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compagnie a des plaifirs que les gens groffiers no connaiflent pas.

Les Spectateurs, en ce cas, font comme les amans qu'une jouiffance trop prompte dégoûte; ce n'eft qu'à travers cent nuages qu'on doit entrevoir ces idées, qui feraient rougir, préfentées de trop près. C'est ce voile qui fait le charme des honnêtes gens: il n'y a point pour eux de plaifir fans bienféance.

Les Français ont connu cette regle plutôt que les autres peuples, non parce qu'ils font fans génie & fans hardieffe,comme le dit ridiculement l'inégal & impétueux Dryden, mais parce que depuis la Régence d'Anne d'Autriche, ils ont été le peuple le plus fociable & le plus poli de la terre : & cette politeffe n'eft point une chofe arbitraire, comme ce qu'on appelle civilité ; c'eft une loi de la na. ture qu'ils ont heureufement cultivée plus que les autres Peuples.

Le Traducteur de Zaire a refpecté prefque par-tout ces bienféances théatrales ; mais il y a quelques endroits où il s'eft livré encor à d'anciens ufages.

Par exemple, lorfque dans la piece Anglaife Orofmane vient annoncer à Zaïre qu'il croit ne la plus aimer, Zaire lui répond en fe roulant par terre. Le Sultan n'eft point ému de la voir

Zaire

dans cette posture de ridicule & de désespoir, & le moment d'après, il est tout étonné que pleure:

Il lui dit cet Hemiftiche:

» Zaïre, vous pleurez !

Il aurait dû lui dire auparavant :

» Zaïre, vous vous roulez par terre.

Auffi ces trois mots, Zaïre, vous pleurez, qui font un grand effet fur notre Théâtre, n'en ont fait aucun fur le théâtre Anglais, parce qu'ils étaient déplacés. Ces expreffions familieres & naïves tirent toute leur force de la feule maniere dont elles font amenées. Seigneur, vous changez de vifage, n'eft rien par foi-même; mais le moment où ces paroles fi fimples font prononcées dans Mithridate, fait frémir.

Ne dire que ce qu'il faut, & de la maniere. dont il le faur, eft, ce me femble, un mérite, dont les Français ont plus approché que les Ecrivains des autres pays. C'eft, je crois, fur cet art que notre Nation doit en être crue.

§. II.

Des maximes pernicieuses.

Nous devons faire obferver qu'il ne faut jamais étaler ces dogmes du crime, comme on en voit dans quelques tragédies de Corneille. Ces

fentences triviales qui enfeignent la fcelerateffe, reffemblent trop à des lieux communs d'un Réteur qui ne connait pas le monde. Non-feulement de telles maximes ne doivent jamais être débitées, mais jamais perfonne ne les a prononcées, même en faifant un crime, ou en le confeillant. C'est manquer aux loix de l'honêteté publique, & aux regles de l'art; c'eft ne pas connaître les hommes, que de propofer le crime comme crime. Voyez avec qu'elle adreffe le fcélerat Narciffe preffe Néron de faire empoifónner Britannicus: il fe garde bien de révolter Néron par l'étalage odieux de ces horribles lieux communs, qu'un Empereur doit être empoisonneur & parricide, dès qu'il y va de fon intérêt. Il échauffe fa colere de Néron par degrés, & le difpefe petit-à-petit à fe défaire de fon frere, fans que Néfon s'apperçoive même de l'adreffe de Narciffe: & fi ce Narciffe avait un grand intérêt à la mort de Britannicus, fa fcène en ferait incomparablement meilleure. Voyez encor comme Acomat, dans la tragédie de Bajazet, s'exprime, en ne confeillant qu'un fimple manquement de parole à une femme àmbitieufe & criminelle:

» Et d'un trône fi faint la moitié n'eft fondée
» Que fur la foi promife, & rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur,

C...

Il corrige la dureté de cette maxime, par ce mot fi naturel & fi adroit, je m'emporte.

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fur le ftile de la tragédie. On a accufé Corneille de fe méprendre un peu à cette pompe des vers, & à cette prédilection qu'il témoigne pour le ftile de Lucain: il faut que cette pompe n'aille jamais juíqu'à l'enflure, & à l'exagération; on n'eftime point dans Lucain, Bella per Emathios plus quam civilia campos, on eftime, nil actum reputans fi quid fupereffet agendum.

De même les Connaiffeurs ont toujours condamné dans Pompée, les fleuves rendus rapides par le débordement des Parricides, & rout ce qui eft dans ce goût; mais ils ont admiré:

O Ciel que de vertus vous me faites haïr!
Reftes d'un demi-Dieu, dont à peine je puis
Egaler le grand nom, tout vainqueur que j'en fuis,

Voilà le véritable ftile de la tragédie; il doit être toujours d'une fimplicité noble qui convient aux perfonnes du premier rang; jamais rien d'em

Y

poulé ni de bas, jamais d'affectation ni d'obfcurité. La pureté du langage doit être rigoureusement obfervée; tous les vers doivent être harmonieux, fans que cette harmonie dérobe rien à la force des fentimens. Il ne faut pas que les vers marchent toujours de deux en deux ; mais que tantôt une penfée foit exprimée en un vers, tantôt en deux ou trois, quelquefois dans un seul hémistiche; on peut étendre une image dans une phrafe de cinq ou fix vers, enfuite en renfermer une autre dans un ou deux. Il faut fouvent finiz an fens par une rime, & commencer un autre fens par la rime correspondante.

Ce font toutes ces regles, très-difficiles à obferver, qui donnent aux vers la grace, l'énergie, l'harmonie dont la profe ne peut jamais approcher c'est ce qui fait qu'on retient par cœur, même malgré foi, les beaux vers. Il y en a beaucoup de cette espece dans les belles tragédies de Corneille. Le Lecteur judicieux fait aisément la comparaison de ces vers harmonieux, naturels & énergiques, avec ceux qui ont les défauts contraires; & c'est par cette comparaison que le goût des jeunes gens pourra fe former aifément. Ce oût jufte efl bien plus rare qu'on ne pense; peu de perfonnes fçavent bien leur langue; pen diftinguent au théâtre l'enflure de la dignité; peu

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