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Sans parler de moi, c'eft un grand bonheur pour les lettres, que nous vivions fous un prince qui aime les beaux-arts autant qu'il hait la flatterie; et dont on peut obtenir la protection plutôt par de bons ouvrages que par des louanges, pour lefquelles il a un dégoût peu ordinaire dans ceux qui, par leur naiffance et par leur rang, font exposés à être loués toute leur vie.

LETTRE II.

MONSIEUR, avant que de vous faire lire ma tragédie, fouffrez que je vous prévienne fur le fuccès qu'elle a eu: non pas pour m'en applaudir, mais pour vous affurer combien je m'en défie.

Je fais que les premiers applaudiffemens du public ne font pas toujours de fúrs garans de la bonté d'un ouvrage. Souvent un auteur doit le fuccès de fa pièce ou à l'art des acteurs qui la jouent, ou à la décifion de quelques amis accrédités dans le monde qui entraînent pour un temps les fuffrages de la multitude; et le public eft étonné, quelques mois après, de s'ennuyer à la lecture du même ouvrage qui lui arrachait des larmes à la représentation.

Je me garderai donc bien de me prévaloir d'un fuccès peut-être paffager, et dont les comédiens ont plus à s'applaudir que moi-même.

On ne voit que trop d'auteurs dramatiques qui impriment, à la tête de leurs ouvrages, des préfaces pleines de vanité; qui comptent les princes

et les princeffes qui font venus pleurer aux repréfentations; qui ne donnent d'autres réponses à leurs cenfeurs que l'approbation du public; et qui enfin, après s'être placés à côté de Corneille et de Racine, fe trouvent confondus dans la foule des mauvais auteurs, dont ils font les feuls qui s'exceptent.

J'éviterai du moins ce ridicule: je vous parlerai de ma pièce, plus pour avouer mes défauts que pour les excufer: mais auffi je traiterai Sophocle et Corneille avec autant de liberté, que je me traiterai moi-même avec justice.

J'examinerai les trois Oedipes avec une égale exactitude. Le refpect que j'ai pour l'antiquité de Sophocle et pour le mérite de Corneille, ne m'aveuglera pas fur leurs défauts; l'amour - propre ne m'empêchera pas non plus de trouver les miens. Au refte, ne regardez point ces differtations comme les décifions d'un critique orgueilleux, mais comme les doutes d'un jeune homme qui cherche à s'éclairer. La décifion ne convient ni à mon âge ni à mon peu de génie; et fi la chaleur de la compofition m'arrache quelques termes peu mefurés, je les défavoue d'avance, et je déclare que je ne prétends parler affirmativement que fur mes fautes.

LETTRE III.

Contenant la critique de l'Oedipe de Sophocle MONSIEUR, mon peu d'érudition ne me permet pas d'examiner fi la tragédie de Sophocle fait fon imitation par le difcours, le nombre et l'harmonie; ce qu'Ariftote appelle expreffément un difcours agréablement assaisonné. (a) Je ne difcuterai pas non plus fi c'est une pièce du premier genre, fimple et implexe: Simple, parce qu'elle n'a qu'une feule catastrophe; et implexe parce qu'elle a la reconnaissance avec la péripétie.

Je vous rendrai feulement compte, avec fimplicité, des endroits qui m'ont révolté, et fur lesquels j'ai besoin des lumières de ceux qui, connaissant mieux que moi les anciens, peuvent mieux excufer tous leurs défauts.

La fcène ouvre dans Sophocle par un Chœur de Thébains profternés aux pieds des autels, et qui, par leurs larmes et par leurs cris, demandent aux dieux la fin de leurs calamités. Oedipe, leur libérateur et leur roi, paraît au milieu d'eux.

Je fuis Oedipe, leur dit-il, fi vanté par tout le monde. Il y a quelque apparence que les Thébains n'ignoraient pas qu'il s'appelait Oedipe.

A l'égard de cette grande réputation dont il fe vante, M. Dacier dit que c'est une adreffe de Sophocle, qui veut fonder par-là le caractère d'Oedipe qui est orgueilleux.

(a) M. Dacier, préface fur l'Oedipe de Sophocle.

Mes enfans, dit Oedipe, quel eft le fujet qui vous amène ici? Le grand-prêtre lui répond : Vous voyez devant vous des jeunes gens et des vieillards. Moi qui vous parle, je fuis le grandprêtre de Jupiter. Votre ville eft comme un vaiffeau battu de la tempête, elle est prête d'être abimée, et n'a pas la force de furmonter les flots qui fondent fur elle. De-là,.le grand-prêtre prend occafion de faire une defcription de la pefte, dont Oedipe était auffi bien informé que du nom et de la qualité du grand-prêtre de Júpiter; d'ailleurs ce grand-prêtre rend-il fon homélie bien pathétique, en comparant une ville pestiférée, couverte de morts et de mourans, à un vaiffeau battu de la tempête ? Ce prédi cateur ne favait-il pas qu'on affaiblit les grandes chofes quand on les compare aux petites?

Tout cela n'eft guère une preuve de cette per, fection où l'on prétendait, il y a quelques années, que Sophocle avait pouffé la tragédie; et il ne pa raît pas qu'on ait fi grand tort, dans ce fiècle, de refufer fon admiration à un poëte qui n'emploie d'autre artifice pour faire connaître fes perfonnages, que de faire dire à l'un: Je m'appelle Oedipe, fi vanté par tout le monde; et à l'autre. Je fuis le grand-prêtre de Jupiter. Cette groffiéreté n'eft plus regardée aujourd'hui comme une noble fimplicité.

La defcription de la pefte eft interrompue par l'arrivée de Créon, frère de Jocafte, que le roi avait envoyé confulter l'oracle, et qui commence par dire à Oedipe:

Seigneur, nous avons eu autrefois un roi qui s'appelait Laius.

OEDIPE.

Je le fais, quoique je ne l'aye jamais vu.

CREON.

Il a été affaffiné, et Apollon veut que nous puniffions fes meurtriers.

OEDIPE.

Fut-ce dans fa maison, ou à la campagne que Laius fut tué ?

Il eft déjà contre la vraisemblance, qu'Oedipe, qui règne depuis fi long-temps, ignore comment fon prédéceffeur eft mort: mais qu'il ne fache pas même fi c'eft aux champs ou à la ville que ce meurtre a été commis, et qu'il ne donne pas la moindre raifon, ni la moindre excufe de fon ignorance; j'avoue que je ne connais point de terme pour exprimer une pareille abfurdité.

C'eft une faute du fujet, dit-on, et non de l'auteur: comme fi ce n'était pas à l'auteur à corriger fon fujet lorfqu'il eft défectueux. Je fais qu'on peut me reprocher à peu-près la même faute: mais auffi je ne me ferai pas plus de grâce qu'à Sophocle, et j'efpère que la fincérité avec laquelle j'avouerai mes défauts, juftifiera la hardieffe que je prends de relever ceux d'un ancien.

Ce qui fuit me paraît également déraisonnable : Oedipe demande s'il ne revint perfonne de la fuite de Laius qui l'on puiffe en demander des nouvelles. On lui répond, qu'un de ceux qui accompagnaient ce malheureux rói s'étant fauvé, vint

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