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extrémités, et qu'il fuppléât par la fécondité de fon génie à l'aridité de la matière. Il choifit donc l'épisode de Thésée et de Dircé; et quoique cet épisode ait été univerfellement condamné, quoique Corneille eût pris dès long-temps la glorieuse habitude d'avouer fes fautes, il ne reconnut point celle-ci; et parce que cet épisode était tout entier de fon invention, il s'en applaudit dans fa préface: tant il eft difficile aux plus grands hommes, et même aux plus modeftes de fe fauver des illufions de l'amour-propre.

2

Il faut avouer que Thésée joue un étrange rôle pour un héros. Au milieu des maux les plus horribles dont un peuple puiffe être accablé, il débute par dire que,

Quelque ravage affreux que faffe ici la peste, L'abfence aux vrais amans eft encor plus funefte. Et parlant, dans la feconde fcène, à Oedipe: Il veut lui faire voir un beau feu dans fon fein, Et tâcher d'obtenir un aveu favorable, Qui peut faire un heureux d'un amant,miférable. .... Il eft vrai, j'aime en votre palais; Chez vous eft la beauté qui fait tous mes fouhaits. Vous l'aimez à l'égal d'Antigone et d'Ifmène, Elle tient même rang chez vous et chez la reine; En un mot, c'eft leur fœur, la princeffe Dircé, Dont les yeux. . . .

Oedipe répond:

Quoi! fes yeux, Prince, vous ont bleffé?
Je suis fâché pour vous que la reinc sa mère
Ait fu vous prévenir pour un fils de fon frère.

Ma' parole eft donnée et je n'y puis plus rien:
Mais je crois qu'après tout fes fœurs la valent bien.
THÉSÉE.

Antigone eft parfaite, Ifmène eft admirable;
Dircé, fi vous voulez, n'a rien de comparable;
Elles font, l'une et l'autre,un chef-d'œuvre des cieux;
Mais...

Ce n'est pas offenfer deux fi charmantes fœurs,
Que voir en leur aînée auffi quelques douceurs.
Il faut avouer que les difcours de Guillot-
Gorju et de Tabarin ne font guère différens.

Cependant l'ombre de Laius demande un prince ou une princeffe de fon fang pour victime; Dircé, feul refte du fang de ce roi, eft prête à s'immoler fur le tombeau de fon père: Thefee qui veut mourir pour elle, lui fait accroire qu'il eft fon frère, et ne laiffe pas de lui parler d'amour malgré la nouvelle parenté.

J'ai mêmes yeux encore, et vous mêmes appas, Mon cœur n'écoute point ce que le fang veut dire; C'eft d'amour qu'il gémit, c'eft d'amour qu'il foupire; Et pour pouvoir fans crime en goûter la douceur, Il fe révolte exprès contre le nom de fœur.

Cependant, qui le croirait? Théfée, dans cette même fcène, fe laffe de fon ftratagême. Il ne peut pas foutenir plus long-temps le perfonnage de frère; et fans attendre que le frère de Dircé foit connu, il lui avoue toute la feinte, et la remet par-là dans le péril dont il voulait la tirer, en lui difant pourtant:

Que l'amour, pour défendre une fi chère vie,
Peut faire vanité d'un peu de tromperie.

Enfin, lorfqu'Oedipe reconnaît qu'il eft le meurtrier de Laius, Théfée, au lieu de plaindre ce malheureux roi, lui propofe un duel pour le lendemain; et il époufe Dircé à la fin de la pièce. Ainfi la paffion de Thésée fait tout le fujet de la tragédie, et les malheurs d'Oedipe n'en font que l'épisode.

Dircé, perfonnage plus défectueux que Thésée, paffe tout fon temps à dire des injures à Oedipe et à fa mère; elle dit à Jocafte, fans détour, qu'elle eft indigne de vivre.

Votre fecond hymen peut avoir d'autres causes:
Mais j'oferai vous dire, à bien juger des chofes,
Que pour avoir puifé la vie en votre flanc,
J'y dois avoir fucé fort peu de votre fang.
Celui du grand Laius dont je m'y fuis formée,
Trouve bien qu'il eft doux d'aimer et d'être aimée;
Mais il ne trouve pas qu'on soit digne du jour,
Lorfqu'aux foins de fa gloire on préfère l'amour.

Il est étonnant que Corneille, qui a fenti ce défaut, ne l'ait connu que pour l'excufer. Ce manque de refpect, dit-il, de Dircé envers fa mère, ne peut être une faute de théâtre, puifque nous ne sommes pas obligés de rendre parfaits ceux que nous y fefons voir. Non, fans doute, on n'eft pas obligé de faire des gens de bien de tous fes perfonnages; mais les bienféances exigent du moins qu'une princeffe, qui a affez de vertu pour vouloir fauver fon peuple aux dépens de fa vie, en ait affez pour ne point dire des injures atroces à fa mère.

Pour

Pour Jocafte, dont le rôle devrait être intéreffant,puifqu'elle partage tous les malheurs d'Oedipe, elle n'en eft pas même le témoin; elle ne parait point au cinquième acte, lorsqu'Oedipe apprend qu'il eft fon fils: en un mot, c'eft un perfonnage abfolument inutile, qui ne fert qu'à raifonner avec Thésée, et à excufer les infolences de fa fille, qui agit, dit-elle,

En amante à bon titre, en princeffe avifée.

Finiffons par examiner le rôle d'Oedipe, et avec Jui la contexture du poëme.

Oedipe commence par vouloir marier une de fes filles avant que de s'attendrir fur les malheurs des Thébains; bien plus condamnable en cela que Théfée, qui, n'étant point chargé comme lui du falut de tout ce peuple, peut fans crime écouter fa paffion.

Cependant comme il fallait bien dire au premier acte quelque chofe du fujet de la pièce, on en touche un mot dans la cinquième fcène. Oedipe foupçonne que les dieux font irrités contre les Thébains, parce que Jocafte avait autrefois fait expofer fon fils, et trompé par-là les oracles des dieux, qui prédifaient que ce fils tuerait fon pere et épouferait fa mère.

Il me femble qu'il doit plutôt croire que les dieux font fatisfaits que Jocafte ait étouffé un monftre au berceau ; et vraisemblablement ils n'ont prédit les crimes de ce fils, qu'afin qu'on l'empê chât de les commettre.

Jocafte foupçonne,avec auffi peu de fondement,
Théâtre. Tome I.

D

que les dieux puniffent les Thébains de n'avoir pas vengé la mort de Laius. Elle prétend qu'on n'a jamais pu venger cette mort, comment donc peutelle croire que les dieux la puniffent de n'avoir pas fait l'impoffible?

Avec moins de fondement encore, Oedipe répond:

2

Pourrons-nous en punir des brigands inconnus
Que peut-être jamais en ces lieux on n'a vus?
Si vous m'avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadême.

Au lieu même, au temps même, attaqué feul par trois, J'en laiffai deux fans vie, et mis l'autre aux abois.

Oedipe n'a aucune raifon de croire que ces trois voyageurs fuffent des brigands, puifqu'au quatrième acte, lorfque Phorbas paraît devant lui, il lui dit : Et tu fus un des trois que je fus arrêter,

Dans ce paffage étroit qu'il fallut difputer.

S'il les a arrêtés lui-même, et s'il ne les a combattus que parce qu'ils ne voulaient pas lui céder le pas, il n'a point dû les prendre pour des voleurs, qui font ordinairement très-peu de cas des cérémonies, et qui fongent plutôt à dépouiller les paffans qu'à leur difputer le haut du pavé.

Mais il me femble qu'il y a dans cet endroit une faute encore plus grande. Oedipe avoue à Jocafte qu'il s'eft battu contre trois inconnus au temps même et au lieu même où Laius a été tué. Jocafte fait que Laius n'avait avec lui que deux compagnons de voyage. Ne devait-elle donc pas foup

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