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die intéreffante: l'ouvrage le plus approchant de la perfection qui foit jamais forti de la main des hommes, refta long-tems méprifé, & fon illuftre auteur mourut avec le chagrin d'avoir vû fon fiécle éclairé, mais corrompu, ne pas rendre justice à fon chef-d'œuvre.

Il eft certain que fi ce grand homme avait vécu, & s'il avait cultivé un talent, qui seul avait fait fa fortune & fa gloire, & qu'il ne devait pas abandonner; il eût rendu au théâtre fon ancienne pureté, il n'eût point avili par des amours de ruelle les grands fujets de l'antiquité. Il avait commencé l'Iphigénie en Tauride, & la galanterie n'entrait point dans fon plan. Il n'eût jamais rendu amoureux Agamemnon, ni Orefle, ni Electre, ni Téléphonte, ni Ajax; mais ayant malheureusement quitté le théâtre avant de l'épurer, tous ceux qui le fuivirent, imiterent & outrerent fes défauts, fans atteindre à aucune de fes beautés. La morale des Opéra de Quinault entra dans presque toutes les fcènes tragiques: tantôt c'est un Alcibiade, qui avoue que dans ces tendres momens il a toujours éprouvé qu'un mortel peut goûter un bonheur achevé. Tantôt c'eft une Ameftris qui que,

dit

» La fille d'un grand Roi Brûle d'un feu fecret, fans honte & fans effroi.

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Ici un Agnonide,

» De la belle Chryfis en tout lieu fuit les pas, » Adorateur conftant de fes divins appas.

Le féroce Arminius, ce défenfeur de la Germanie, protefte qu'il vient lire fon fort dans les yeux d'Ifménie, & vient dans le camp de Varus, pour voir files beaux yeux de cette Ifménie daignent lui montrer leur tendreffe ordinaire.

Dans Amafis, qui n'eft autre chofe que la Mé rope chargée d'épisodes romanefques, une jeune héroïne, qui depuis trois jours a vû un moment dans une maison de campagne un jeune Inconnu dont elle est éprife, s'écrie avec bienséance :

» C'est ce même Inconnu, pour mon repos, hélas !
» Autant qu'il le devait, il ne fe cache pas;
» Et pour quelques momens qu'il s'offrit à ma vue,
» Je le vis, j'en rougis; mon ame en fut émue.

Dans Athénaïs, un Prince de Perfe fe déguise pour aller voir fa maîtreffe à la cour d'un Empereur Romain. On croit lire enfin les romans de Mademoiselle Scuderi, qui peignait des Bourgeois de Paris fous le nom de Héros de l'antiquité.

Pour achever de fortifier la nation dans ce goût déteftable, & qui nous rend ridicules aux

yeux

yeux de tous les Etrangers fenfés, il arriva, par malheur, que M. de Longepierre, très-zèlé pour l'antiquité, mais qui ne connaiffait pas affez notre Théâtre, & qui ne travaillait pas affez fes vers, fit repréfenter fon Electre. Il faut avouer qu'elle était dans le goût antique ; une froide & malheureuse intrigue ne défigurait pas ce fujet terrible; la piece était fimple & fanc épisode: voilà ce qui lui valait, avec raifon, la faveur déclarée de tant de perfonnes de la premiere confidération, qui efpéraient qu'enfin cette fimplicité précieufe, qui avait fait le mérite des grands génies d'Athènes, pourrait être bien reçue à Paris, où elle avait été fi négligée. Mais malheureusement les défauts de la piece Française l'emporterent fi fort fur les beautés qu'il avait empruntées de la Grece, qu'elle parut à la représentation, une ftatue de Praxitele défigurée par un Moderne. La chûte de cette Electre fit en même tems grand tort aux Partifans de-l'an tiquité : on fe prévalut très-mal-à-propos des dé fauts de la copie, contre le mérite de l'original; & pour achever de corrompre le goût de la Nation, on fe perfuada qu'il était impoffible de foutenir, fans une intrigue amoureufe, & fans des avantures romanefques, ces fujets que les Grecs n'avaient jamais deshonorés par de-telles

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épisodes on prétendit qu'on pouvait admirer les Grecs dans la lecture, mais qu'il était impoffible de les imiter fans être condamné par fon fiécle: étrange contradiction! car fi en effet la lecture en plaît, comment la représentation en peut-elle déplaire?

L'amour regna toujours fur le théâtre de France dans les pieces qui précéderent celles de Corneille, & dans les fiennes. Mais fi vous en exceptez les fcènes de Chimene, il ne fut jamais traité comme il doit l'être. Ce ne fut point une paffion violente, suivie de crimes & de remords; il ne déchira point le cœur, il n'arracha point de larmes. Ce ne fut guères que dans le cinquieme acte d'Andromaque & dans le rôle de Phedre, que Racine, apprit à l'Europe comment cette terrible paffion doit être traitée. On ne connut long-temps que de fades conversations amou reufes, & jamais les fureurs de l'amour.

Il ne faut pas croire que cette malheureuse coutume d'accabler nos Tragédies d'une épisode inutile de galanterie, foit due à Racine, comme on le lui reproche en Italie. C'eft lui, au contraire, qui a fait ce qu'il a pû, pour reformer en cela le goût de la Nation. Jamais chez lui la paffion de l'amour n'eft épifodique; elle eft le

fondement de toutes fes pieces: elle en forme le principal intérêt. C'eft la paffion la plus théatrale de toutes, la plus fertile en sentimens, la plus variée: elle doit être l'ame d'un ouvra e de Théâtre, ou en être entiérement bannie. Si l'amour n'eft pas tragique, il eft infipide; & s'il eft tragique, il doit regner feul. Il n'eft pas fait pour la feconde place. C'est Rotrou, c'est le grand Corneille même, il le faut avouer, qui en créant notre Théâtre, l'ont prefque toujours dé figuré par ces amours de commande, par ces intrigues galantes, qui n'étant point de vraies paffions, ne font point dignes du Théâtre. Quand l'amour n'emeut pas, il refroidit.

En général, les déclarations d'amour font faites pour la Comédie. Les déclarations de Xi pharès, d'Hipolite, d'Antiochus, font de la galanterie, & rien de plus ces morceaux fe fentent du goût dominant qui regnait alors.

Quand dans l'amour il ne s'agit que de l'amour, cette paffion n'eft pas tragique. Monime aimera t-elle Xiphares ou Pharnace? Antiochus épou fera-t-il Bérénice? Bien de gens répondent, que m'importe ? Mais Chimene fera-t-elle couler le fang du Cid? Qui l'emportera d'elle où de Don Diegue? Tous les efprits font en fufpens, tous les cœurs font émus,

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