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Malgré toutes ces réflexions et toutes ces f tes, nous ne pourrons jamais fecouer le joug rime; elle eft effentielle à la poéfie franç Notre langue ne comporte que peu d'inversions: nos vers ne fouffrent point d'enjambement, du moins cette liberté est très-rare: nos fyllabes ne peuvent produire une harmonie fenfible par leurs mefures longues ou brèves: nos céfures et un certain nombre de pieds ne fuffiraient pas pour diftinguer la profe d'avec la verfification; la rime eft donc néceffaire aux vers français. De plus, tant de grands maîtres qui ont fait des vers rimés, tels que les Corneilles, les Racines, les Defpréaux, ont tellement accoutumé nos oreilles à cette harmonie, que nous n'en pourrions pas fupporter d'autres; et je le répète encore, quiconque voudrait fe délivrer d'un fardeau qu'a porté le grand Corneille, ferait regardé avec raifon, non pas comme un génie hardi qui s'ouvre une route nouvelle, mais comme un homme très-faible qui ne peut marcher dans l'ancienne carrière.

On a tenté de nous donner des tragédies en profe; mais je ne crois pas que cette entreprise puiffe déformais réuffir: qui a le plus, ne faurait fe contenter du moins. On fera toujours mal venu à dire au public: je viens diminuer votre plaifir. Si au milieu des tableaux de Rubens ou de PaulVéronèse, quelqu'un venait placer fes deflens au. crayon, n'aurait-il il pas tort de s'égaler à ces peintres? On eft accoutumé dans les fêtes, à des clanfes et à des chants; ferait-ce affez de marcher et de parler, fous prétexte qu'on marcherait et

qu'on parlerait bien, et que cela ferait plus aifé et plus naturel ?

Il y a grande apparence qu'il faudra toujours des vers fur tous les théâtres tragiques, et de plus, toujours des rimes fur le nôtre. C'est même à cette contrainte de la rime, et à cette févérité extréme de notre verfification, que nous devons ces excellens ouvrages que nous avons dans notre langue. Nous voulons que la rime ne coûte jamais rien aux penfées, qu'elle ne foit ni triviale ni trop recherchée; nous exigeons rigoureufement dans un vers la même pureté, la même exactitude que dans la prose. Nous ne permettons pas la moindre licence: nous demandons qu'un auteur porte fans difcontinuer toutes ces chaînes, et cependant qu'il paraiffe toujours libre: et nous ne reconnaissons pour poëtes que ceux qui ont rempli toutes ces conditions.

Voilà pourquoi il est plus aifé de faire cent vers en toute autre langue, que quatre vers en français. L'exemple de notre abbé Regnier-Defmarais, de l'académie française et de celle de la Crusca, en eft une preuve bien évidente. Il traduifit Anacréon en italien avec fuccès; et fes vers français sont, à l'exception de deux ou trois quatrains, au rang des plus médiocres. Notre Ménage était dans le même cas. Combien de nos beaux efprits ont fait de très-beaux vers latins, et n'ont pu être fupportables en leur langue!

Je fais combien de difputes j'ai effuyées fur notre verfification en Angleterre, et quels reproches me fait fouvent le favant évêque de Rochester fur cette contrainte puérile qu'il prétend que nous nous impofons de gaieté de cœur. Mais foyez perfuadé,

Mylord, que plus un étranger connaîtra notre langue, et plus il fe réconciliera avec cette rime qui l'effraie d'abord. Non-feulement elle eft néceffaire à notre tragédie, mais elle embellit nos comédies mêmes. Un bon mot en vers en eft retenu plus aifément les portraits de la vie humaine feront toujours plus frappans en vers qu'en profe; et qui dit Vers, en français, dit néceffairement des vers rimés: en un mot, nous avons des comédies en profe du célèbre Moliére, que l'on a été obligé de mettre en vers après fa mort, et qui ne font plus jouées que de cette manière nouvelle.

Ne pouvant, Mylord, hafarder fur le théâtre français des vers non rimés, tels qu'ils font en ufage en Italie et en Angleterre, j'aurais du moins voulu transporter fur notre fcène certaines beautés de la vôtre. Il est vrai, et je l'avoue, que le théâtre anglais eft bien défectueux. J'ai entendu de votre bouche, que vous n'aviez pas une bonne tragédie: mais en récompenfe, dans ces pièces fi monftrueufes, vous avez des fcènes admirables. Il a manqué jufqu'à préfent à prefque tous les auteurs tragiques de votre nation, cette pureté, cette conduite régulière, ces bienféances de l'action et du style, cette élégance, et toutes ces fineflès de l'art, qui ont établi la réputation du théâtre français depuis le grand Corneille mais vos pièces les plus irrégulières ont un grand mérite, c'eft celui de l'action.

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Nous avons en France des tragédies eftimées qui font plutôt des conversations, qu'elles ne font la repréfentation d'un événement. Un auteur italien m'écrivait dans une lettre fur les théâtres: Un

Critico del noftro Paftor-fido diffe, che quel com ponimento era un riaffunto di belliffimi Madrigali; credo, fe vivesse, che direbbe delle tragedie Francefe, che sono un riaffunto di belle elegie e fontuofi epitalami. J'ai bien peur que cet Italien n'ait trop raison. Notre délicateffe exceffive nous force quelquefois à mettre en récit ce que、 nous voudrions expofer aux yeux. Nous craignons de hafarder fur la fcène des fpectacles nouveaux devant une nation accoutumée à tourner en ridicule tout ce qui n'eft pas d'ufage.

L'endroit où l'on joue la comédie, et les abus qui s'y font gliffés, font encore une cause de cette féchereffe qu'on peut reprocher à quelques-unes de nos pièces. Les bancs qui font fur le théâtre destinés aux fpectateurs, rétréciffent la fcène, et rendent toute action prefque impraticable. (b) Ce défaut eft caufe que les décorations tant recommandées par les anciens, font rarement convenables à la pièce. Il empêche fur-tout que les acteurs ne paffent d'un appartement dans un autre aux yeux des fpectateurs, comme les Grecs et les Romains le pratiquaient fagement, pour conferver à la fois l'unité de lieu et la vraisemblance.

Comment oferions-nous fur nos théâtres faire paraître, par exemple, l'ombre de Pompée, ou le génie de Brutus, au milieu de tant de jeunes gens qui ne regardent jamais les chofes les plus férieufes

(b) Enfin ces plaintes réitérées de M. de Voltaire ont opéré a réforme du Théâtre en France, et ces abus ne fubfiftent plus.

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que comme l'occafion de dire un bon mot? Comment apporter au milieu d'eux fur la fcène, le corps de Marcus, devant Caton fon père, qui s'écrie: "Heureux jeune homme, tu es mort pour ton pays! O mes amis, laiffez-moi compter ces glorieufes bleffures! Qui ne voudrait mourir ainfi pour la patrie ? Pourquoi n'a-t-on qu'une vie à lui facrifier?.... Mes amis, ne pleurez » point ma perte, ne regrettez point mon fils; ,, pleurez Rome; la maîtreffe du monde n'eft plus: ô liberté ô ma patrie! ô vertu! etc. Voilà ce que feu M. Addisson ne craignit point de faire représenter à Londres; voilà ce qui fut joué, traduit en italien, dans plus d'une ville d'Italie. Mais fi nous hafardions à Paris un tel spectacle, n'entendez-vous pas déjà le parterre qui fe récrie? et ne voyez-vous pas nos femmes qui détournent la tête?

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Vous n'imagineriez pas à quel point va cette délicateffe. L'auteur de notre tragédie de Manlius prit fon fujet de la pièce anglaife de M. Otway, intitulée Venise fauvée. Le fujet eft tiré de l'histoire de la conjuration du Marquis de Bedmar, écrite par l'Abbé de St Réal, et permettez-moi de dire en paffant, que ce morceau d'hiftoire, égal peutêtre à Sallufte, eft fort au-deffus de la pièce d'Otway et de notre Manlius. Premièrement, vous remarquez le préjugé qui a forcé l'auteur français à déguifer fous des noms romains une aventure connue que l'Anglais a traitée naturellement fous les noms véritables. On n'a point trouvé ridicule au théâtre de Londres, qu'un ambaffadeur espagnol s'appelât Bedmar, et que des conjurés euffent le Théatre. Tome I. Y

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