoir ce qui va arriver d'Augufte et des conjurés. Si le poëte fait durer l'action quinze jours, il doit me rendre compte de ce qui fe fera passé dans ces quinze jours; car je fuis là pour être informé de ce qui fe paffe, et rien ne doit arriver d'inutile. Or, s'il met devant mes yeux quinze jours d'événemens, voilà au moins quinze actions différentes, quelques petites qu'elles puiffent être. Ce n'eft plus uniquement cet accompliffement de la confpiration, auquel il fallait marcher rapidement; c'eft une longue hiftoire qui ne fera plus intéreffante, parce qu'elle ne fera plus vive, parce que tout fe fera écarté du moment de la décifion, qui eft le feul que j'attends. Je ne

fuis point venu à la comédie pour entendre l'hiftoire d'un héros, mais pour voir un feul événement de fa vie. Il y a plus: le fpectateur n'eft que trois heures à la comédie; il ne faut donc pas que l'action dure plus de trois heures. Cinna, Andromaque, Bajazet, Oedipe, foit celui du grand Corneille, foit celui de M. de la Motte, foit même le mien, fi j'ose en parler, ne durent pas davantage. Si quelques autres pièces exigent plus de temps, c'eft une licence qui n'eft pardonnable qu'en faveur des beautés de l'ouvrage; et plus cette licence eft grande, plus elle eft faute.

Nous étendons fouvent l'unité de temps jufqu'à vingt-quatre heures, et l'unité de lieu à l'enceinte de tout un palais. Plus de févérité rendrait quelquefois d'affez beaux fujets impraticables, et plus d'indulgence ouvrirait la carrière à de trop grands abus. Car s'il était une fois établi qu'une action théâtrale pût fe paffer en deux jours, bientôt quelqu'auteur y emploierait deux femaines, et un autre deux années et fi l'on ne réduifait pas le lieu de la fcène à un espace limité, nous verrions en peu de temps des pièces telles que l'ancien Jules Céfar des Anglais, Caffius et Brutus font à Rome au premier acte, et en Theffalie dans le cinquième.

Ces lois obfervées, non-feulement fervent à écarter les défauts, mais elles amenent de vraies beautés; de même que les règles de la belle architecture, exactement fuivies, compofent néceffairement un bâtiment qui plaît à la vue. On voit qu'avec l'unité de temps, d'action et de lieu, il est bien difficile qu'une pièce ne foit pas fimple: auffi voilà le mérite de toutes les pièces de M. Racine, et celui que demandait Ariftote. M. de la Motte, en défendant une tragédie de fa composition, préfère à cette noble fimplicité la inultitude des événemens; il croit fon fentiment autorifé par le peu de cas qu'on fait de Bérénice, par l'eftime où eft encore le Cid. Il eft vrai que le Cid eft plus touchant que Bérénice; mais Bérénice n'eft condamnable que parce que c'est une élégie plutôt qu'une tragédie simple; et le Cid, dont l'action eft véritablement tragique, ne doit point fon fuccès à la multiplicité des événemens; mais il plaît malgré cette multiplicité, comme il touche malgré l'Infante, et non pas à caufe de l'Infante.

M. de la Motte croit qu'on peut fe mettre au-deffus de toutes ces règles, en s'en tenant à l'unité d'intérêt, qu'il dit avoir inventée et qu'il appelle un paradoxe: mais cette unité d'intérêt ne me paraît autre chofe que celle de l'action. Si

plufieurs

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