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ainfi que les grands hommes font traités au commencement de leur carrière; mais il ne faut pas que tous ceux que l'on traite de même, s'imaginent pour cela être de grands hommes. La médiocrité infolente éprouve les mêmes obftacles que le génie, et cela prouve feulement qu'il y a plufieurs manières de bleffer l'amour-propre des homines.

La première édition d'Oedipe fut dédiée à Madame, femme du Régent. Voici cette dédicace: elle reffemble aux épîtres dédicatoires de ce temps-là. Ce ne fut qu'après fon voyage en Angleterre, et lorfqu'il dédia Brutus au lord Bolingbrocke, que M. de Voltaire montra qu'on pouvait, dans une dédicace, parler à celui qui la reçoit d'autre chofe que de lui-même.

MADAME,

Si l'ufage de dédier fes ouvrages à ceux qui en jugent le mieux n'était pas établi, il commencerait par VOTRE ALTESSE ROTALE. La protection éclairée dont vous bonorez les fuccès ou les efforts des auteurs, met en droit, ceux mêmes qui réuffiffent le moins, d'ofer mettre sous votre nom des ouvrages qu'ils ne compofent que dans le desein de vous plaire,

Pour moi dont le zèle tient lieu de mérite auprès de vous, fouffrez que je prenne la liberté de vous offrir les faibles effais de ma plume. Heureux fi, encouragé par vos bontés, je puis travailler long-temps pour V. A. R. dont la confervation n'eft pas moins précieuse à ceux qui cultivent les beaux-arts, qu'à toute la France dont elle eft les délices et l'exemple. Je fuis, avec un profond respect,

MADAME,

De Votre Alteffe Royale,

le très-humble et très-obéissant serviteur,

AROUET DE VOLTAIRE.

On trouvera ici une préface imprimée en 1729, dans laquelle M. de Voltaire combat les opinions de M. de la Motte fur la tragédie. La Motte y a répondu avec beaucoup de politeffe, d'efprit et de raifon. On peut voir cette réponse dans fes œuvres. M. de Voltaire n'a répliqué qu'en fefant Zaïre, Alzire, Mahomet, etc. Et jufqu'à ce que des pièces en profe, où les règles des unités feraient violées, aient fait autant d'effet au théâtre et autant de plaifir à la lecture, l'opinion de M. de Voltaire doit l'emporter.

LETTRES

A

M. DE GENONVILLE, (*)

contenant la critique de l'Oedipe de Sophocle, de celui de Corneille, et de celui de l'Auteur. 1719.

JE

LETTRE PREMIERE.

E vous envoie, Monfieur, ma tragédie d'Oedipe, que vous avez vu naître. Vous favez que j'ai commencé cette pièce à dix-neuf ans: fi quelque chofe pouvait faire pardonner la médiocrité d'un ouvrage, ma jeuneffe me fervirait d'excufe. Du moins, malgré les défauts dont cette tragédie eft pleine, et que je fuis le premier à reconnaître, j'ofe me flatter que vous verrez quelque différence entre cet ouvrage, et ceux que l'ignorance et la malignité m'ont imputés.

Vous favez mieux que perfonne (a) que cette fatire intitulée les J'ai vu, eft d'un poëte du

(*) Mort confeiller au parlement de Paris: il fut, depuis ces lettres, l'intime ami de M. de Voltaire.

(a) Je fens combien il eft dangereux de parler de foi; mais mes malheurs ayant été publics, il faut que ma juftification le foit auffi. La réputation d'honnéte homme m'eft plus chère que celle d'auteur; ainfij e crois que perfonne

Marais, nommé Le Brun, auteur de l'opéra d'Hippocrate amoureux, qu'affurément perfonne ne mettra en musique.

ne trouvera mauvais qu'en donnant au public un ouvrage pour lequel il a eu tant d'indulgence, j'effaie de mériter entièrement fon eftime, en détruifant l'imposture qui pourrait me l'ôter.

Je fais que tous ceux avec qui j'ai vécu font perfuadés de mon innocence; mais auffi bien des gens, qui ne connaiffent ni la poéfie ni moi, m'imputent encore les ouvrages les plus indignes d'un honnête homme et d'un poëte,

Il y a peu d'écrivains célèbres qui n'aient effuyé de pareilles difgraces; prefque tous les poëtes qui ont réum ont été calomniés, et il est bien trifte pour moi de ne leur teffembler que par mes malheurs.

Vous n'ignorez pas que la cour et la ville ont de tout temps été remplies de critiques obfcènes, qui, à la faveur des nuages qui les couvrent, lancent, fans être aperçus, les traits les plus envenimés contre les femmes et contre les puiffances; et qui n'ont que la fatisfaction de bleffer adroitement, fans goûter le plaifir dangereux de fe faire connaître. Leurs épigrammes et leurs vaudevilles font toujours des enfans fuppofés dont on ne connaît point les vrais parens; ils cherchent à charger de ces indignités quelqu'un qui foit affez connu pour que l'on puiffe l'en foupçonner, et qui foit affez peu protégé pour ne pouvoir fe défendre: telle était la fituation où je me fuis trouvé en entrant dans le monde. Je n'avais pas plus de dix-huit ans; l'imprudence attachée d'ordinaire à la jeuneffe, pouvait ailément autorifer les foupçons que l'on fefait naître fur moi j'étais d'ailleurs fans appui, et je n'avais pas fongé à me faire des protecteurs, parce que je ne croyais pas que je duffe jamais avoir des ennemis.

Il parut à la mort de Louis XIV une petite pièce imitée des j'ai vu de l'abbé Regnier : c'était un ouvrage où l'auteur paflait en revue tout ce qu'il avait vu dans fa vie; cette pièce eft auffi négligée aujourd'hui qu'elle était alors recherchée: c'eft le fort de tous les ouvrages qui n'ont

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Ces J'ai vu font groffièrement imités de ceux de l'abbé Regnier de l'académie, avec qui l'auteur n'a rien de commun; ils finiffent pár ce vers:

J'ai vu ces maux et je n'ai pas vingt ans.

d'autre mérite que celui de la fatire. Cette pièce n'en avait point d'autre; elle n'était remarquable que par les injures groffières qui y étaient indignement répandues ; et c'cft ce qui lui donna un cours prodigieux: on oublia la baffeffe du ftyle en faveur de la malignité de l'ouvrage. Elle finiffait ainfi: J'ai vu ces maux et je n'ai pas vingt ans.

Plufieurs perfonnes crurent que j'avais mis par-là mon cachet à cet indigne ouvrage; on ne me fit pas l'honneur de croire que je puffe avoir affez de prudence pour me déguifer. L'auteur de cette miférable fatire ne contribua pas peu à la faire courir fous mon nom, afin de mieux cacher le fien. Quelques-uns m'imputèrent cette pièce par malignité, pour me décrier et pour me perdre; quelques autres, qui Fadmiraient bonnement, me l'attribuèrent pour m'en faire honneur; ainfi un ouvrage que je n'avais point fait, et même que je n'avais point encore vu alors, m'attira de tous côtés des malédictions et des louanges.

Je me fouviens que paffant par une petite ville de province, les beaux efprits du lieu me prièrent de leur réciter cette pièce qu'ils difaient être un chef-d'œuvre ; j'eus beau leur répondre que je n'en étais point l'auteur et que la pièce était miférable; ils ne m'en crurent point fur ma parole; ils admirèrent ma retenue, et j'acquis ainfi auprès d'eux, fans y penfer, la réputation d'un grand poëte et d'un homme fort modefte.

Cependant, ceux qui m'avaient attribué ce malheureux ouvrage, continuèrent à me rendre responsable de toutes les fottifes qui fe débitaient dans Paris, et que moi-même je dédaignais de lire. Quand un homme a eu le malheur d'être calomnié une fois, on dit qu'il le fera long-temps. On m'affure que de toutes les modes de ce pays-ci, c'est celle qui dure davantage.

La juftification eft venue, quoiqu'un peu tard ; le calom. uiateur a figné, les larmes aux yeux, le défaveu de fa

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