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§ II.

Des Comédies attendriffantes.

Un Académicien de la Rochelle publia une differtation ingénieufe & approfondie fur cette queftion, qui femble partager depuis quelques années, la littérature; favoir, s'il eft permis de faire des Comédies attendriffantes? Il parait fe déclarer fortement contre ce genre, dont la petite comédie de Nanine tient beaucoup en quelques endroits. Il condamne avec raison tout ce qui aurait l'air d'une Tragédie bourgeoife. En effet, que ferait-ce qu'une intrigue tragique entre des hommes du commun? Ce ferait feulement avilir le cothurne; ce ferait manquer à la fois l'objet de la Tragédie, & de la Comédie ; ce ferait une espece bâtarde, un monftre né de l'impuiffance de faire une Comédie & une Tragédie véritable.

Cet Académicien judicieux blâme furtout les intrigues romanefques & forcées, dans ce genre de Comédie où l'on veut attendrir les Spectateurs, & qu'on appelle par dérision Comédie larmoyante. Mais dans quel genre les intrigues romanefques & forcées peuvent-elles être admifes? Ne font-elles pas toujours un vice effentiel dans quelque ouvrage que ce puiffe être ? Il conclut enfin, en difant, que fi dans une Comédie l'at

tendriffement peut aller quelquefois jufqu'aux larmes, il n'appartient qu'à la paffion de l'amour de les faire répandre. Il n'entend pas fans doute l'amour tel qu'il eft représenté dans les bonnestragédies, l'amour furieux, barbare, funeste, suivi de crimes & de remords; il entend l'amour naïf & tendre ; qui feul eft du reffort de la Comédie.

Cette réflexion en fait naître une autre, qu'on foumet au jugement des gens de lettres. C'est que dans notre Nation, la tragédie a commencé par s'approprier le langage de la Comédie. Si on y prend garde, l'amour dans beaucoup d'ouvrages, dont la terreur & la pitié devraient être l'ame, eft traité comme il doit l'être en effet dans le genre comique. La galanterie, les déclarations d'amour, la coquetterie, la naïveté, la familiarité, tout cela ne se trouve que trop chez nos Héros & nos Héroïnes de Rome & de la Grece dont nos théâtres retentiffent. De forte qu'en effet l'amour naïf & attendriffant dans une Comédie, n'eft point un larcin fait à Melpomène, mais c'eft au contraire Melpomène, qui depuis long-tems, a pris chez-nous les brodequins de Thalie.

Qu'on jette les yeux fur les premieres tragédies , qui eurent de fi prodigieux fuccès vers le tems du Cardinal de Richelieu ; la Sophoniste de

Mairet, la Marianne, l'Amour tyrannique, Alsionée: on verra que l'Amour y parle toujours fur un ton auffi familier, & quelquefois auffibas, que l'héroïsme s'y exprime avec une emphafe ridicule. C'est peut-être la raifon pour laquelle notre nation n'eut en ce tems-là aucune Comédie fupportable. C'eft qu'en effet le théâtre tragique avait envahi tous les droits de l'autre. Il eft même vraisemblable que cette raison détermina Moliere à donner rarement aux amans qu'il met fur la scène, une paffion vive & touchante ; il fentait que la tragédie l'avait prévenu.

Depuis la Sophonisbe de Mairet, qui fut la premiere piece dans laquelle on trouva quelque régularité, on avait commencé à regarder les déclarations d'amour des Héros, les réponses artificieuses & coquettes des Princeffes, les peintures galantes de l'amour, comme des chofes effentielles au théâtre tragique. Il eft refté des écrits de ce tems-là, dans lefquels on cite avec de grands éloges, ces vers que dit Maffiniffa après la bataille de Cirthe:

» J'aime plus de moitié, quand je me fens aimé, » Et ma flamme s'accroit par un cœur enflammé a » Comme par une vague, une vague s'irrite, » Un foupir amoureux par un autre s'excite. » Quand les chaînes d'hymen étreignent deux efprits, Un plaifir doit le rendre aufli-tôt qu'il eft pris.

On pourrait citer plus de trois cens vers dans ce goût; ce n'eft pas que la fimplicité qui a fes charmes, la naïveté qui quelquefois même tient du fublime, ne foient néceffaires pour fervir ou de préparation, ou de liaison & de paffage au pathétique. Mais fi ces traits naifs & fimples appartiennent même au tragique, à plus forte raifon appartiennent-ils au grand Comique ; c'est dans ce point où la Tragédie s'abaiffe, & où la Comédie s'éleve, que ces deux arts fe rencontrent & fe touchent. C'eft-là feulement que leurs bornes fe confondent, & s'il eft permis à Orefie & à Hermione de se dire :

» Ah! ne fouhaitez pas le deftin de Pyrrhus ;

» Je vous haïrais trop... Vous m'en aimeriez plus.

*

» Ah! que vous me verriez d'un regard moins contraire! » Vous me voulez aimer; & je ne peux vous plaire.

*

» Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant hair...

*

D Car enfin, il vous hait, fon ame ailleurs éprife,

» N'a plus... Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise? Jugez-vous que ma vue infpire des mépris ?

Si ces Héros, dis-je, fe font exprimés avec cette familiarité, à combien plus forte raison le Mifanthrope eft-il bien reçu à dire à fa maîtreffe avec véhémence :

» Rougiffez bien plutôt, vous en avez raifon,

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Et j'ai de fûrs témoins de votre trahison!.. >> Ce n'était pas envain que s'allarmait ma flamme » Mais ne préfumez pas que fans être vengé, » Je fuccombe à l'affront de me voir outragé.... >> C'est une trahison, c'est une perfidie, » Qui ne faurait trouver de trop grands châtimens. Oui, je peux tout permettre à mes reffentimens. » Redoutez tout, Madame, après un tel outrage. » Je ne fuis plus à moi, je fuis tout à la rage. » Percé du coup mortel dont vous m'aslassinez, » Mes fens, par laraifon ne font plus gouvernés.

Certainement fi toute la piéce du Misantrope était dans ce goût, ce ne ferait plus une Comé die. Si Orefte & Hermione s'exprimaient toujours comme on vient de le voir, ce ne ferait plus une Tragédie. Mais après que ces deux genres. fi différens fe font ainfi raprochés, ils rentrent chacun dans leur véritable carriere. L'un reprend le ton plaifant, & l'autre le ton fublime.

La Comédie encor une fois peut donc fe pafLionner, s'emporter, attendrir, pourvu qu'enfuite elle fafle rire les honnêtes gens. Si elle manquait de comique, fi elle n'était que lar moyante, c'eft alors qu'elle ferait un genre très vicieux, & très-défagréable.

On avoue qu'il eft rare de faire paffer les fpectateurs infenfiblement de l'attendriffement au rire. Mais ce paffage, tout difficile qu'il eft Bb

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