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aux Spectateurs les plus infenfibles, il faut dé chirer les ames les plus dures. Sans la terreur, & fans la pitié, point de Tragédie; & quand vous auriez excité cette pitié & cette terreur, fi avec ces avantages vous avez manqué aux au tres loix, fi vos vers ne font pas excellens, vous n'êtes qu'un médiocre Ecrivain, qui avez traité un fujet heureux,

Qu'une Tragédie eft difficile! Et qu'une Epître, une Satyre font aifées ! Comment donc ofer mettre dans le même rang un Racine & un Defpréaux ! Quoi! on eftimerait autant un Peintre de portrait qu'un Raphaël! Quoi! une tête de Rimbran fera égale au tableau de la Transfiguration, ou à celui des noces de Cana?

Refferrer un événement illuftre & intéreffant dans l'espace de trois heures, ne faire paraître les perfonnages que quand ils doivent venir, former une intrigue auffi vraisemblable qu'attachante, ne dire rien d'inutile, inftruire l'efprit & remuer le cœur, être toujours éloquent en vers, & de l'éloquence propre à chaque caractère que l'on repréfente; parler fa langue avec autant de pureté que dans la profe la plus châtiée, fans que la contrainte de la rime paraiffe gêner les pensées ; ne se pas permettre un feul vers ou dur, ou obfcur, ou

déclamateur; ce font-là les conditions qu'on exige aujourd'hui d'une Tragédie, pour qu'elle puiffe paffer à la postérité avec l'approbation des connaisseurs, fans laquelle il n'y a jamais de réputation véritable.

Les Anglais ont la coutume de finir prefque tous leurs Actes par une comparaifon; mais nous exigeons, dans une Tragédie, que ce soit les Héros qui parlent, & non le Poëte ; & notre Public penfe que dans une grande crife d'affaires, dans un confeil, dans une paffion violente, dans un danger preffant, les Princes, les Miniftres, ne font point de comparaisons poëtis §. I I.

ques.

Du fujet propre à la Tragédie.

Les Pieces tragiques font fondées ou sur les intérêts de toute une Nation, ou fur les intérêts. particuliers de quelques Princes. De ce premier genre font l'Iphigenie en Aulide, où la Grece affemblée demande le fang du fils d'Agammemnon: les Horaces, où trois Combattans ont entre les mains le fort de Rome: l'@dipe, où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtre de Laius. Du fecond genre font Britannicus Phedre, Mithridate, &c.

Dans ces trois dernieres, tout l'intérêt eft renfermé dans la famille du Héros de la piece : tout roule fur des paffions que des Bourgeois reffentent comme les Princes : & l'intrigue de ces ouvrages eft auffi propre à la Comédie qu'à la Tragédie. Otez les noms: Mithridate n'est qu'un Vieillard amoureux d'une jeune fille : fes deux fils en font amoureux auffi; & il fe fert d'une rufe affez baffe pour découvrir celui des deux qui eft aimé. Phédre eft une belle-mere, qui, enhardie par une intrigante, fait des propofitions à fon beau-fils, lequel eft occupé ailleurs, Néron eft un jeune homme impétueux, qui devient amoureux tout d'un coup, qui dans le moment veut fe féparer d'avec fa femme, & qui fe cache derriere une tapisserie pour écouter les difcours de fa Maitreffe. Voilà des fujets que Moliere a pû traiter comme Racine. Auffi l'intrigue de l'Avare eft-elle précisément la même que celle de Mithridate. Harpagon, & le Roi de Pont, font deux Vieillards amoureux; l'un & l'autre ont leur fils pour rival; l'un & l'autre fe fervent du même artifice pour découvrir l'intelligence qui eft entre leur fils & leur maîtreffe; & les deux pieces finiffent par le mariage du jeune homme.

Moliere & Racine ont également réuffi, en eraitant ces deux intrigues: l'un a amusé, a ré

jouï, a fait rire les honnêtes-gens; l'autre a attendri, a effrayé, a fait verfer des larmes. Moliere a joué l'amour ridicule d'un vieil Avare: Racine a repréfenté les faibleffes d'un grand Roi, & les a rendues refpectables.

Que l'on donne une noce à peindre à Vateau & à le Brun; l'un représentera fous une treille des Payfans pleins d'une joie naïve, groffiere & effrénée, autour d'une table ruftique, où l'yvreffe, l'emportement, la débauche, le rire immodéré regneront. L'autre peindra les noces de Pelée & de Thetis, les feftins des Dieux, leur joie majestueuse. Et tous deux feront arrivés à la perfection de leur art, par des chemins différens.

On peut appliquer tous ces exemples à Mariamne. La mauvaise humeur d'une femme, l'amour d'un vieux mari, les tracafferies d'une belle fœur, font de petits objets comiques par euxmêmes; mais un Roi, à qui la terre a donné le nom de Grand, éperdûment amoureux de la plus belle femme de l'univers ; la paffion furieufe de ce Roi, fi fameux par fes vertus & par fes crimes, fes cruautés paffées, fes remords préfens; ce paffage fi continuel & fi rapide de l'amour à la haine, & de la haine à l'amour: l'ambition de fa fœur, les intrigues de fes Miniftres, la fi

tuation cruelle d'une Princeffe, dont la vertu & la beauté font célebres encor dans le monde > qui avait vû fon pere & fon frere livrés à la mort par fon mari, & qui pour comble de douleur se voyait aimée du meurtrier de fa famille : Quel champ! quelle carriere pour un génie ? Peut-on dire qu'un tel fujet foit indigne de la Tragédie? c'eft-là fur-tout, que felon ce que l'on peut être, les choses changent de nom.

On demande jusqu'à quel point il est permis de falfifier l'hiftoire dans un Poëme? Je ne crois pas qu'on puiffe changer fans déplaire, les faits ni même les caractères connus du Public. Un Auteur qui repréfenterait Céfar battu à Pharfale ferait auffi ridicule que celui qui dans un Opéra introduifait Cefar fur la scène chantant Alla fuga, à lo Scampo Signori, Mais quand les événemens qu'on traite font ignorés d'une Nation, l'Auteur en eft abfolument le maître.

Il y a des points d'hiftoire qui paraiffent au premier coup d'oeil de beaux fujets de Tragé die, & qui au fond font prefque impraticables: telles font, par exemple, les catastrophes de Sophonisbe, & de Marc-Antoine. Une des raifons qui, probablement exclueront toujours ces fujets du Théâtre, c'eft qu'il eft bien difficile que le Héros n'y foit avili, Massinisse obligé de voir fa

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