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he peut paffer rapidement d'un fujet à un autre ; & toutes les fois qu'on promene ainfi le Spectateur d'objets en objets, tout intérêt ceffe. C'eft une des raifons qui empêchent prefque toutes les tragédies de Corneille d'être touchantes.

Le tems nous a appris que quand on veut mettre la politique fur le Théâtre, il faut la traiter comme Racine, y jetter de grands intérêts, des paffions vraies, & de grands mouvemens déloquence; & que rien n'est plus nécessaire qu'un ftyle pur, noble, coulant & égal, qui fe foutienne d'un bout de la piece à l'autre.

Rien n'eft jamais plus mal reçu au théâtre qu'un defefpoir mal placé, & qu'on n'attendait pas d'un homme qui n'a d'abord parlé que de politique.

Ces difputes, ces combats à qui mourra l'un pour l'autre, font une grande impreffion, quand on peut hésiter entre deux perfonnages, quand on ignore fur lequel des deux le coup tombera, mais non pas quand tous les deux font condamnés & condamnables.

Les fubtilités ingénieufes amufent l'efprit dans un livre, encor très-rarement; mais tout ce qui n'eft point fentiment, paffion, pitié, terreur, horreur, eft froideur au Théâtre.

Toutes les longues differtations fur l'amour &

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la fierté, ont toujours un défaut; & ce vice le plus grand de tous, c'eft l'ennui: on ne va au théâtre que pour être ému. L'ame veut toujours être hors d'elle-même, foit par la gaïeté, foit par l'attendriffement, & au moins par la curiofité.

Un petit intérêt d'amour, interrompu, ne peut plus prendre une vraie force. Le cœur doit faigner par degrés dans la tragédie, & toujours des mêmes coups redoublés, & fur-tout variés. Remarquez qu'on ne s'intéreffe jamais à un amant qu'on eft fûr qui fera rebuté. Pourquoi Orefte intéreffe-t-il dans Andromaque? C'est que Racine a eu le grand art de faire espérer qu'Orefte ferait aimé. Un amant toujours rebuté par sa maîtreffe, l'eft toujours par le spectateur, à moins qu'il ne respire la fureur de la vengeance. Point de vraie Tragédie fans grandes paffions.

Il ne fuffit pas de répandre du fang, il faut que l'ame du fpectateur foit continuellement remuée en faveur de ceux dont le fang eft répandu. Ce n'eft pas le meurtre qui touche, c'est l'intérêt qu'on prend aux malheureux. Jamais Corneille n'a cherché cette grande & principale partie de la tragédie; il a donné tout à l'intrigue plus embrouillée qu'intéreffante. Il a élevé l'ame quelquefois; il a excité l'admiration ; il a prefque

toujours négligé les deux grands pivots du tra gique, la terreur & la pitié. Il a fait très-rarement répandre des larmes.

Une femme emportée par une grande paffion, touche beaucoup; mais une femme qui a la va nité de regarder fa poffeffion, comme le plus grand prix où l'on puiffe afpirer, révolte au lieu d'intéreffer.

Corneille manque fouvent à la grande régle femper ad eventum feftinat; mais quel homme l'a toujours obfervée?

J'avouerai que Shakespear eft de tous les Aus teurs tragiques celui où l'on trouve le moins de ces fcènes de pure converfation : il y a prefque tou jours quelque chofe de nouveau dans chacune de fes fcènes; c'eft à la vérité aux dépens des régles & de la vraisemblance; c'est en entaffant vingt-années d'événemens les uns fur les autres, c'eft en mêlant le grotesque au terrible, c'est en paffant d'un cabaret à un champ de bataille, & d'un cimetiere à un trône ; mais enfin il attache. L'art ferait d'attacher & de furprendre toujours, fans aucun de ces moyens irréguliers & burlef→ ques tant employés fur les théâtres Espagnol & Anglais.

L'intrigue (dans la tragédie de Cinna) eft houée dès le premier acte; le plus grand inté

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rét & le plus grand péril s'y manifeftent.

Remarquez que l'on s'intéreffe d'abord beaucoup au fuccès de la confpiration de Cinna & d'Emilie, 1°. parce que c'eft une confpiration. 2o. parce que l'amant & la maîtreffe font en danger, 3°. parce que Cinna a peint Augufte aveo toutes les couleurs que les profcriptions méritent; & que dans fon récit il a rendu Augufle exécrable; 4°. parce qu'il n'y a point de spectateur qui ne prenne dans fon cœur le parti de la liberté. Il eft important de faire voir que dans le premier acte, Cinna & Emilie s'emparent de tout l'intérêt, on tremble qu'ils ne foient découverts; mais enfuite cet intérêt change, c'eft Cinna qu'on hait, c'eft en faveur d'Auguste que le cœur fe déclare. Lorfqu'ainfi on s'intéreffe tour-à-tour pour les partis contraires, on ne s'intéreffe en effet pour perfonne : c'est ce qui fait que plufieurs gens de Lettres regardent Cinna plutôt comme un bel ouvrage que comme une tragédie intéreffante.

le cœur

Le grand art de la tragédie eft que foit toujours frappé des mêmes coups, & que des idées étrangeres n'affaibliffent pas le fentiment dominant. Par-tout où il n'y a ni crainte, ni espérance, ni combats du cœur, ni infortune attendriffante, il ny a point de tragédie.

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Toutes les fois que dans un fujet patétique & terrible, fondé fur ce que la Religion a de plus augufte & de plus effrayant, vous introduirez un intérêt d'Etat, cet intérêt fi puissant ailleurs devient alors pétit & faible. Si au milieu d'un intérêt d'Etat, d'une confpiration, ou d'une grande intrigue politique qui attache l'ame (fuppofé qu'une intrigue politique puiffe attacher) fi, dis-je, vous faites entrer la terreur, & le fublime tiré de la Religion ou de la Fable; dans ces sujets, ce fublime déplacé perd toute fa grandeur, & n'eft plus qu'une froide déclamation. Il ne faut jamais détourner l'efprit du but principal. Si vous traitez Iphigenie, ou Elecsre, ou Pélope, n'y mêlez point de petite intri gue de cour. Si votre fujet eft un intérêt d Etat, un droit au trône difputé, une conjuration découverte, n'allez pas y mêler les Dieux, les Autels, les Oracles, les Sacrifices, les Prophe ies: Non erat his locus:

S'agit-il de la guerre & de la paix? Raisonnez S'agit-il de ces horribles infortunes que la defti née ou la vengeance célefte envoyent fur la terre? Effrayez, touchez, pénétrez. Peignezvous un amour malheureux? Faites répandre des larmes.

Je dois remarquer en général que toutes ces
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