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peine pour écrire fa Phèdre. Pradon fe vante d'avoir compofé la fienne en moins de trois mois. Comme le fuccès paffager des représentations d'une tragédie ne dépend point du ftyle, mais des acteurs et des fituations; il arriva que les deux Phedres femblèrent d'abord avoir une égale defti née; mais l'impreffion régla bientôt le rang de l'une et de l'autre. Pradon, felon la coutume des mauvais auteurs, eut beau faire une préface infolente, dans laquelle il traitait fes critiques de malhonnêtes gens; fa pièce, tant vantée par sa cabale et par lui, tomba dans le mépris qu'elle mérite; et fans la Phèdre de M. Racine, on ignorerait aujourd'hui que Pradon en a composé une.

Mais d'où vient enfin cette distance fi prodigieufe entre ces deux ouvrages? La conduite en est à peu-près la même. Phèdre eft mourante dans l'une et dans l'autre. Théfée eft abfent dans les premiers actes: il paffe pour avoir été aux enfers avec Pirithous. Hippolyte, fon fils, veut quitter Trézène; il veut fuir Aricie, qu'il aime. Il dé clare fa paffion à Aricie, et reçoit avec horreur celle de Phèdre: il meurt du même genre de mort, et fon gouverneur fait le récit de fa mort. Il y a plus les perfonnages des deux pièces fe trouvant dans les mêmes fituations, difent prefque les mêmes chofes; mais c'eft là qu'on diftingue le grand

homme, et le mauvais poëte. C'est lorfque Racine et Pradon penfent de même, qu'ils font le plus différens. En voici un exemple bien fenfible; dans la déclaration d'Hippolyte à Aricie, M. Racine fait ainfi parler Hippolyte.

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Moi qui contre l'amour fièrement révolté,
Aux fers de fes captifs ai long-temps infulté;
Qui, des faibles mortels déplorant les naufrages
Penfais toujours du bord contempler les orages;
Affervi maintenant fous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi?
Un moment a vaincu mon audace imprudente;
Cette ame fi fuperbe eft enfin dépendante.
Depuis près de fix mois, honteux, défefpéré,
Portant par-tout le trait dont je fuis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve ;
Préfente je vous fuis, abfente je vous trouve.
Dans le fond des forêts votre image me fuit;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite;
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolyte.
Moi-même, pour tout fruit de mes foins fuperflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.
Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune ;
Mes feuls gémiffemens font retentir les bois,
Et mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

Voici comment Hippolyte s'exprime dans Pradou.
Affez et trop long-temps, d'une bouche profane,
Je méprifai l'amour et j'adorai Diane.
Solitaire, farouche, on me voyait toujours

Chaffer dans nos forêts les lions et les ours.

Mais un foin plus preffant m'occupe et m'embarrasse.
Depuis que je vous vois j'abandonne la chaffe ;
Elle fit autrefois mes plaifirs les plus doux,
Et quand j'y vais, ce n'eft que pour penfer à vous.

On ne faurait lire ces deux pièces de comparaifon, fans admirer l'une et fans rire de l'autre. C'eft pourtant dans toutes les deux le même fonds de fentiment et de penfées; car, quand il s'agit de faire parler les paffions, tous les hommes ont prefque les mêmes idées; mais la façon de les exprimer diftingue l'homme d'efprit d'avec celui qui n'en a point, l'homme de génie d'avec celuj qui n'a que de l'efprit, et le poëte d'avec celuj qui veut l'être.

Pour parvenir à écrire comme M. Racine, il faudrait avoir fon génie, et polir autant que lui fes ouvrages. Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui né avec des talens fi faibles, et accablé par des maladies continuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger par un travail affidu les défauts de mes ouvrages? Je fens avec déplaifir toutes les fautes qui font dans la contexture de cette pièce, auffi-bien que dans la diction. J'en aurais corrigé quelques-unes, fi j'avais pu retarder cette édition; mais j'en aurais encore laiffé beaucoup. Dans tous les arts il y a un terme, par-delà lequel on ne peut plus avancer.

On eft refferré dans les bornes de fon talent; on voit la perfection au-delà de foi, et on fait des efforts impuiffans pour y atteindre.

Je ne ferai point une critique détaillée de cette pièce les lecteurs la feront affez fans moi. Mais je crois qu'il est néceffaire que je parle ici d'une critique générale qu'on a faite fur le choix du fujet de Mariamne. Comme le génie des Français eft de faifir vivement le côté ridicule des chofes les plus férieuses, on difait que le fujet de Mariamne n'était autre chofe qu'un vieux mari amoureux et brutal, à qui fa femme refuse avec aigreur le devoir conjugal; et on ajoutait, qu'une querelle de ménage ne pouvait jamais faire une tragédie. Je fupplie qu'on faffe avec moi quelques réflexions fur ce préjugé.

Les pièces tragiques font fondées, ou fur les intérêts de toute une nation, ou fur les intérêts particuliers de quelques princes. De ce premier genre, font l'Iphigénie en Aulide, où la Grèce affemblée demande le fang de la fille d'Agamemnon: les Horaces, où trois combattans ont entre les mains le fort de Rome : l'Oedipe, où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtrier de Laïus. Du fecond genre, font Britannicus, Phèdre, Mithridate, etc.

Dans ces trois dernières, tout l'intérêt eft ren

fermé dans la fainille du kéros de la pièce: tout roule fur des paffions que des bourgeois reffentent comme les princes; et l'intrigue de ces ouvrages eft aufli propre à la comédie qu'à la tragédie. Otez les noms, Mithridate n'eft qu'un vieillard amoureux d'une jeune fille: fes deux fils en font amoureux auffi; et il fe fert d'une rufe affez baffe pour découvrir celui des deux qui eft aimé. Phèdre eft une belle-mère qui, enhardie par une intrigante, fait des propofitions à fon beau-fils, lequel eft occupé ailleurs. Néron eft un jeune homme impétueux, qui devient amoureux tout d'un coup, qui dans le moment veut fe féparer d'avec fa femme, et qui fe cache derrière une tapisserie pour écouter les difcours de fa maîtresse. Voilà des fujets que Molière a pu traiter comme Racine. Auffi, l'intrigue de l'Avare eft-elle précifément la même que celle de Mithridate. Harpagon et le roi de Pont font deux vieillards amoureux; l'un et l'autre ont leur fils pour rival; l'un et l'autre se servent du même artifice pour découvrir l'intelligence qui eft entre leur fils et leur maîtreffe; et les deux pièces finiffent par le mariage du jeune homme.

Molière et Racine ont également réuffi, en traitant ces deux intrigues : l'un a amnufé, a réjoui, a fait rire les honnêtes gens; l'autre a attendri,

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