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Hymen, funefte hymen, tu m'as donné la vie;
Mais dans ces mêmes flancs où je fus renfermé,
Tu fais rentrer ce fang dont tu m'avais formé;
Et par-là tu produis et des fils et des pères,
Des frères, des maris, des femmes et des mères,
Et tout ce que du fort la maligne fureur

Fit jamais voir au jour et de honte et d'horreur.

Premièrement, il fallait exprimer que c'est dans la même perfonne qu'on trouve ces mères et ces maris; car il n'y a point de mariage qui ne produife de tout cela. En fecond lieu, on ne pafferait pas aujourd'hui à Oedipe de faire une fi curieuse recherche des circonftances de fon crime, et d'en combiner ainfi toutes les horreurs; tant d'exactitude à compter tous fes titres incestueux, loin d'ajouter à l'atrocité de l'action, femble plutôt l'affaiblir.

Ces deux vers de Corneille difent beaucoup plus.

Ce font eux qui m'ont fait l'affaffin de mon père;
Ce font eux qui m'ont fait le mari de ma mère.

Les vers de Sophocle font d'un déclamateur, et ceux de Corneille font d'un poëte.

Vous voyez que dans la critique de l'Oedipe de Sophocle, je ne me fuis attaché à relever que les défauts qui font de tous les temps et de tous les lieux; les contradictions, les abfurdités, les vaines déclamations font des fautes par tout pays.

Je ne fuis point étonné que, malgré tant d'imperfections, Sophocle ait furpris l'admiration de fon fiècle. L'harmonie de fes vers et le pathétique qui règne dans fon ftyle, ont pu féduire les Athéniens,

qui, avec tout leur efprit et toute leur politeffe, ne pouvaient avoir une jufte idée de la perfection d'un art qui était encore dans fon enfance.

Sophocle touchait au temps où la tragédie fut inventée Efchyle, contemporain de Sophocle, était le premier qui fe fút avifé de mettre plufieurs perfonnages fur la fcène. Nous fommes auffi touchés de l'ébauche la plus groffière dans les premières découvertes d'un art, que des beautés les plus achevées lorfque la perfection nous est une fois connue. Ainfi Sophocle et Euripide, tout imparfaits qu'ils font, ont autant réuffi chez les Athéniens que Corneille et Racine parmi nous. Nous devons nous-mêmes, en blâmant les tragédies des Grecs, refpecter le génie de leurs auteurs; leurs fautes font fur le compte de leur fiècle, leurs beautés n'appartiennent qu'à eux: et il eft à croire que s'ils étaient nés de nos jours, ils auraient perfectionné l'art qu'ils ont prefque inventé de leur temps.

Il eft vrai qu'ils font bien déchus de cette haute eftime où ils étaient autrefois; leurs ouvrages font aujourd'hui ou ignorés, ou méprifés; mais je crois que cet oubli et ce mépris font au nombre des injuftices dont on peut accufer notre fiècle. Leurs ouvrages méritent d'étre lus fans doute: et s'ils font trop défectueux pour qu'on les approuve, ils font aufli trop pleins de beautés. pour qu'on les méprife entièrement.

Euripide fur-tout, qui me paraît fi fupérieur à Sophocle, et qui ferait le plus grand des poëtes s'il était né dans un temps plus éclairé, a laiffé des

ouvrages qui décèlent un génie parfait, malgré les imperfections de fes tragédies.

Eh! quelle idée ne doit-on point avoir d'un poëte qui a prêté des fentimens à Racine même ? Les endroits que ce grand homme a traduits d'Euripide, dans fon inimitable rôle de Phèdre, ne font pas les moins beaux de fon ouvrage.

......

Dieux, que ne fuis-je affife à l'ombre des forêts!
Quand pourrai-je, au travers d'une noble pouffière,
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière!
Infenfée, où fuis-je et qu'ai-je dit?
Où laiffai-je égarer mes vœux et mon efprit?
Je l'ai perdu, les dieux m'en ont ravi l'usage.
Oenone, la rougeur me couvre le vifage;
Je te laiffe trop voir mes honteufes douleurs,
Et mes yeux, malgré moi, fe rempliffent de pleurs.

Prefque toute cette fcène eft traduite mot pour mot d'Euripide. Il ne faut pas cependant que le lecteur, féduit par cette traduction, s'imagine que la pièce d'Euripide foit un bon ouvrage. Voilà le feul bel endroit de fa tragédie, et même le feul raifonnable; car c'eft le feul que Racine ait imité. Et comme on ne s'avifera jamais d'approuver l'Hippolyte de Sénèque, quoique Racine ait pris dans cet auteur toute la déclaration de Phèdre; auffi ne doit-on pas admirer l'Hippolyte d'Euripide, pour trente ou quarante vers qui fe font trouvés dignes d'être imités par le plus grand de nos poëtes.

Molière prenait quelquefois des fcènes entières dans Cyrano de Bergerac, et difait pour fon

excufe: Cette fcène eft bonne, elle m'appartient de droit; je reprends mon bien par-tout où je le

trouve.

Racine pouvait à peu près en dire autant d'Euripide.

Pour moi, après vous avoir dit bien du mal de Sophocle, je fuis obligé de vous en dire tout le bien que j'en fais: tout différent en cela des médifans, qui commencent toujours par louer un homme, et qui finiffent par le rendre ridicule.

J'avoue que peut-être, fans Sophocle, je ne ferais jamais venu à bout de mon Oedipe. Je ne l'aurais même jamais entrepris. Je traduifis d'abord la première fcène de mon quatrième acte: celle du Grand-Prêtre qui accufe le roi eft entièrement de lui: la fcène des deux vieillards lui appartient encore. Je voudrais lui avoir d'autres obligations, je les avouerais avec la même bonnefoi. Il eft vrai que comme je lui dois des beautés, je lui dois auffi des fautes, et j'en parlerai dans l'examen de ma pièce, où j'efpère vous rendre compte des miennes.

LETTRE IV.

Contenant la critique de l'Oedipe de Corneille. MONSIEUR, après vous avoir fait part de mes fentimens fur l'Oedipe de Sophocle, je vous dirai ce que je penfe de celui de Corneille. Je refpecte beaucoup plus, fans doute, ce Tragique Français que le Grec ; mais je refpecte encore plus la vérité,

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à qui je dois les premiers égards. Je crois même que quiconque ne fait pas connaitre les fautes des grands hommes, eft incapable de fentir le prix de leurs perfections. J'ofe donc critiquer l'Oedipe de Corneille et je le ferai avec d'autant plus de liberté, que je ne crains point que vous me foupçonniez de jaloufie, ni que vous me reprochiez de vouloir m'égaler à lui. C'eft en l'admirant que je hasarde ma cenfure; et je crois avoir une eftime plus véritable pour ce fameux poëte, que ceux qui jugent de l'Oedipe par le nom de l'auteur, non par l'ouvrage même; et qui euffent méprifé dans tout autre ce qu'ils admirent dans l'auteur de Cinna.

Corneille fentit bien que la fimplicité, ou plutôt la féchereffe de la tragédie de Sophocle, ne pouvait fournir toute l'étendue qu'exigent nos pièces de théâtre. On fe trompe fort, lorsqu'on penfe que tous ces fujets, traités autrefois avec fuccès par Sophocle et par Euripide, l'Oedipe, le Philoctete, l'Electre, l'lphigénie en Tauride, font des fujets heureux et aifés à manier; ce font les plus ingrats et les plus impraticables: ce font des fujets d'une ou de deux fcènes tout au plus, et non pas d'une tragédie. Je fais qu'on ne peut guère voir fur le théâtre des événemens plus affreux ni plus attendriffans; et c'est cela même qui rend le fuccès plus difficile. Il faut joindre à ces événemens des paffions qui les préparent: li ces paffions font trop fortes, elles étouffent le fujet; fi elles font trop faibles, elles languiffent. Il fallait que Corneille marchât entre ces deux

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