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banni les choeurs. C'eft comme fi, dans une même pièce, on voulait que nous miffions Paris, Londres et Madrid fur le théâtre, parce que nos pères en ufaient ainfi lorfque la comédie fut établie en France.

M. Racine, qui a introduit des chœurs dans Athalie et dans Efther, s'y eft pris avec plus de précaution que les Grecs; il ne les a guère fait paraître que dans les entr'actes; encore a-t-il eu bien de la peine à le faire avec la vraisemblance qu'exige toujours l'art du théâtre.

A quel propos faire chanter une troupe de juives, lorfqu'Efther a raconté fes aventures à Elife? Il faut néceffairement, pour amener cette musique, qu'Efther leur ordonne de lui chanter quelque air. Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques...

Je ne parle pas du bizarre affortiffement du chant et de la déclamation dans une même scène: mais du moins il faut avouer que des moralités mifes en mufique doivent paraitre bien froides, après ces dialogues pleins de paffion qui font le caractère de la tragédie. Un choeur ferait bien mal venu après la déclaration de Phèdre, ou après la converfation de Sévère et de Pauline.

Je croirai donc toujours, jufqu'à ce que l'événement me détrompe, qu'on ne peut hafarder le chœur dans une tragédie qu'avec la précaution de l'introduire à fon rang, et feulement lorsqu'il eft néceffaire pour l'ornement de la fcène : encore n'y a-t-il que très-peu de fujets où cette nouveauté puiffe être reque. Le chœur ferait absolument

déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, et généralement dans toutes les pièces dont l'intrigue n'eft fondée que fur les intérêts de quelques particuliers; il ne peut convenir qu'à des pièces où il s'agit du falut de tout un peuple.

Les Thébains font les premiers intéreffés dans le fujet de ma tragédie: c'eft de leur mort ou de leur vie dont il s'agit; et il n'eft pas hors des bienféances de faire paraître quelquefois fur la fcène ceux qui ont le plus d'intérêt de s'y trouver.

LETTRE VII.

A Poccafion de plufieurs critiques qu'on a faites d'Oedipe.

MONSIEUR, on vient de me montrer une criti

que de mon Oedipe, qui, je crois, fera imprimée avant que cette feconde édition puisse paraître. J'ignore quel eft l'auteur de cet ouvrage. Je fuis fâché qu'il me prive du plaifir de le remercier des éloges qu'il me donne avec bonté, et des critiques qu'il fait de mes fautes avec autant de difcerne ment que de politeffe.

J'avais déjà reconnu, dans l'examen que j'ai fait de ma tragédie, une bonne partie des défauts que l'obfervateur relève; mais je me fuis aperçu qu'un auteur s'épargne toujours quand il fe critique luimême, et que le cenfeur veille lorsque l'auteur s'endort. Celui qui me critique a vu fans doute mes fautes d'un œil plus éclairé que moi. Cependant je ne fais fi, comme j'ai été un peu indulgent, il n'eft

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pas quelquefois un peu trop févère. Son ouvrage m'a confirmé dans l'opinion où je fuis, quele fujet d'Oedipe eft un des plus difficiles qu'on ait jamais mis au théâtre. Mon cenfeur me propofe un plan fur lequel il voudrait que j'euffe compofé ma pièce; c'est au public à en juger: mais je fuis perfuadé que fi j'avais travaillé fur le modèle qu'il me présente, on ne m'aurait pas fait même l'honneur de me critiquer. J'avoue qu'en fubftituant, comme il le veut, Créon à Philoctete j'aurais peut-être donné plus d'exactitude à mon ouvrage; mais Créon aurait été un perfonnage bien froid, et j'aurais trouvé par-là le fecret d'être à la fois ennuyeux et irrépréhenfible.

On m'a parlé de quelques autres critiques: ceux qui fe donnent la peine de les faire, me feront toujours beaucoup d'honneur et même de plaifir, quand ils daigneront me les montrer. Si je ne puis à préfent profiter de leurs obfervations, elles m'éclaireront du moins pour les premiers ouvrages que je pourrai compofer, et me feront marcher d'un pas plus sûr dans cette carrière dangereuse.

On m'a fait apercevoir que plufieurs vers de ma pièce fe trouvaient dans d'autres pièces de théâtre. Je dis qu'on m'en a fait apercevoir; tar, foit qu'ayant la tête remplie de vers d'autrui, j'aye cru travailler d'imagination, quand je ne travaillais que de mémoire; foit qu'on fe rencontre quelquefois dans les mêmes penfées et dans les mêmes tours; il eft certain que j'ai été plagiaire fans le favoir: et que, hors ces deux beaux vers de Corneille, que j'ai pris hardiment, et dont je parle

dans mes lettres, je n'ai eu deffein de voler

perfonne.

Il y a dans les Horaces :

Eft-ce vous,

Curíace? en croirai-je mes yeux?

Et dans ma pièce il y avait :

Eft-ce vous, Philoctete? en croirai-je mes yeux ? J'efpère qu'on me fera l'honneur de croire que j'aurais bien trouvé tout feul un pareil vers. Je l'ai changé cependant, auffi-bien que plufieurs autres, et je voudrais que tous les défauts de mon ouvrage fuffent auffi aifés à corriger que celui-là.

On m'apporte en ce moment une nouvelle critique de mon Oedipe: celle-ci me paraît moins inftructive que l'autre, mais beaucoup plus maligne. La première eft d'un religieux, à ce qu'on vient de me dire; la feconde eft d'un homme de lettres et ce qui eft affez fingulier, c'eft que le religieux poffède mieux le théâtre, et l'autre, le farcafme. Le premier a voulu m'éclairer, et y a réuffi: le fecond a voulu m'outrager, mais il n'en eft point venu à bout. Je lui pardonne fans peine fes injures, en faveur de quelques traits ingénieuxet plaifans dont fon ouvrage m'a paru femé. Ses railleries m'ont plus diverti qu'elles ne m'ont offenfé; et même de tous ceux qui ont vu cette fatire en manufcrit, je fuis celui qui en ai jugé le plus avantageufement. Peut-être ne l'ai-je trouvée bonne, que par la crainte où j'étais de fuccomber à la tentation de la trouver mauvaife: le public jugera de fon prix.

Ce cenfeur affure dans fon ouvrage que ma tra

gédie languira triftement dans la boutique de Ribou, lorfque fa lettre aura deflillé les yeux du public; heureusement il empêche lui-même le mal qu'il me veut faire. Si fa fatire eft bonne, tous ceux qui la liront auront quelque curiofité de voir la tragédie qui en eft l'objet; et au lieu que les pièces de théâtre font vendre d'ordinaire leurs critiques, cette critique fera vendre mon ouvrage. Je lui aurai la même obligation qu'Efcobar eut à Pafcal. Cette comparaifon me paraît affez jufte; car ma poéfie pourrait bien être auffi relâchée que la morale d'Efcobar ; et il y a dans la fatire de ma pièce, quelques traits qui font peut-être dignes des Lettres Provinciales, du moins par la malignité.

Je reçois une troifième critique, celle-ci eft fi miférable, que je n'en puis moi-même foutenir la lecture. On m'en promet encore deux autres. Voilà bien des ennemis; fi je fais encore une tragédie, où fuirai-je ?

LETTRE

au père PORÉE, Jésuite. Je vous envoie, mon cher Père, (a) la nouvelle édition qu'on vient de faire de la tragédie d'Oedipe. J'ai eu foin d'effacer, autant que je l'ai pu, les couleurs fades d'un amour déplacé, que j'avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce fujet exige.

(a) Cette lettre a été trouvée dans les papiers du père Porée après la mort.

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