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Je veux d'abord que vous fachiez, pour ma juftification, que tout jeune que j'étais quand je fis l'Oedipe, je le compofi à peu-près tel que vous le voyez aujourd'hui. J'étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaiffais fort peu le théâtre de Paris; je travaillai à peuprès comme fi j'avais été à Athènes. Je confultai M. Dacier qui était du pays: il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les fcènes, à la manière des Grecs. C'était me confeiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J'eus bien de la peine feulement à obtenir que les comédiens de Paris vouluffent exécuter les choeurs qui paraiffent trois ou quatre fois dans la pièce; j'en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie prefque fans amour. Les comédiennes fe moquèrent de moi, quand elles virent qu'il n'y avait point de rôle pour l'Amoureufe. On trouva la fcène de la double confidence entre Oedipe et Jocafte, tirée en partie de Sophocle, tout-à-fait infipide. En un mot, les acteurs qui étaient dans ce tempslà petits-maîtres et grands feigneurs, refusèrent de représenter l'ouvrage.

J'étais extrêmement jeune: je crus qu'ils avaient raifon. Je gâtai ma pièce pour leur plaire, en affadiffant par des fentimens de tendreffe un fujet qui le comporte fi peu. Quand on vit un peu d'amour, on fut moins mécontent de moi; mais on ne voulut point du tout de cette grande scène entre Jocafte et Oedipe: on se moqua de Sophocle et de fon imitateur. Je tins bon, je dis mes raisons, j'employai des amis; enfin ce ne fut qu'à force

de protections que j'obtins qu'on jouerait Oedipe. Il y avait un acteur nommé Quinault, qui dit tout haut, que pour me punir de mon opiniâtreté, il fallait jouer la pièce teile qu'elle était, avec ce mauvais quatrième acte tiré du Grec. On me, regardait d'ailleurs comme un téméraire d'ofer traiter un fujet où P. Corneille avait fi bien réuffi. On trouvait alors l'Oedipe de Corneille excellent; je le trouvais un fort mauvais ouvrage, et je n'ofais le dire: je ne le dis enfin qu'au bout de dix ans quand tout le monde eft de mon avis.

Il faut fouvent bien du temps pour que juftice foit rendue. On l'a faite un peu plutôt aux deux Oedipes de M. de la Motte. Le révérend père de Tournemine a dû vous, communiquer la petite préface dans laquelle je lui livre bataille. M. de la Motte a bien de l'efprit: il eft un peu comme cet athlète grec, qui, quand il était terraffé, prouvait qu'il avait le deffus.

Je ne fuis de fon avis fur rien; mais vous m'avez appris à faire une guerre d'honnête homme. J'écris avec tant de civilité contre lui, que je l'ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface, où je tâche de lui prouver fon tort à chaque ligne; et il a lui-même approuvé ma petite differtation polémique. Voilà comme les gens de lettres devraient fe combattre ; voilà comme ils en uferaient, s'ils avaient été à votre école ; mais ils font d'ordinaire plus mordans que des avocats, et plus emportés que des janféniftes. Les lettres humaines font devenues très-inhumaines. On injurie, on cabale, on calomnie, on fait des couplets. Il eft plaifant

plaifant qu'il foit permis de dire aux gens, par écrit, ce qu'on n'oferait pas leur dire en face! Vous. m'avez appris, mon cher Père, à fuir ces baffeffes, et à favoir vivre comme à favoir écrire.

Les Mufes filles du ciel,

Sont des fœurs fans jaloufie:
Elles vivent d'ambroifie,
Et non d'abfinthe et de fiel;
Et quand Jupiter appelle
Leur affemblée immortelle
Aux fêtes qu'il donne aux dieux,
Il défend que le Satyre
Trouble les fons de leur lyre
Par fes fons audacieux.

Adieu, mon cher et révérend Père: je fuis pour jamais à vous et aux vôtres, avec la tendre reconnaiffance que je vous dois, et que ceux qui ont été élevés par vous ne confervent pas toujours etc.

A Paris, le 7 janvier 1729.

Theatre. Tom. I.

F

DE L'EDITION

DE 1729.

L'OEDIPE, dont on donne cette nouvelle édition, fut représenté pour la première fois à la fin de l'année 1718. Le public le reçut avec beaucoup d'indulgence. Depuis même, cette tragédie s'eft toujours foutenue fur le théâtre, et on la revoit encore avec quelque plaifir malgré fes défauts; ce que j'attribue en partie à l'avantage qu'elle a toujours eu d'être très-bien représentée, et en partie à la pompe et au pathétique du spectacle même.

Le père Folard, jéfuite, et M. de la Motte, de l'académie française, ont depuis traité tous deux le même fujet, et tous deux ont évité les défauts dans lefquels je fuis tombé. Il ne m'appartient pas de parler de leurs pièces; mes critiques, et même mes louanges, paraîtraient également fufpectes. (a)

Je fuis encore plus éloigné de prétendre donner une poétique à l'occafion de cette tragédie; je fuis perfuadé que tous ces raisonnemens délicats,

(a) M. de Vé Morte donna deux Oedipes en 172, en sinks et autre en profe non rimée. L'Otipe an rimes fut représenté quatre fois, l'autre n'a jamais éte joué.

tant rebattus depuis quelques années, ne valent pas une fcène de génie, et qu'il y a bien plus à apprendre dans Polyeucte et dans Cinna, que dans tous les préceptes de l'abbé ďAubignac ; Sévère et Pauline font les véritables maîtres de l'art. Tant de livres faits fur la peinture par des connaiffeurs n'inftruiront pas tant un élève, que la feule vue d'une tête de Raphaël.

Les principes de tous les arts qui dépendent de l'imagination font tous aifés et fimples, tous puifés dans la nature et dans la raifon. Les Pradons et les Boyers les ont connus auffi-bien que les Corneilles et les Racines; la différence n'a été et ne fera jamais que dans l'application. Les auteurs d'Armide et d'Iffé, et les plus mauvais compofiteurs, ont eu les mêmes règles de mufique. Le Pouffin a travaillé fur les mêmes principes que Vignon. Il paraît donc auffi inutile de parler de règles à la tête d'une tragédie, qu'il le ferait à un peintre de prévenir le public par des differtations fur fes tableaux, ou à un muficien de vouloir démontrer que fa mufique doit plaire.

Mais puifque M. de la Motte veut établir des règles toutes contraires à celles qui ont guidé nos grands maîtres, il eft jufte de défendre ces anciennes lois, non pas parce qu'elles font ancien'nes, mais parce qu'elles font bonnes et néceffaires,

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