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§ I.

DE PRIOR,

ET DU POEME SINGULIER

D'HUDI BRA S.

On n'imaginait pas en France que Prior, qui vint de la part de la Reine Anne donner la paix à Louis XIV. avant que le Baron Bolingbrooke vint la figner, on ne devinait pas, dis-je, que ce Plénipotentiaire fut un poëte. La France paya depuis l'Angleterre en même monnoie, car le Cardinal Dubois envoya notre Deftouches à Londres, & il ne paffa pas plus pour poëte parmi les Anglais que Prior parmi les Français. Le Plénipotentiaire Prior était originairement un garçon cabaretier, que le Comte de Dorfet; bon poëte lui-même, & un peu yvrogne, rencontra un jour lifant Horace fur le banc de la taverne, de même que Milord Aila trouva fon garçon jardinier lifant Newton. Aila fit du jardinier un grand philofophe,. & Dorfet fit un très-agréable poëte du cabaretier.

C'eft de Prior qu'eft l'hiftoire de l'ame: cette hiftoire eft la plus naturelle qu'on ait faite jufqu'à préfent de cet être fi bien fenti, & fi mal

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connu. L'ame eft d'abord aux extrêmités du corps, dans les pieds & dans les mains des enfans; de-là elle fe place insensiblement au milieu du corps dans l'âge de puberté; enfuite elle monte au cœur, & là elle produit les fentimens de l'amour & de l'héroïfme: elle s'éleve jufqu'à la tête dans un âge plus mûr, elle y raifonne comme elle peut; & dans la vieilleffe on ne fçait plus ce qu'elle devient : c'eft la féve d'un vieil arbre qui s'évapore, & qui ne fe répare plus. Peut-être cet ouvrage eft-il trop long : toute plaifanterie doit être courte, & même le férieux devrait bien être court auffi.

Ce même Prior fit un petit poëme fur la fameufe bataille d'Hochftet. Cela ne vaut pas fon hiftoire de l'ame; il n'y a de bon que cette apostrophe à Boileau.

Satyrique flateur, toi qui pris tant de peine

Pour chanter que LOUIS n'a point paflé le Rhin.

Notre Plénipotentiaire finit par paraphaser en quinze cent vers ces mots attribués à Salomon que tout eft vanité.. On en pourrait faire quinze mille fur ce fujet. Mais malheur à qui dit tout ce qu'il peut dire.

Enfin la Reine Anne étant morte, le miniftére ayant changé, la paix que Prior avait en

!

tamée étant en horreur, Prior n'eut de reffource qu'une édition de fes œuvres par une foufcription de fon parti; après quoi il mourut en Philofophe, comme meurt ou croit mourir tout honnête Anglais.

Je voudrais vous donner auffi quelques idées des Poëfies de Milord Rofcomon, de Milord Dorfet; mais je fens qu'il me faudrait faire un gros livre, & qu'après bien de la peine, je ne vous donnerais qu'une idée fort imparfaite de tous ces ouvrages. La poëfie eft une espéce de mufique, il faut l'entendre pour en juger. Quand je vous traduis quelques morceaux de ces poëfies étrangeres, je vous note imparfaitement leur mufique; mais je ne puis exprimer le goût de leur chant,

Il y a fur-tout un poëme Anglais, difficile à vous faire connaître ; il s'appelle Hudibras.

C'est un ouvrage tout comique, & cependant le fujet eft la guerre civile du tems de Cromwel. Ce qui a fait verfer tant de fang & tant de larmes, a produit un poëme qui force le lecteur le plus férieux à rire. On trouve un exemple de ce contrafte dans notre fatyre Menippée. Certainement les Romains n'auraient point fait un poëme burlesque fur les guerres de Céfar, & de Pompée, & fur les profcriptions d'Octave &

d'Antoine. Pourquoi donc les malheurs affreux que caufa la ligue en France, & ceux que les guerres du Roi & du Parlement étalèrent en Angleterre, ont-ils pû fournir des plaifanteries? C'eft qu'au fond il y avait un ridicule caché dans ces querelles funeftes. Les bourgeois de Paris à la tête de la factions des feize, mêlaient l'impertinence aux horreurs de la faction. Les intrigues des femmes, du Légat & des moines avaient un côté comique, malgré les calamités qu'elles apporterent. Les disputes Théologiques, & l'enthoufiafme des Puritains en Angleterre étaient très-fufceptibles de railleries; & ce fond de ridicule bien développé pouvait devenir plaifant en écartant les horreurs tragiques qui le couvraient. Si la bulle Unigenitus faisait répandre du fang, le petit poëme de Philotanus n'en ferait pas moins convenable au fujet, & on ne pourrait même lui reprocher que de n'être pas auffi gai, auffi plaifant, auffi varié qu'il pouvait l'être, & de ne pas tenir dans le corps de l'ouvrage, ce que promet le commencement.

Le poëme d'Hudibras, dont je vous parle, femble être un compofé de la fatyre Ménippée & de Don Quichotte: il a fur eux l'avantage des vers, il a celui de l'efprit: la fatyre Ménippée n'en approche pas elle n'eft qu'un ouvrage

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très-médiocre. Mais à force d'efprit l'Auteur d'Hudibras a trouvé le fecret d'être fort audeffous de Don Quichotte. Le goût, la naïveté, l'art de narrer, celui de bien entremêler les avantures, celui de ne rien prodiguer, valent bien mieux que de l'efprit: auffi Don Quichotte eft lû de toutes les Nations, & Hudibras n'est que des Anglais.

L'Auteur de ce poëme fi extraordinaire s'appellait Butler: Il était contemporain de Milton, & eut infiniment plus de réputation que lui parce qu'il était plaifant, & que le poeme de Milton était fort trifte. Butler tournait les ennemis du Roi Charles II. en ridicule; & toute la récompenfe qu'il en eut, fut que le Roi citait fouvent fes vers. Les combats du Chevalier Hudibras furent plus connus que les combats des Anges & des Diables du Paradis perdu. Mais la Cour d'Angleterre ne traita pas mieux le plaifant Butler, que la Cour céleste ne traita le férieux Milton; & tous deux moururent de faim, ou à peu près.

Le Héros du Poëme de Butler n'était pas un perfonnage feint comme le Don Quichotte de Michel Cervantes. C'était un Chevalier Baronet très-réel, qui avait été un des enthoufiaftes de Cromwel & un de fes Colonels. Il s'appellait

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