Il eft vrai que je n'avais pas vingt ans alors; mais ce n'eft pas une raifon qui puiffe faire croire que j'aye fait les vers de M. Le Brun. Hos Le Brun verficulos fecit: tulit alter honores. ́calomnie, devant un fecrétaire d'Etat; c'est fur quoi un vieux connaiffeur en vers et en hommes, m'a dit : Oh le beau billet qu'a La Châtre ! Continuez, mon enfant, à faire des tragédies; renoncez à toute profeffion férieuse pour ce malheureux métier; et comptez que vous ferez harcelé publiquement toute votre vie, puisque vous êtes affez abandonné de Dieu pour vous faire de gaieté de cœur un homme public. Il m'en a cité cent exemples; il m'a donné les meilleures raifons du monde pour me détourner de faire des vers. Que lui ai-je répondu? Des vers. Je me fuis donc aperçu de bonne heure, qu'on ne peut ni résister à fon goût dominaut, ni vaincre fa deftinée. Pourquoi la nature force-t-elle un homme à calculer, celuici à faire rimer des fyllabes, cet autre à former des croches et des rondes fur des lignes parallèles ? Scit Genius, natale comes qui temperat aftrum. Mais on prétend que tous peuvent dire : Ploravere fuis non refpondere favorem Boileau difait à Racine: Ceffe de t'étonner fi l'envie animée, Attachant à ton nom fa rouille envenimée, La calomnie en main quelquefois te pourfuit." " Scudéri et l'abbé d'Aubignac calomniaient Corneille : Montfleuri ettoute fa troupe calomniaient Molière: Térence fe plaint dans fes-prologues d'être calomnié par un vieux poëte: Aristophane calomnia Socrate: Homère fut calomnié par Margites. C'eft-là l'hiftoire de tous les arts et de toutes les profeffions. Vous favez comment M. le Régent a daigné me confoler de ces petites perfécutions; vous favez quel beau préfeur 1 J'apprends que c'est un des avantages attachés à la littérature, et fur-tout à la poéfie, d'être expofé à être accufé fans ceffe de toutes les fottifes qui courent la ville. On vient de me montrer une épître de l'abbé de Chaulieu au marquis de La Fare, dans laquelle il fe plaint de cette injustice. Voici le paflage: Accort, infinuant, et quelquefois flatteur, Tout l'ufage que pouvait faire il m'a fait. Je ne dirai pas comme Chapelain difait de Louis XIII. Les trois fois mille francs qu'il met dans ma famille, Charile, Chapelain et moi, nous avons été tous trois trop bien payés pour de mauvais vers. Retulit acceptos, regale numifma, Philippos. Le Régent qui s'appelle Philippe, rend la comparaifon parfaite. Ne nous énorgueilliffons ni des méchancetés de nos ennemis, ni des bontés de nos protecteurs; on peut être avec tout cela un homme très-médiocre on peut être récompenfé et envié fans aucun mérite. J'appris, fans rabot et fans lime, Que ne m'ont point coûté ces funeftes talens! Affublé du nom de poëte. Dès lors, on ne fit de chanfon, Sur la foi d'un ricanement, Qui n'était que l'effet d'un gai tempérament, Perfonne devant moi ne ferait ridicule. Ils m'ont fait là - dessus mille injuftes procès; On m'imputa des vers que je n'ai jamais faits; Ces vers, Monfieur, ne font pas dignes de l'auteur de la Tocane et de la Retraite ; vous les trouverez bien plats, (a) et aufli remplis de fautes (a) Tout ce morceau fut retranché dans l'édition qu'on fit de ces Lettres, parce qu'on ne voulut pas affliger l'abbé de Chaulieu: on doit des égards aux vivans; on ne doit aux morts que la vérité, que d'une vanité ridicule; je vous les cite comme une autorité en ma faveur: mais j'aime mieux vous citer l'autorité de Boileau. Il ne répondit un jour aux complimens d'un campagnard, qui le louait d'une impertinente fatire contre les évêques, très-fameufe parmi la canaille, qu'en répétant à ce pauvre louangeur : Vient-il de la province une fatire fade, Je ne fuis ni ne ferai Boileau; mais les mauvais vers de M. Le Brun m'ont attiré des louanges et des perfécutions qu'affurément je ne méritais pas. Je m'attends bien que plufieurs perfonnes, accoutumées à juger de tout fur le rapport d'autrui, feront étonnées de me trouver fi innocent, après m'avoir cru, fans me connaître, coupable des plus plats vers du temps préfent. Je fouhaite que mon exemple puiffe leur apprendre à ne plus précipiter leurs jugemens fur les apparences, et à ne plus condamner ce qu'ils ne connaiffent pas. On rougirait bientôt de fes décifions, fi l'on voulait réfléchir fur les raifons par lefquelles on fe détermine. Il s'eft trouvé des gens qui ont cru férieusement que l'auteur de la tragédie d'Atrée était un méchant homme, parce qu'il avait rempli la coupe d'Atrée du fang du fils de Thyefie; et aujourd'hui il y a des confciences timorées qui prétendent que je n'ai point de religion, parce que Jocaste se défie des des oracles d'Apollon. C'est ainsi qu'on décide prefque toujours dans le monde; et ceux qui font accoutumés à juger de la forte, ne fe corrigeront pas par la lecture de cette lettre: peut-être même ne la liront-ils point. Je ne prétends donc point ici faire taire la calomnie, elle eft trop inféparable des fuccès; mais du moins il m'eft permis de fouhaiter que ceux qui ne font en place que pour rendre justice, ne faffent point de malheureux fur le rapport vague et incertain du premier calomniateur. Faudra-t-il donc qu'on regarde déformais comme un malheur d'être connu par les talens de l'efprit, et qu'un homme foit perfécuté dans fa patrie, uniquement parce qu'il court une carrière dans laquelle il peut faire honneur à fa patrie même ? Ne croyez pas, Monfieur, que je compte parmi les preuves de mon innocence, le préfent dont M. le Régent a daigné m'honorer; cette bonté pourrait n'être qu'une marque de fa clémence : il eft au nombre des princes qui, par des bienfaits, favent lier à leur devoir ceux même qui s'en font écartés. Une preuve plus fûre de mon innocence, c'eft qu'il a daigné dire que je n'étais point coupable, et qu'il a reconnu la calomnie lorfque le temps a permis qu'il pût la découvrir. Je ne regarde point non plus cette grâce que Mgr le Duc d'Orléans m'a faite, comme une récompense de mon travail, qui ne méritait tout au plus que fon indulgence; il a moins voulu me recoin penfer, que m'engager à mériter fa protection. Théâtre. Tom. I. B |