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femme menée en triomphe à Rome, ou de la faire périr pour la soustraire à cette infamie, ne peut guères jouer qu'un rôle défagréable. Un vieux Triumvir, tel qu'Antoine, qui fe perd pour une femme telle que Cléopatre, eft encor moins intéreffant, parce qu'il eft plus méprifable.

La Sophonisbe de Mairet, eut un grand fuccès; mais c'était dans un tems où non-feulement le goût du Public n'était point formé, mais où la France n'avait encor aucune tragédie fupportable.

Il en avait été de même de la Sophonisbe du Triffino; & celle de Corneille fut oubliée au bout de quelques années : elle effuya dans fa nouveauté beaucoup de critiques, & eut des Défenfeurs célebres; mais il paraît qu'elle ne fut ni bien attaquée, ni bien défendue.

Le point principal fut oublié dans toutes ces difputes. Il s'agiffait de favoir fi la piéce était intéreffante; elle ne l'eft pas, puifque malgré le nom de fon Auteur, on ne l'a point rejouée de puis quatre-vingt ans.

Le fuccès eft pre que toujours dans le fujet ; ce qui le prouve, c'eft que Théodore, Sophonisbe, la Toijon d'or, Pertharite, Othon, Agefilas, Surena, Pulcherie, Berenice, Attila, Pieces que Public a profcrites, font écrites à-peu-près du

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même ftyle que Rodogune, dont on revoit le cinquieme acte, & quelques autres morceaux, avec tant de plaifir. Ce font quelquefois les mêmes beautés, & toujours les mêmes défauts dans l'élocution. Par-tout vous trouverez des penfées fortes, & des idées alembiquées, de la hauteur & de la familiarité, de l'amour mêlé de la politique, quelques vers heureux, & beaucoup de mal faits; des raisonnemens, des contestations, des bravades. Il eft impoffible de ne pas reconnaître la même main. D'où peut donc venir la différence du fuccès, fi ce n'eft du fond même du deffein? Les défauts de ftyle qui ne fe remarquent pas dans le beau spectacle du cinquieme acte de Rodogune, fe font fentir quand le fujet ne les couvre pas, quand l'esprit du spectateur refroidi a la liberté d'examiner la diction, l'inconvenance, l'irrégularité des phrases, les folecifmes. Je fais bien qu'Edipe était un trèsbeau fujet; mais ce n'eft pas le fujet de Sophocle que Corneille a traité; c'est l'amour de Thésée & de Dircé, mêlé avec la fable d'dipe. C'eft une froide politique jointe à un froid amour, qui rend tant de Pieces infipides.

Les mariages politiques ne peuvent faire aucun effet au Théâtre; ce font des intrigues, mais non pas des intrigues tragiques. Le cœur

veut être remué; & tout ce qui n'eft que politi que, eft plutôt fait pour être lû dans l'hiftoire, que pour être représenté dans la Tragédie.

Tout ce qui n'eft pas fait pour remuer fortement l'ame, n'est pas du genre de la Tragédie. Le plus grand défaut eft d'être froid.

Puiffent mes reflexions perfuader les jeunes Auteurs, qu'un fujet politique n'eft point un fujet tragique ; que ce qui eft propre pour l'hiftoire, l'eft rarement pour le théâtre ; qu'il faut dans la Tragédie beaucoup de fentiment, & peu de raifonnemens; que l'ame doit être émue par degrés; que fans terreur & fans pitié, nul ouvrage dramatique ne peut atteindre au but de l'art ; & qu'enfin le style doit être pur, vif, majeslueux & facile.

Le fupplice d'un criminel, & fur-tout d'un criminel méprifable, ne produit jamais aucun mouvement dans l'ame; le Spectateur ne craint, ni n'efpere. Il n'y a point d'exemple d'un dénouement pareil qui ait remué l'ame, & il n'y en aura point. Ariflote avait bien raison, & connoiffait. bien le cœur humain, quand il disait que le fimple chatiment d'un coupable ne pouvait être un fujet au théâtre.

Encor une fois, le cœur veut être ému; & quand on ne le trouble pas, on manque à la premiere loi de la Tragédie.

n'eft malheureusement foutenu que par des amplifications de Rhetorique, en vers fouvent durs ou faibles, ou tenans de ce comique qu'on mêlait avec le tragique fur tous les Théâtres de l'Europe au commencement du dix-feptieme fiècle. Cependant cette piece eft un chef-d'œuvre, en comparaifon de prefque tous les ouvrages dramatiques qui la précéderent.

Pompée n'eft point une véritable Tragédie, c'est une tentative que fit Corneille, pour mettre fur la fcène des morceaux excellens, qui ne faifaient point un tout ; c'eft un ouvrage d'un genre unique, qu'il ne faudrait pas imiter, & que fon génie, animé par la grandeur Romaine, pouvait feul faire réuffir. Telle eft la force de ce génie, que cette piece l'emporte encor fur mille pieces régulieres, que leur froideur a fait oublier. Trente beaux Vers de Cornelie valent beaucoup mieux qu'une piece médiocre.

Athalie & Polyeucte.

Les Connaiffeurs penfent qu'Athalie eft trèsTupérieure à Polyeuce, par la fimplicité du fujet, par la régularité, par la grandeur des idées, par la fublimité de l'expreffion, par la beauté de la poéfie. Il eft vrai que ces Connaiffeurs reprochent au Prêtre Joad d'être impitoyable & fanatique,

de

de dire à fa femme qui parle à Mathan: Ne craignez-vous pas que ces murailles ne tombent fur vous, & que l'enfer ne vous engloutiffe? d'aller beaucoup au-delà de fon miniftère, d'empêcher qu'Athalie n'éleve le petit Joas, qui eft fon feul héritier, de faire tomber la Reine dans le piége, d'ordonner fon fuplice, comme s'il était fon Juge, de prendre enfin le brave Abner pour dupe. On reproche à Maihan de fe vanter de fes crimes: on reproche à la piece des longueurs. Prefque tous ces défauts font ceux du fujet, mais le grand mérite de cette tragédie, eft d'être la premiere qui ait intéreffé fans amour, au lieu que dans Polyeuce, le plus grand mérite, eft l'amour de Sévére.

CHAPITRE III.

De l'Action theatrale.

IL eft vrai que le Théâtre Anglais eft bien défectueux. J'ai entendu dire à plufieurs célèbres Anglais, qu'ils n'avaient pas une bonne tragédieg mais en récompenfe, dans ces pieces fi monfrueufes, on trouve des fcènes admirables. Il a manqué jufqu'à préfent à tous les Auteurs tragiques de la Nation Anglaife, cette pureté, cette

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