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comme fes Héros, tout plein de défauts, mais fublime. Malheur à qui l'imiterait dans l'œconomie de fon Poëme ! Heureux qui peindrait les détails comme lui! Et c'eft précisément par ces dé tails que la Poéfie charme les hommes.

§. I I.

L'Ariofle comparé à Homere.

Si on veut mettre fans préjugé, dans la balance, l'OdyЛfée d'Homere avec le Roland de l'Ariofie, l'Italien l'emporte à tous égards. Tous deux ayant le même défaut, l'intempérance de l'imagination, & le romanefque incroyable; l'Ariofle a racheté ce défaut par des allégories fi vraies, par des fatyres fi fines, par une connaiffance fi approfondie du cœur humain, par les graces du comique qui fuccedent fans ceffe à des traits terribles, enfin par des beautés fi innombrables en tout genre, qu'il a trouvé le fecret de faire un monftre admirable.

A l'égard de l'Iliade, que chaque Lecteur fe demande à lui-même ce qu'il penferait s'il lifait pour la premiere fois ce Poëme & celui du Tasse, en ignorant les noms des Auteurs, & les tems où ces ouvrages furent compofés, en ne prenant enfin pour juge que fon plaifir, ne pourrait-il pas

donner en tout fens la perfection au Taffe? Ne trouverait-il pas dans l'Italien plus de conduite, d'intérêt, de variété, de jufteffe, de graces, & de cette molleffe qui releve le fublime? Encor quelques fiecles, & on n'en fera peut-être pas de comparaison.

L

CHAPITRE III.

VIRGIL E.

Il ne faut avoir aucun égard à la vie de Virgile, qu'on trouve à la tête de plufieurs éditions des Ouvrages de ce grand homme. Elle eft pleine de puérilités & de contes ridicules. On y représente Virgile comme une espece de maquignon & de faiseur de prédictions, qui devine qu'un poulain qu'on avait envoyé à Augufte était né d'une jument malade ; & qui, étant interrogé fur le fecret de la naiffance de l'Empereur, répond qu' Augufte était fils d'un Boulanger, parce qu'il n'avait été jufques-là récompenfé de l'Empereur qu'en rations de pain. Je ne fai par quelle fatalité la mémoire des grands Hommes eft préfque toujours défigurée par des contes infipides. Tenonsnous-en à ce que nous favons certainement de Virgile. Il nâquit l'an 684 de la fondation de

Rome, dans le village d'Andes, à une lieue de Mantoue, fous le premier Confulat du grand Pompie & de Craffus. Les Ides d'Octobre, qui étaient le 15 de ce mois, devinrent à jamais fameuses par sa naiffance; Octobris Maro confecravit Idus, dit Martial. Il ne vécut que cinquantedeux ans, & mourut à Brindes, comme il allait en Grece pour mettre, dans la retraite, la derniere main à fon Eneide, qu'il avait été onze ans à composer.

Il est le feul de tous les Poëtes épiques, qui ait joui de fa réputation pendant fa vie. Les fuffrages & l'amitié d' Augufte, de Mécene, de Tucca, de Pollion, d'Horace, de Gallus, ne fervirent pas peu, fans doute, à diriger les jugemens de fes contemporains, qui peut-être fans cela ne lui auraient pas rendu fi-tôt juftice. Quoi qu'il en foit, telle était la vénération qu'on avait pour lui Rome, qu'un jour comme il vint paraître au théâtre, après qu'on y eut récité quelques-uns de fes vers, tout le peuple se leva avec des acclamations, honneur qu'on ne rendait alors qu'à l'Empereur, Il était né d'un caractère doux, modefte, & même timide. Il fe dérobait très-fouvent, en rougissant, à la multitude qui accourait pour le voir. Il était embarrassé de fa gloire, fes. mœurs étaient fimples, il négligeait fa perfonne

& fes habillemens; mais cette négligence était aimable. Il faisait les délices de ses amis par cette fimplicité, qui s'accorde fi bien avec le génie, & qui femble être donnée aux véritablement grands Hommes, pour adoucir l'envie.

Comme les talens font bornés, & qu'il arrive rarement qu'on touche aux deux extrémités à la fois, il n'était plus le même, dit-on, lorsqu'il écrivait en profe. Seneque le Philofophe nous apprend que Virgile n'avait pas mieux réuffi en profe que Ciceron ne paffait pour avoir réuffi en vers. Cependant il nous refte de très-beaux vers de Ciceron. Pourquoi Virgile n'aurait-il pu defcendre à la profe, puifque Ciceron s'éleva quelquefois à la poéfie ?

Horace & lui furent comblés de biens par Aus gufle. Cet heureux tyran favait bien qu'un jour sa réputation dépendrait d'eux : auffi eft-il arrivé que l'idée que ces deux grands Ecrivains nous ont donnée d'Augufte, a effacé l'horreur de fes profcriptions. Ils nous font aimer sa mémoire ; ils ont fait, fi j'ofe le dire, illufion à toute la terre. Virgile mourut affez riche pour laiffer des fommes confidérables à Tucca, à Varius, à Mé

& à l'Empereur même. On fait qu'il ordonna par fon teftament, que l'on brûlât fon Eneïde dont il n'était point fatisfait; mais on fe

donna bien de garde d'obéir à fa derniere volonté. Nous avons encor les vers qu'Augufte composa au fujet de cet ordre que Virgile avait donné en mourant ; ils font beaux, & femblent partir du cœur.

Ergone fupremis potuit vox improba verbis

Fam dirum mandare nefas? ergo ibit in ignes? Magnaque dotiloqui morietur mufa Maronis? &c. Cet Ouvrage, que l'Auteur avait condamné aux flammes, eft encor, avec fes défauts, le plus beau monument qui nous refte de toute l'Antiquité. Virgile tira le fujet de fon Poëme des traditions fabuleufes que la fuperftition populaire avait tranfmifes jufqu'à lui, à-peu-près comme Homere avait fondé fon Iliade fur la tradition du fiege de Troye; car en vérité il n'eft pas croyable qu'Homere & Virgile fe foient foumis par avance à cette regle bizarre, que le Pere le Boffu a prétendu établir; c'eft de choifir fon fujet avant fes perfonnages, & de difpofer toutes les actions qui fe paffent dans le Poëme, avant que de favoir à qui on les attribuera. Cette regle peur avoir lieu dans la Comédie qui n'est qu'une représentation des ridicules du fiecle, ou dans un Roman frivole, qui n'eft qu'un tiffu de petites intrigues, lefquelles n'ont befoin ni de l'autorité de l'Hiftoire, ni du poids d'aucun nom célebre.

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