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On ne peut trop redire que l'amour fur le Théâ tre doit être armé du poignard de Melpomene, ou être banni de la fcène. Les fimples propos d'amour font des objets de raillerie, quand ils ne font point relevés, ou par la force d'une paffion, ou par l'élégance du difcours.

Rien n'eft plus infipide, plus bourgeois, plus dégoûtant, que le langage purément amoureux, qui a deshonoré toujours le Théâtre-Français. Racine, au moins, par la pureté de fa diction, par l'harmonie des vers, par le choix des mots, par un ftile auffi foigné que naturel, annoblit un peu ce petit genre, & rechauffe la froideur de ce langage. Je ne parle pas ici de cet amour paffionné, furieux, terrible, qui entre fibien dans la vraie Tragédie; je parle des déclarations d'Antiochus, de Xipharès, de Pharace, d'Hipolite; je parle des fcènes de coqueterie, je parle de ces amours plus propres à l'idile & à la comédie, qu'à la tragédie, dont il a feul foutenu la faibleffe par le charme de la poéfie, & par des fentimens vrais & délicats, inconnus à tout autre qu'à lui.

Un Héros qui ne joue d'autre rôle que celui d'être aimé ou amoureux, ne peut jamais émouyoir, il ceffe dès-lors d'être un perfonnage de

tragédie: c'eft ce qu'on peut quelquefois reprocher à Racine, fi on peut reprocher quelque chose à ce grand homme, qui de tous nos Ecrivains eft celui qui a le plus approché de la perfection dans l'élégance & la beauté continue de fes ouvrages: c'eft fur-tout le grand vice de la tragédie d'Ariane, tragédie d'ailleurs intéreffante, remplie des fentimens les plus touchans, & les plus naturels.

Le malheur de prefque toutes les piéces dans lefquelles une amante eft trahie, c'eft qu'elles retombent toutes dans la fituation d'Ariane, & ce n'eft prefque que la même tragédie fous des noms différens.

J'ofe croire en général que les tragédies qui peuvent fubfifter fans cette paffion, font fans contredit les meilleures, non-feulement parce qu'elles font beaucoup plus difficiles à faire, mais parce que le fujet étant une fois trouvé, l'amour qu'on introduirait y paraîtrait une puérilité, au lieu d'y être un ornement.

Figurez-vous le ridicule qu'une intrigue amou reufe ferait dans Athalie, qu'un grand Prêtre fait égorger à la porte duTemple; dans cet Oreste, qui venge fon pere, & qui tue fa mere ; dans Merope, qui, pour venger la mort de fon fils, leve le bras fur fon fils même; enfin, dans la plûpare.

des fujets vraiment tragiques de l'antiquité. L'a mour doit regner feul, on l'a déja dit; il n'eft pas fait pour la feconde place. Une intrigue politique dans Ariane ferait auffi déplacée qu'une intrigue amoureuse dans le parricide d'Orefie. Ne confondons point ici avec l'amour tragique, les amours de comédie & d'églogue, les declarations, les maximes d'élégie, les galanteries de Madrigal; elles peuvent faire dans la jeuneffe l'amusement de la fociété; mais les vraies paffions font faites pour la fcène.

Redifons toujours que les vers d'Idille, les petites maximes d'amour conviennent peu au dialogue de la tragédie, que toute maxime doit échapper au fentiment du perfonnage, qu'il peut par les expreffions de fon amour, dire rapidement un mot qui devienne maxime, mais non pas être un parleur d'amour.

§. II.

Des Tragédies fans intrigue d'amour.

Les Italiens qui ont été les Restaurateurs de prefque tous les beaux Arts, & les Inventeurs ds quelques uns, furent les premiers qui, fous les yeux de Léon X, firent renaître la tragédie; & M. le Marquis Scipion- Maffei eft le premier

qui, dans ce fiécle où l'art des Sophocles commençait à être amolli par des intrigues d'amour, fouvent étrangeres au fujet, ou avili par d'indi gnes bouffonneries qui déshonoraient le goût de la nation Italienne; il eft le premier, dis-je, qui ait eu le courage & le talent de donner une tragédie fans galanterie, digne des beaux jours d'Athènes, dans laquelle l'amour d'une mere fait toute l'intrigue, & où le plus tendre intérêt naît de la vertu la plus pure.

La France fe glorifie d'Athalie. C'eft le chefd'œuvre de notre théâtre ; c'eft celui de la poéfie ; c'eft de toutes les piéces qu'on joue, la feule où l'amour ne foit pas introduit ; mais auffi elle est foutenue par la pompe de la Religion, & par cette majefté de l'éloquence des Prophetes. M. Maffei n'a point eu cette reffource dans fa Mérope, & cependant il a fourni cette longue carrieres de cinq actes, qui eft fi prodigieufement difficile à remplir fans épisodes.

J'avoue que le fujet de Mérope me paraît beaucoup plus intéreffant & plus tragique que celui d'Athalie ; & fi notre admirable Racine a mis plus d'art, de poéfie & de grandeur dans fon chef-d'œuvre, je ne doute pas que la tragédie Italienne n'ait fait couler beaucoup plus de

larmes.

Le Précepteur d'Alexandre, (& il faut de tels Précepteurs aux Rois) Ariflote, cet efprit fi étendu, fi jufte & fi éclairé dans les chofes qui étaient alors à la portée de l'efprit humain ; Ariftote, dans fa Poétique immortelle, ne balance pas à dire que la réconnaiffance de Mérope & de fon fils, était le moment le plus intéreffant de toute la fcène grecque. Il donnait à cet coup de théâtre la préférence fur tous les autres. Plutarque dit que les Grecs, ce peuple fi fenfible, frémissaient de crainte que le Vicillard, qui devait arrêter le bras de Mérope, n'arrivât pas affez-tôt. Cette piece qu'on jouait de son tems, & dont il nous refte très-peu de fragmens, lui paraiffait la plus touchante de toutes les tragédies d'Euripide; mais ce n'était pas feulement le choix du fujet qui fit le grand fuccès d'Euripide, quoiqu'en tout genre le choix foit beaucoup.

Il a été traité plufieurs fois en France, mais fans fuccès; * peut-être les Auteurs voulurent-ils charger ce fujet fi fimple d'ornemens étrangers. C'était la Vénus toute nue de Praxitele, qu'ils cherchaient à couvrir de clinquant. Il faut toujours beaucoup de tems aux hommes pour leur

* On fait le fuccès prodigieux & mérité de la Mérope de M. de Voltaire; la Scene Françaife compte cette Tra gédie au nombre de les chefs-d'œuvres.

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