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fique. De pareils morceaux ne feraient pas fup portés fur notre théâtre lyrique qui ne se fou tient gueres que par des inaximes de la galanterie, & par des paffions manquées, à l'exception d'Armide & des belles fcènes d'Iphigénie, ouvrages p'us admirables qu'imités.

Parmi nos défauts, nous avons comme les Italiens, dans nos opera les plus tragiques, une infinité d'airs détachés, mais qui font plus défectueux, parce qu'ils font moins liés au fujet. Les paroles y font prefque toujours afservies aux Muficiens, qui ne pouvant exprimer dans leurs petites chanfons les termes mâles & énergiques de notre langue, exigent des paroles efféminées, oifives, vagues, étrangeres à l'action, & ajustées, comme on peut, à de petits airs mefurés femblables à ceux qu'on appelle à Venise Barcarole. Quel rapport, par exemple, entre Théfée reconnu par fon père, fur le point d'être empoisonné par lui, & ces ridicules paroles :

Le plus fage

S'enflamme & s'engage,
Sans favoir comment.

Malgré ces défauts, j'ofe encor penfer que nos bonnes tragédies-opéra, telles qu'Atis, Armide, Thésée, étaient ce qui pouvait donner par

mi nous quelque idée du théâtre d'Athènes, parce que ces tragédies font chantées comme celles des Grecs; parce que le choeur, tout vicieux qu'on l'a rendu, tout fade panégyrifte qu'on l'a fait de la morale amoureufe, reffemble pourtant à celui des Grecs, en ce qu'il occupe fouvent la fcène. Il ne dit pas ce qu'il doit dire, il n'enseigne pas la vertu, & regat iratos, & amet peccare timentes ; mais enfin il faut avouer que la forme des tragédies-opéra nous retrace la forme de la tragédie Grecque à quelques égards. Il m'a donc paru en général, en confultant les gens de lettres qui connaiffent l'antiquité, que ces tragédies-opéra font la copie & la ruine de la tragédie d'Athènes. Elles en font la copie, en ce qu'elles admettent la Mélopée, les chœurs, les machines, les divinités : elles en font la deftruction, parce qu'elles ont accoutumé les jeunes gens à fe connaître en fons plus qu'en efprit, à préferer leurs oreilles à leur ame, des roulades à des pensées fublimes, à faire valoir quelquefois les ouvrages les plus infipides & les plus mal écrits, quand ils font foutenus par quelques airs qui nous plaifent. Mais malgré tous ces défauts, l'enchantement qui refulte de ce mêlange heureux de fcènes, de chœurs, de danses, de fymphonie, & de cette variété de décorations, fubjugue juf

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qu'au critique même, & la meilleure comédie, la meilleure tragédie n'eft jamais fréquentée par les mêmes personnes auffi affidument qu'un opéra médiocre. Les beautés régulieres, nobles, févéres, ne font pas les plus recherchées par le vulgaire ; fi on repréfente une ou deux fois Cinna, on joue trois mois les Fêtes Vénitiennes : un poëme épique eft moins lû que des épigrammes licentieuses; un petit roman fera mieux débité que l'hiftoire du Préfident de Thou. Peu de particuliers font travailler de grands Peintres, mais ou fe difpute des figures eftropiées qui viennent de la Chine, & des ornemens fragiles. On dore, on vernit des cabinets, on oublie la noble architecture; enfin dans tous les genres, les petits agrémens l'emportent fur le vrai mérite.

CHAPITRE II.

De l'Opéra Français.

L'OPERA est un spectacle auffi bizarre que magnifique, où les yeux & les oreilles font plus fatisfaits que l'efprit, où l'aflervissement à la mufique rend néceffaire les fautes les plus ridicu les, où il faut chanter des Ariettes dans la deftruction d'une ville, & danfer autour d'un tom

beau; où l'on voit le palais de Piuton & celui du Soleil; des Dieux, des Démons, des Magiciens, des preftiges, des monftres, des palais formés & détruits en un clin d'œil. On tolere ces extravagances, on les aime même, parce qu'on eft-à dans le pays des Fées ; & pourvu qu'il y ait du fpectacle, de belles danfes, une belle mufique, quelques fcènes intéreffantes, on eft con. tent. Il ferait au li ridicule d'exiger dans Alceste l'unité d'action, de lieu, & de tems, que de vouloir introduire des danfes & des Demons dans Cinna ou dans Rodogune.

Cependant quoique les Opéra foient difpenfés de ces trois regles, les meilleurs font encor ceux où elles font le moins violées: on les retrouve même, fi je ne me trompe, dans plufieurs, tant elles font néceffaires & naturelles, & tant elles fervent à intéreffer le fpectateur. Comment donc M. de la Motte peut-il reprocher à aotre nation la légéreté de condamner dans un fpectacle les mêmes chofes que nous approuvons dans un autre? Il n'y a perfonne qui ne pût répondre à M. de la Motte. J'exige avec raison beaucoup plus de perfection d'une tragédie, que d'un opéra; parce qu'à une tragédie, mon atten tion n'eft point partagée; que ce n'eft ni d'une farabande, ni d'un pas de deux que depend mon

plaifir; que c'eft à mon ame uniquement qu'il faut plaire. J'admire qu'un homme ait fû amener & conduire dans un feul lieu, & dans un feul jour, un feul événement, que mon esprit conçoit fans fatigue, & où mon cœur s'intéreffe par dégrés. Plus je vois combien cette fimplicité eft difficile, plus elle me charme; & fi je veux enfuite me rendre raifon de mon plaifir, je trouve que je fuis de l'avis de M. Defpréaux, qui dit:

J'ai

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli
Tienne jufqu'à la fin le théâtre rempli..

pour moi encor, pourra-t-il dire, l'autorité du grand Corneille ; j'ai plus encor, j'ai fon exemple & le plaifir que me font fes ouvrages ; à proportion qu'il a plus ou moins obéi à cette regle.

§ I.

De l'Opéra d'Andromede.

Il parait par la piece d'Androméde que Corneille fe pliait à tous les genres. Il fut le premier qui fit des comédies dans lefquelles on retrouvait le langage des honnêtes gens de fon tems; le premier qui fit des tragédies dignes d'eux; & le premier encor qui ait donné une piece en machines qu'on ait pû voir avec plaisir.

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