Obrazy na stronie
PDF
ePub

On doit s'impofer, furtout, la loi de ne pas s'écarter de cette fimplicité tant recommandée par les Grecs, & fi difficile à faifir; c'était là le vrai caractère de l'invention, & du génie ; c'était l'effence du théâtre : un perfonnage étranger qui dans l'Edipe ou dans Electre ferait un grand rôle, qui détournerait fur lui l'attention, ferait un monftre aux yeux de quiconque connaît les anciens & la nature, dont ils ont été les premiers peintres. L'art & le génie confiftent à trouyer tout dans son sujet, & non pas à chercher hors de fon fujet. Mais comment imiter cette pompe & cette magnificence vraiment tragique des vers de Sophocle, cette élégance, cette pureté, ce naturel, fans quoi un ouvrage (bien fait d'ailleurs) ferait un mauvais ouvrage?

Confervons les étincelles qui restent encor par mi nous de cette lumiere précieufe que les anciens nous ont tranfmife. Nous leur devons tout aucun art n'eft né parmi nous, tout y a été transplanté : mais la terre qui porte ces fruits étrangers s'épuife, & fe laffe ; & l'ancienne barbarie, aidée de la frivolité, percerait encor quelquefois malgré la culture; les difciples d'Athènes & de Rome deviendraient des Goths & des Vandales amollis par les mœurs des Sibarites, fans la protection éclairée & attentive des perfonnes

fonnes d'un rang diftingué. Quand la nature leur a donné ou du génie, ou l'amour du génie, elles encouragent notre nation, qui eft plus faite pour imiter que pour inventer, & qui cherche toujours dans le fang de fes maîtres les leçons & les exemples dont elle a befoin.

RIEN

CHAPITRE II.

Des traductions des Poëtes.

IEN n'eft plus difficile que de traduire les vers latins & grecs en vers français rimés. On eft prefque toujours obligé de dire en deux lignes ce que les anciens ont dit en une. Il y a très peu de rimes dans le ftile noble, comme je le remarque ailleurs ; & nous avons même beaucoup de mots auxquels on ne peut rimer. Ainfi le poëte eft rarement le maître de fes expreffions. J'ofe affirmer qu'il n'est point de langue dans laquelle la verfification ait plus d'entraves,

Je faifais lire, il n'y a pas long-tems, à un jeune Comte de l'Empire, qui donne les plus grandes efpérances, les traductions que Racan & Malherbe, ont faites de cette ftrophe d'Horace;

Pallida mors æquo pulfat pede

Pauperum tabernas, Regumque turres
O beate Sexti.

Voici la traduction de Racan:

Les loix de la mort font fatales,
Auffi-bien aux maisons royales
Qu'aux taudis couverts de rofeaux.
Tous nos jours font fujets aux Parques;
Ceux des bergers & des monarques
Sont coupés des mêmes cifeaux.

Celle de Malherbe eft plus connue :

Le Pauvre en fa cabanne, où le chaume le couvre,
Eft fujet à fes loix ;

Et la Garde qui veille aux barrieres du Louvre
N'en défend pas nos Rois.

Je fus obligé de faire voir à ce jeune homme pourquoi les vers de Malherbe l'emportent fur ceux de Racan.

En voici les raifons. 1°. Malherbe commence par une image fenfible.

Le Pauvre en fa cabanne, où le chaume le couvre.

Et Racan commence par des mots communs, qui ne font point d'image, qui ne peignent rien.

Les loix de la mort font fatales; nos jours font Sujets aux Parques. Termes vagues, diction im

[ocr errors]

propre, vice de langage, rien n'eft plus faible que ces vers.

2o. Les expreffions de Malherbe embelliffent les chofes les plus baffes. Cabanne eft agréable & du beau ftile ; & taudis eft une expreffion du peuple.

3o. Les vers de Malherbe font plus harmonieux; & j'oserais même les préferer à ceux d'Horace, s'il eft permis de preferer une copie à un original. Je défendrais en cela mon opinion en faifant remarquer que Malherbe finit fa ftance par une image pompeufe, & qu' Horace laiffe peutêtre tomber la fienne avec O beate Sexti. Mais en accordant cette petite fupériorité à un vers de Malherbe, j'étais bien éloigné de comparer l'auteur à Horace. Je fais trop la diftance infinie qui eft de l'un à l'autre. Un Peintre Flamand peut peindre un arbre auffi-bien que Raphael. Il ne fera pas pour cela égal à Raphaël.

On peut traduire un poëte en exprimant feulement le fond de fes penfées; mais pour le bien faire connaître, pour donner une idée juste de fa langue, il faut traduire non-feulement fes penfées, mais tous les acceffoires. Si le poëte a cmployé une métaphore, il ne faut pas lui fubftituer une autre métaphore; s'il se sert d'un mot qui foit bas dans fa langue, on doit le rendre

par un mot qui foit bas dans la nôtre. C'est un tableau dont il faut copier exactement l'ordonnance, les attitudes, le coloris, les défauts & les beautés, fans quoi vous donnez votre ouvrage pour le fien.

La plupart des traducteurs gâtent leur original par une fauffe ambition de le furpaffer, qui les rend infidéles; ou par une plate exactitude qui les rend plus infidéles encor.

On dit que Madame de Sevigné les comparait à des domeftiques qui vont faire un message de la part de leur maître, & qui difent fouvent le contraire de ce qu'on leur a ordonné. Ils ont encor un autre défaut des domestiques, c'est de fe croire auffi grands feigneurs que leur maître, furtout quand ce maître eft fort ancien ; & c'est un plaifir de voir à quel point un traducteur d'une piece de Sophocle, qu'on ne pourrait pas jouer fur notre théâtre, méprise Cinna & Polieude.

Je fais un jour avec un homme de lettres d'un goût très-fin & d'un efprit fupérieur, cette ode d'Horace, où font ces beaux vers que tout homme de lettres fait par cœur, auream quifquis mediocritatem &c. Il fut indigné, comme moi, de la maniere dont d'Acier traduit cet endroit charmant.

» Ceux qui aiment la liberté, plus précieuse

« PoprzedniaDalej »