Je me jetài craintive aux pieds de la prêtreffe ; Voici fes propres mots, j'ai dû les retenir; Pardonnez fi je tremble à ce feul fouvenir. Ton fils tuera fon père, et ce fils facrilège, Inceste et parricide... O Dieux! achèverai-je ?
Enfin, Seigneur, on me prédit- Que mon fils, que ce monftre entrerait dans mon lit; Que je le recevrais, moi, Seigneur, moi fa mère, Dégouttant dans mes bras du meurtre de fon père; Et que tous deux unis par ces liens affreux, Je donnerais des fils à mon fils malheureux. Vous vous troublez, Seigneur, à ce récit funefte; Vous craignez de m'entendre et d'écouter le reste. O É DIP E.
Ah! Madame, achevez: dites, que fites-vous De cet enfant, l'objet du céleste courroux? JO CASTE.
Je crus les dieux, Seigneur; et faintement cruelle, J'étouffai pour mon fils mon amour maternelle. En vain de cet amour l'impérieuse voix S'oppofait à nos dieux, et condamnait leurs lois; Il fallut dérober cette tendre victime
Au fatal afcendant qui l'entraînait au crime : Et penfant triompher des horreurs de fon fort, J'ordonnai par pitié qu'on lui donnât la mort. O pitié criminelle, autant que malheureuse! O d'un oracle faux obfcurité trompeufe! Quel fruit me revient-il de mes barbares foins? Mon malheureux époux n'en expira pas moins; Bans le cours triomphant de fes deftins profpères Il fut affaffiné par des mains étrangères:
Ce ne fut point fon fils qui lui porta ces coups, Et j'ai perdu mon fils fans fauver mon époux. Que cet exemple affreux puiffe au moins vous inftruire! Banniffez cet effroi qu'un prêtre vous inspire; Profitez de ma faute, et calmez vos efprits.
Après le grand fecret que vous m'avez appris, Il eft jufte à mon tour que ma reconnaiffance Faffe de mes deftins l'horrible confidence. Lorfque vous aurez fu, par ce trifte entretien, Le rapport effrayant de votre fort au mien; Peut-être, ainfi que moi, frémirez-vous de crainte. Le deftin m'a fait naître au trône de Corinthe, Cependant de Corinthe et du trône éloigné, Je vois avec horreur les lieux où je fuis né. Un jour, ce jour affreux, préfent à ma pensée, Jette encor la terreur dans mon ame glacée; Pour la première fois, par un don folennel, Mes mains, jeunes encore, enrichiffaient l'autel : Du temple tout-à-coup les combles s'entr'ouvrirent; De traits affreux de fang les marbres fe couvrirent; De l'autel ébranlé par de longs tremblemens, Une invifible main repouffait mes préfens;
Et les vents, au milieu de la foudre éclatante, Portèrent jufqu'à moi cette voix effrayante:
Ne viens plus des lieux faints fouiller la pureté;
Du nombre des vivans les dieux t'ont rejeté,
" Ils ne reçoivent point tes offrandes impies;
Va porter tes préfens aux autels des Furies; ,, Conjure leurs ferpens prêts à te déchirer;
» Va, ce font là les dieux que tu dois implorer. „ Tandis qu'à la frayeur j'abandonnais mon ame, Cette voix m'annonça, le croirez-vous, Madame ? Tout l'affemblage affreux des forfaits inouis,
Dont le ciel autrefois menaça votre fils;
Me dit que je ferais l'affaffin de mon père.
Que je ferais le mari de ma mère.
Où fuis-je? Quel démon en uniffant nos cœurs, Cher Prince, a pu dans nous raffembler tant d'horreurs?
Il n'eft pas encor temps de répandre des larmes, Vous apprendrez bientôt d'autres fujets d'alarmes. Ecoutez-moi, Madame, et vous allez trembler. Du fein de ma patrie il fallut m'exiler.
Je craignis que ma main, malgré moi criminelle, Aux deftins ennemis ne fût un jour fidelle; Et fufpect à moi-même, à moi-même odieux, Ma vertu n'ofa point lutter contre les dieux. Je m'arrachai des bras d'une mère éplorée; Je partis, je courus de contrée en contrée; Je déguifai par-tout ma naiffance et mon nom: Un ami de mes pas fut le feul compagnon. Dans plus d'une aventure, en ce fatal voyage, Le dieu qui me guidait feconda mon courage. Heureux fi j'avais pu, dans l'un de ces combats, Prévenir mon destin par un noble trépas! Mais je fuis réfervé fans doute au parricide. Enfin, je me fouviens qu'aux champs de la Phocide, (Et je ne conçois pas par quel enchantement J'oubliais jufqu'ici ce grand événement;
La main des dieux fur moi fi long-temps fufpendue Semble ôter le bandeau qu'ils mettaient fur ma vue :) Dans un chemin étroit, je trouvai deux guerriers Sur un char éclatant que traînaient deux courfiers.
Il fallut difputer, dans cet étroit paffage, Des vains honneurs du pas le frivole avantage. J'étais jeune et fuperbe, et nourri dans un rang, Où l'on puifa toujours l'orgueil avec le fang. Inconnu, dans le fein d'une terre étrangère, Je me croyais encore au trône de mon père; Et tous ceux qu'à mes yeux le fort venait offrir, Me femblaient mes fujets, et faits pour m'obéir. Je marche donc vers eux, et ma main furieufe Arrête des courfiers la fougue impétueufe. Loin du char à l'inftant ces guerriers élancés Avec fureur fur moi fondent à coups preffés. La victoire entre nous ne fut point incertaine : Dieux puiffans! je ne fais fi c'eft faveur on haine, Mais fans doute pour moi contr'eux vous combattiez, Et l'un et l'autre enfin tombèrent à mes pieds. L'un d'eux, il m'en fouvient, déjà glacé par l'âge, Couché fur la pouffière, obfervait mon visage; Il me tendit les bras, il voulut me parler; De fes yeux expirans je vis des pleurs couler; Moi-même en le perçant, je fentis dans mon ame, Tout vainqueur que j'étais. . . . Vous frémiffez, Madamę. JOCAST E.
Seigneur, voici Phorbas, on le conduit ici.
Hélas! mon doute affreux va donc être éclairc
OEDIPE, JOCASTE, PHORBAS, Sulte.
VIENS, malheureux vieillard, viens, approche....A fa
D'un trouble renaiffant je fens mon ame émue;
Un confus fouvenir vient encor m'affliger: Je tremble de le voir et de l'interroger.
Eh bien! eft-ce aujourd'hui qu'il faut que je périffe? Grande Reine, avez-vous ordonné mon fupplice? Vous ne fûtes jamais injufte que pour moi.
Raffurez-vous, Phorbas, et répondez au roi.
C'eft devant lui que je vous fais paraître.
O Dieux! Laius eft mort, et vous êtes mon maître! Vous, Seigneur?
Epargnons les difcours fuperflus :
Tu fus le feul témoin du meurtre de Laïus; Tu fus bleffé, dit-on, en voulant le défendre.
Seigneur, Laïus eft mort, laiffez en paix fa cendre ; N'infultez pas du moins au malheureux deftin D'un fidelle fujet bleffé de votre main.
Je t'ai bleffé? qui, moi?
Achevez de m'ôter une importune vie ;
Seigneur que vo tre bras, que les dieux ont trompé,
Verfe un refte de fang qui vous eft échappé;
Et puifqu'il vous fouvient de ce fentier funefte Où mon roi....
« PoprzedniaDalej » |