Obrazy na stronie
PDF
ePub

de la faibleffe et de la ftérilité à étendre une action au-delà de l'efpace de temps et du lieu convenable. Demandez à quiconque aura inféré dans une pièce trop d'événemens, la raifon de cette faute: s'il eft de bonne foi, il vous dira qu'il n'a pas eu affez de génie pour remplir fa pièce d'un feul fait; et s'il prend deux jours et deux veilles pour fon action, croyez que c'eft parce qu'il n'aurait pas eu l'adreffe de la refferrer dans l'efpace de trois heures et dans l'enceinte d'un palais, comme l'exige la vraisemblance. Il en est tout autrement de celui qui hafarderait un fpectacle horrible fur le théâtre. Il ne choquerait point la vraifemblance; et cette hardieffe, loin de fuppofer de la faibleffe dans l'auteur, demanderait au contraire un grand génie pour mettre par fes vers de la veritable grandeur dans une action qui, fans un ftyle fublime, ne ferait qu'atroce et dégoûtante.

,

Voilà ce qu'a ofé tenter une fois notre grand Corneille, dans fa Rodogune. Il fait paraître une mère qui, en préfence de la Cour et d'un ambaffadeur, veut empoifonner fon fils et fa belle-fille, après avoir tué fon autre fils de fa propre main. Elle leur préfente la coupe empoifonnée, et fur leur refus et leurs foupçons, elle la boit elle-même, et meurt du poifon qu'elle leur deftinait. Des coups aufli terribles ne doivent pas être prodigués, et il n'appartient pas à tout, le monde d'ofer les frapper. Ces nouveautés. demandent une grande circonfpection, et une exécution de maître. Les Anglais eux-mêmes avouent que Shakespeare, par exemple, a été le feul

parmi eux qui ait fu évoquer et faire parler des ombres avec fuccès.

Within that circle none durft move but he.

Plus une action théâtrale eft majestueuse ou effrayante, plus elle deviendrait infipide, fi elle était fouvent répétée; à peu près comme les détails de batailles, qui étant par eux-mêmes ce qu'il y a de plus terrible, deviennent froids et ennuyeux, à force de reparaître fouvent dans les hiftoires. La feule pièce où M. Racine ait mis du fpectacle, c'eft fon chef-d'œuvre d'Athalie. On y voit un enfant fur un trône, fa nourrice et des prêtres qui l'environnent, une reine qui commande à fes foldats de le maffacrer, des Lévites armés qui accourent pour le défendre. Toute cette action eft pathétique; mais fi le style ne l'était pas auffi, elle ne ferait que puérile. Plus on veut frapper les yeux par un appareil éclatant, plus on s'impofe la néceffité de dire de grandes chofes; autrement on ne ferait qu'un décorateur, et non un poëte tragique. Il y a près de trente années qu'on repréfenta la tragédie de Montezume, à Paris; la fcène ouvrait par un fpectacle nouveau; c'était un palais d'un goût magnifique et barbare; Montezume paraiffait avec un habit fingulier; des efclaves armés de flèches étaient dans le fond; autour de lui étaient huit Grands de fa Cour, profternés le vifage contre terre: Montezume commençait

la pièce en leur difant:

Levez-vous,

[ocr errors]

Levez-vous, votre roi vous permet aujourd'hui

Et de l'envisager, et de parler à lui.

Ce fpectacle charma: mais voilà tout ce qu'il y eut de beau dans cette tragédie.

Pour moi, j'avoue que ce n'a pas été fans quelque crainte que j'ai introduit fur la fcène française le Sénat de Rome en robes rouges, allant aux opinions. Je me fouvenais que lorfque j'introduifis autrefois dans Oedipe un choeur de Thébains qui difait :

O Mort, nous implorons ton funefte fecours!
O Mort, viens nous sauver, viens terminer nos jours!

le parterre, au lieu d'être frappé du pathétique qui pouvait être en cet endroit, ne fentit d'abord que le prétendu ridicule d'avoir mis ces vers dans la bouche d'acteurs peu accoutumés, et il fit un éclat de rire. C'eft ce qui m'a empêché dans Brutus de faire parler les Sénateurs, quand Titus eft accufé devant eux, et d'augmenter la terreur de la fituation, en exprimant l'étonnement et la douleur de ces Pères de Rome, qui fans doute devaient marquer leur furprise autrement que par un jeu muet qui même n'a pas été exécuté.

Les Anglais donnent beaucoup plus à l'action que nous, ils parlent plus aux yeux: les Français donnent plus à l'élégance, à l'harmonie, aux charmes des vers. Il est certain qu'il eft plus difficile de bien écrire, que de mettre fur le théâtre des affaffinats, des roues, des potences, Théâtre. Tom. I. Z

des forciers et des revenans. Auffi, la tragédie de Caton, qui fait tant d'honneur à M. Addiffon, votre fucceffeur dans le Ministère; cette tragédie, la feule bien écrite d'un bout à l'autre chez votre nation, à ce que je vous ai entendu dire à vousmême, ne doit fa grande réputation qu'à fes beaux vers, c'est-à-dire, à des penfées fortes et vraies, exprimées en vers harmonieux. Ce font les beautés de détail qui foutiennent les ouvrages en vers, et qui les font paffer à la postérité. C'est souvent la manière fingulière de dire des chofes communes; c'eft cet art d'embellir par la diction ce que penfent et ce que fentent tous les hommes, qui fait les grands poëtes. Il n'y a ni fentimens recherchés, ni aventure romanefque dans le quatrième livre de Virgile; il eft tout naturel, et c'eft l'effort de l'efprit humain. M. Racine n'eft fi au-deffus des autres qui ont tous dit les mêmes chofes que lui, que parce qu'il les a mieux dites. Corneille n'eft véritablement grand, que quand il s'exprime auffi-bien qu'il penfe. Souvenons-nous de ce précepte de Defpréaux.

Et que tout ce qu'il dit, facile à retenir,

De fon ouvrage en vous laiffe un long fouvenir.

Voilà ce que n'ont point tant d'ouvrages dramatiques, que l'art d'un acteur, et la figure et la voix d'une actrice ont fait valoir sur nos théâtres. Combien de pièces mal écrites ont eu plus de repréfentations qué Cinna et Britannicus? Mais on n'a jamais retenu deux vers de ces faibles poëmes, au lieu qu'on fait une partie de Britan

nicus et de Cinna par cœur. En vain le Regulus de Pradon a fait verfer des larmes par quelques fituations touchantes; cet ouvrage et tous ceux qui lui reffemblent font méprifés, tandis que leurs auteurs s'applaudiffent dans leurs préfaces.

Des critiques judicieux pourraient me demander, pourquoi j'ai parlé d'amour dans une tragédie dont le titre eft JUNIUS-BRUTUS; pourquoi j'ai mêlé cette paffion avec l'auftère vertu du Sénat romain et la politique d'un ambaffadeur.

On reproche à notre nation d'avoir amolli le théâtre par trop de tendreffe; et les Anglais méritent bien le même reproche depuis près d'un fiècle; car vous avez toujours un peu pris nos modes et nos vices. Mais me permettez-vous de vous dire mon fentiment fur cette matière?

Vouloir de l'amour dans toutes les tragédies, me paraît un goût efféminé; l'en profcrire tou jours, eft une mauvaife humeur bien déraisonnable.

Le théâtre, fcit tragique, foit comique, eft la peinture vivante des paflions humaines. L'ambition d'un prince eft représentée dans la tragédie; la comédie tourne en ridicule la vanité d'un bourgeois. Ici vous riez de la coquetterie et des intrigues d'une citoyenne; là vous pleurez la malheureufe paffion de Phèdre: de même, l'amour vous amufe dans un roman; et il vous tranfporte dans la Didon de Virgile. L'amour dans une tragédie n'eft pas plus un défaut effentiel, que dans l'Enéïde; il n'eft à reprendre que quand il est amené mal à propos, ou traité fans art.

Les Grecs ont rarement hasardé cette paffion

« PoprzedniaDalej »