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critique

rium.

Quel est, en effet, le seul principe formulé par Laire Leibniz dans sa dernière réplique, sur les ruines de seul crite la perpétuité de la tradition et du consentement unanime, qui se trouvaient violés à chaque instant? Le voici : « J'avoue que la règle des protestans, d'une révélation ou inspiration individuelle, prise à la rigueur, est insuffisante; il faut y substituer celle-cy: Joindre les règles de la critique ordinaire à la considération de la conduite de la Providence dans le

gouvernement de son Église (1). >> Ce criterium, quelque scientifique et philosophique qu'il puisse paraître à ceux qui le lui ont emprunté, ne me satisfait pas. Il consiste dans l'union de deux parties : les règles de la critique ordinaire, d'une part, et la considération de la conduite de la Providence de l'autre ; mais, comme l'économie providentielle a quelque chose de mystérieux et de vague, et, pour tout dire enfin, de pur sentiment, les rationalistes n'ont retenu que la première partie de la règle, celle qui regarde la critique ordinaire. Les règles de la critique ordinaire les ont conduits fort loin, plus loin assurément que Leibniz ne voulait aller. Car la première de toutes et la plus connue, c'est le rejet de l'autorité et la négation du surnaturel. Dans cette voie, on devait arriver très-vite à nier toute révélation, et à traiter les livres saints comme Homère ou Tite-Live, que dis-je ? comme on n'a jamais traité les poëtes et les historiens de Rome ou d'Athènes.

(1) T, II, p. 437. Inédit.

Mais les livres saints comprennent l'Ancien et le Nouveau Testament, et les règles de la critique ordinaire s'appliquent aussi bien au second qu'au premier. De quel droit, en effet, limiteriez-vous le champ de vos investigations à telle partie des livres sacrés, et feriez-vous de la Bible deux parts, l'une que vous soumettez, et l'autre que vous soustra yez aux règles de la critique ordinaire? Tout se tient dans ce divin enchaînement, et vous n'avez pas le droit de le rompre à moitié. Il faut que tout soit soumis, ou que rien ne soit soumis aux règles de la critique ordinaire. L'Évangile est entraîné ou subsiste au même titre que tout le reste.

Il suffit d'indiquer cette marche fatale et ces conséquences forcées, pour montrer le péril de ces questions et les dangers d'une étude prématurée. Je sais bien que Leibniz a lui-même indiqué ses réserves, et qu'il serait injuste de le rendre auteur ou complice des excès qui suivirent; mais ces réserves sont trop vagues pour être applicables, et trop arbitraires pour ne point exciter le sourire de la critique ordinaire. Bossuet, qui croit admirer la Bible en admirant des contre-sens (1), excelle à lui montrer le péril et le retient sur la pente gli sante du rationalisme; il veut maintenir l'exégèse sur le terrain objectif de la foi, de la perpétuité et de la tradition. Mais les règles de la critique ordinaire obéissent à des lois et à une impulsion bien différentes, et l'on pourrait

(1) M. RENAN, Études d'histoire religieuse.

trouver dans l'âpreté même de sa dernière réplique

un utile enseignement.

Dernière

Leibniz.

Qu'on lise cette dernière et triomphante réplique réplique de de Leibniz (1), qui précéda de deux années seulement la mort de Bossuet. Jusqu'ici la correspondance de Leibniz et de Bossuet finissait par un monologue de l'évêque de Meaux en soixante-deux raisons, auxquelles Leibniz était censé n'avoir rien répliqué. Elle finira désormais par un dialogue digne de Platon par la gravité du sujet et la beauté du langage, où Leibniz joue le rôle de cet interlocuteur du Phédon, Cébès, l'homme le plus difficile à convaincre que Socrate eût jamais rencontré. Aussi l'on comprend que Bossuet s'anime à ce débat, malgré ses soixantetreize ans, et redevienne éloquent; ce fut le chant du cygne Fuit illa cycnea vox. « « Ainsi, s'écrie-t-il dans une page qui lui est inspirée par la vue du

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(1) C'est cette réplique retrouvée par nous à Hanovre, et dont il lui annonçait l'envoi dans un billet du 5 février 1702, en s'excusant du retard sur les bonnes grâces de la reine de Prusse qui l'avait retenu à Berlin au delà de toutes ses prévisions. Bossuet n'accusa jamais réception de la lettre ni de l'envoi. L'abbé Ledieu se tait, et le cardinal de Beausset en reste à la lettre du 17 août 1701. Très-certainement Bossuet ne répondit pas à cette réplique de Leibniz. Ne l'aurait-il pas reçue? Mais comment le croire après le billet du 5? Ne s'est-elle point retrouvée dans ses portefeuilles, si curieusement fouillés par son neveu, l'abbé Bossuet? Cela est difficile à supposer. Que faut-il croire alors? Que Bossuet n'a point voulu ou n'a point pu répondre, et que ses éditeurs ont jugé prudent de supprimer la réplique embarrassante de Leibniz? Si j'insiste sur le silence gardé par Bossuet et sur cette lacune laissée par ses éditeurs, c'est qu'elle est capitale et qu'elle renverse les conjectures les plus vraisemblables. C'est à ce point que les précédents éditeurs de Leibniz, ignorant que Leibniz eût répondu à M. de Meaux, et pensant qu'il n'avait rien répliqué à ses soixante-deux raisons en faveur de Tente, terminent la correspondance au 17 avril 1701, date de l'envoi fait par M. de Meaux, et que nous y avions été trompé d'abord.

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grand combat qu'il prévoit pour la foi sous le nom d'exégèse, ainsi, plutôt que de conserver les livres de la Sagesse et les autres, vous aimez mieux consentir à noyer sans ressource l'Épistre aux Hébreux et l'Apocalypse, et, par la mesme raison, les Épistres de sainct Jacques, de sainct Jeanet de sainct Jude. Le livre d'Esther sera entraisné par la mesme conséquence vous ne ferez point de scrupule de laisser perdre aux enfans de Dieu tant d'oracles de leur Père céleste. On n'osera plus réprimer Luther qui a blasphémé contre l'Épistre de sainct Jacques, qu'il appelle une épistre de paille: il faudra laisser dire impunément à tous les esprits libertins ce qui leur viendra dans la pensée. » Mais Leibniz, qui n'a pas de peine à saisir la faiblesse de l'argument sous la beauté du tour, lui répond avec une liberté que nous avions déjà relevée dans une précédente occasion, mais qui n'avait jamais atteint le niveau de l'invective, et qui dépasse même ici la mesure, quand il lui fait l'éloge de Luther:

Cui genus humanum sperasse recentibus annis
Debet et ingenio liberiore frui.

Le dialogue se continue de la sorte pendant toute la seconde partie de ce dernier volume, éloquent et entraînant, quand c'est Bossuet qui parle, incisif et mordant, quand Leibniz lui répond. L'attaque et la riposte sont également vives: Bossuet a plus de hauteur et de gravité, mais Leibniz est maître dans cette logique serrée qui convient aux débats théologiques. Dans la

réplique, il est aussi évidemment supérieur à Bossuet qu'il lui était inférieur dans l'éloquence proprement dite. Bossuet s'écrie-t il: « Laissez, laissez sur la terre quelques chrestiens qui ne rendent pas impossibles les décisions inviolables sur les questions de la foy, qui osent assurer la religion, et attendre de Jésus-Christ, selon sa parole, une assistance infaillible sur ces matières. C'est là l'unique espérance du christianisme! » Leibniz reprend : « C'est parler plustost avec la liberté d'un orateur qui se donne carrière que dans la précision d'un théologien tel que vous, Monseigneur... A quoy bon ces expressions tragiques...? Il faut vous prier, à vostre tour, de laisser sur la terre des gens qui s'opposent au torrent des abus, qui ne permettent point que l'authorité de l'Église soit avilie par de mauvaises pratiques, et qui ne souffrent point qu'on abuse des promesses de Jésus-Christ pour establir l'idole des erreurs (1). »

Nous pourrions relever dans ces lettres bien des pages éloquentes, des traits vifs et perçants, des faits curieusement et doctement recherchés. Mais combien nous préférons à ces luttes brillantes, à ces vivacités de la polémique, à l'orgueil d'un esprit fasciné par les débuts de la nouvelle science, les derniers témoignages de la foi d'un Leibniz, encore vive sous l'anathème de Bossuet, et malgré l'éloge de Luther! Toujours, par une noble incon

(1) Pages 389 et 258.

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