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ce moment que Lażus a été tué de fa main. Il eft trifte d'être obligé, pour cacher cette faute, de fuppofer que la vengeance des dieux ôte dans un temps la mémoire à Oedipe, et la lui rend dans un autre. La fcène fuivante d'Oedipe et de Phorbas me paraît bien moins intéreffante chez moi que dans Corneille. Oedipe, dans ma pièce, eft déjà inftruit de fon malheur avant que Phorbas achève de l'en perfuader: Phorbas ne laiffe l'efprit du fpectateur dans aucune incertitude, il ne lui inspire aucune furprise, il ne doit donc point l'intéreffer. Dans Corneille, au contraire, Oedipe, loin de fe douter d'être le meurtrier de Laius, croit en être le vengeur, et il fe convainc lui-même en voulant convaincre Phorbas. Cet artifice de Corneille ferait admirable, fi Oedipe avait quelque lieu de croire que Phorbas eft coupable, et fi le nœud de la pièce n'était pas fondé fur un menfonge puéril.

C'est un conte, Dont Phorbas, au retour, voulut cacher fa honte.

Je ne poufferai pas plus loin la critique de mon ouvrage; il me femble que j'en ai reconnu les défauts les plus importans. On ne doit pas en exiger davantage d'un auteur, et peut-être un cenfeur ne m'aurait-il pas plus maltraité. Si l'on me demande pourquoi je n'ai pas corrigé ce que je condamne, je répondrai qu'il y a fouvent dans un ouvrage des défauts qu'on eft obligé de laiffer malgré foi; et d'ailleurs il y a peut-être autant d'honneur à avouer fes fautes qu'à les corriger: j'ajouterai encore que j'en ai ôté autant qu'il en

refte. Chaque représentation de mon Oedipe était pour moi un examen févère, où je recueillais les fuffrages et les cenfures du public, et j'étudiais fon goût pour former le mien. Il faut que j'avoue que Monfeigneur le prince de Conti eft celui qui m'a fait les critiques les plus judicieuses et les plus fines. S'il n'était qu'un particulier, je me contenterais d'admirer fon difcernement: mais puifqu'il eft élevé au-dessus des autres autant par fon efprit que par fon rang, j'ofe ici le fupplier d'accorder fa protection aux belles - lettres dont il a tant de connaiffance.

J'oubliais de dire que j'ai pris deux vers dans l'Oedipe de Corneille. L'un eft au premier acte:

Ce monftre à voix humaine, aigle, femme et lion: L'autre eft au dernier acte; c'eft une traduction de Sénèque.

Nec vivis miftus, nec fepultis:

Et le fort qui l'accable, Des morts et des vivans femble le féparer.

Je n'ai point fait fcrupule de voler ces deux vers, parce qu'ayant précisément la même chofe à dire que Corneille, il m'était impoffible de l'exprimer mieux; et j'ai mieux aimé donner deux bons vers de lui que d'en donner deux mauvais de moi.

Il me reste à parler de quelques rimes que j'ai hafardées dans ma tragédie. J'ai fait rimer héros à tombeaux, contagion à poison, etc. Je ne défends point ces rimes parce que je les ai employées, mais je ne m'en fuis fervi que parce que je les ai crues bonnes. Je ne puis fouffrir qu'on facrifie

à la richeffe de la rime toutes les autres beautés de la poéfie, et qu'on cherche plutôt à plaire à l'oreille qu'au cœur et à l'efprit. On pouffe même la tyrannie jufqu'à exiger qu'on rime pour les yeux encore plus que pour les oreilles. Je ferois, j'aimerois etc. ne fe prononcent point autrement que traits et attraits: cependant on prétend que ces mots ne riment point ensemble, parce qu'un mauvais ufage veut qu'on les écrive différemment. M. Racine avait mis dans fon Andromaque :

M'en croirez-vous? Laffé de fes trompeurs attraits,
Au lieu de l'enlever, Seigneur, je la fuirois.

Le fcrupule lui prit, et il ôta la rime fuirois qui me paraît, à ne confulter que l'oreille, beaucoup plus jufte que celle de jamais qu'il lui fubftitua.

La bizarrerie de l'ufage, ou plutôt des hommes qui l'établiffent, eft étrange fur ce fujet comme fur bien d'autres. On permet que le mot abborre, qui a deux r, rime avec encore qui n'en a qu'une. Par la même raison, tonnerre et terre devraient rimer avec père et mère: cependant on ne le fouffre pas, et perfonne ne réclame contre cette injuftice.

Il me paraît que la poéfie française y gagnerait beaucoup, fi l'on voulait fecouer le joug de cet ufage déraisonnable et tyrannique. Donner aux auteurs de nouvelles rimes, ce ferait leur donner de nouvelles pensées; car l'affujettiffement à la rime fait que fouvent on ne trouve dans la langue qu'un feul mot qui puiffe finir un vers: on ne dit prefque jamais ce qu'on voulait dire; on ne peut fe fervir

du mot propre; et l'on eft obligé de chercher une pensée pour la rime, parce qu'on ne peut trouver de rime pour exprimer ce que l'on pense.

C'eft à cet efclavage qu'il faut imputer plufieurs impropriétés qu'on eft choqué de rencontrer dans nos poëtes les plus exacts. Les auteurs fentent encore mieux que les lecteurs la dureté de cette contrainte et ils n'ofent s'en affranchir. Pour moi, dont l'exemple ne tire point à conféquence, j'ai tâché de regagner un peu de liberté; et fi la poéfie occupe encore mon loifir, je préférerai toujours les chofes aux mots, et la penfée à la rime.

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Qui contient une dissertation fur les Chœurs.

MONSIEUR, il ne me reste plus qu'à parler du choeur que j'introduis dans ma pièce. J'en ai fait un perfonnage qui paraît à fon rang comme les autres acteurs, et qui fe montre quelquefois fans parler, feulement pour jeter plus d'intérêt dans la fcène, et pour ajouter plus de pompe au fpectacle.

Comme on croit d'ordinaire que la route qu'on a tenue, était la feule qu'on devait prendre, je m'imagine que la manière dont j'ai hafardé les chœurs eft la feule qui pouvait réuffir parmi nous.

Chez les anciens, le choeur rempliffait l'intervalle des actes, et paraiffait toujours fur la fcène. Il y avait à cela plus d'un inconvénient; car ou il parlait dans les entr'actes de ce qui s'était paffé dans les actes précédens, et c'était une répétition

fatigante; ou il prévenait de ce qui devait arriver dans les actes fuivans, et c'était une annonce qui pouvait dérober le plaifir de la furprise; ou enfin il était étranger au fujet, et par conféquent il devait ennuyer.

La préfence continuelle du choeur dans la tragédie me paraît encore plus impraticable. L'intrigue. d'une pièce intéreffante exige d'ordinaire que les principaux acteurs aient des fecrets à fe confier. Eh! le moyen de dire fon fecret à tout un peuple? C'est une chofe plaifante de voir Phèdre, dans Euripide, avouer à une troupe de femmes un amour inceftueux qu'elle doit craindre de s'avouer à elle-même. On demandera peut-être comment les anciens pouvaient conferver fi fcrupuleufement un ufage fi fujet au ridicule; c'eft qu'ils étaient perfuadés que le choeur était la bafe et le fondement de la tragédie. Voilà bien les hommes, qui prennent prefque toujours l'origine d'une chofe pour l'effence de la chofe méme. Les anciens favaient que ce fpectacle avait commencé par une troupe de payfans ivres qui chantaient les louanges de Bacchus, et ils voulaient que le théâtre fût toujours rempli d'une troupe d'acteurs, qui, en chantant les louanges des dieux, rappelaffent l'idée que le peuple avait de l'origine de la tragédie. Long-temps même le poëme dramatique ne fut qu'un fimple choeur; les perfonnages qu'on y ajouta ne furent regardés que comme des épisodes: et il y a encore aujourd'hui des favans qui ont le courage d'affurer que nous n'avons aucune idée de la véritable tragédie, depuis que nous en avons

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