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Du Chaur dans la Tragédie.

CHEZ les Anciens, le Chœur remplissait l'in

tervalle des actes, & paraiffait toujours fur la fcène. Il y avait à cela plus d'un inconvénient car, ou il parlait dans les entre-actes de ce qui s'était paffé dans les actes précédens, & c'était une répétition fatigante; ou il prévenait ce qui

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devait arriver dans les actes fuivans, & c'était une annonce qui pouvait dérober le plaifir de la surprise; ou enfin il était étranger au fujet, & par conféquent il devait ennuyer.

La préfence continuelle du Choeur dans la Tragédie, me paraît encor plus impraticable: l'intrigue d'une piece intéreffante exige d'ordinaire que les principaux Acteurs aient des fecrets à fe confier. Eh! le moyen de dire son secret à tout un peuple ? C'eft une chofe plaifante de voir Phedre dans Euripide avouer à une troupe de femmes un amour inceftueux, qu'elle doit craindre de s'avouer à elle-même. On demandera peut-être comment les Anciens pouvaient conferver fi fcrupuleufement un ufage fi fujet au ridicule; c'eft qu'ils étaient perfuadés que le Choeur était la bafe & le fondement de la Tragédie. Voilà bien les hommes, qui prennent prefque toujours l'origine d'une chofe pour l'effence de la chose même. Les Anciens favaient que ce spectacle avait commencé par une troupe de Payfans yvres, qui chantaient les louanges de Bacchus, & ils voulaient que le théâtre fût toujours rempli d'une troupe d'Acteurs, qui, en chantant les louanges des Dieux, rappellaffent L'idée que le peuple avait de l'origine de la Tragédie. Long-tems même le Poëme dramatique

ne fut qu'un fimple Choeur, & les perfonnages qu'on y ajouta ne furent regardés que comme des Episodes; & il y a encor aujourd'hui des Savans qui ont le courage d'affurer que nous n'avons aucune idée de la véritable Tragédie, depuis que nous avons banni les Chœurs : c'eft - comme fi, dans une piece, on voulait que nous miffions Paris, Londres & Madrid fur le Theâtre, parce que nos peres en ufaient ainfi, lorf que la Comédie fut établie en France.

M. Racine qui a introduit des Choeurs dans Athalie & dans Efther, s'y eft pris avec plus de précaution que les Grecs; il ne les a guères fait paraître que dans les entre-actes encor a-t-il eu bien de la peine à le faire avec la vraifemblance qu'exige toujours l'art du Théâtre.

A quel propos faire chanter une troupe de Juives, lorsqu'Efther a raconté fes aventures à Elife? Il faut néceffairement, pour amener cette Mufique, qu'Efther leur ordonne de lui chanter quelque air:

Mes Filles, chantez-nous quelqu'un de ces Cantiques... Je ne parle pas du bizarre affortiment du chant & de la déclamation dans une même feène: mais du moins il faut avouer que des moralités mifes en mufique, doivent paraître bien froides,

après ces dialogues pleins de paffion, qui font le caractère de la Tragédie. Un Choeur ferait bien mal venu, après la déclaration de Phédre, ou après la conversation de Sévére & de Pauline.

Je croirai donc toujours, jufqu'à ce que l'évé nement me détrompe, qu'on ne peut hafarder le Choeur dans une Tragédie, qu'avec la précaution de l'introduire à fon rang, & feulement lorfqu'il eft néceffaire pour l'ornement de la Scè ne: encor n'y a-t-il que très-peu de fujets où cette nouveauté puiffe être reçue. Le Choeur ferait abfolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, & généralement dans toutes les Pieces dont l'intrigue n'eft fondée que fur les intérêts de quelques Particuliers ; il ne peut convenir qu'à des pieces où il s'agit du falut de tout un peuple.

CHAPITRE II.

§. I.

De l'art & du mérite de la Tragédie.

Je ne vois pas comment on peut égaler une Epître, une Ode, à une bonne piece de Théâtre. Qu'une Epître, ou ce qui eft plus aisé à faire,

une Satyre, ou ce qui est souvent affez infipide, une Ode, foit auffi-bien écrite qu'une Tragédie; il y a cent fois plus de mérite à faire celle-ci, & plus de plaifir à la voir, que non pas à tranfcrire ou à lire des lieux communs de morale. Je dis lieux communs; car tout a été dit. Une bonne Epître morale ne nous apprend rien ; une bonne Ode encor moins; elle peut tout au plus amufer un quart d'heure les gens du métier; mais créer un fujet, inventer un nœud & un dénouement, donner à chaque perfonnage fon caractère, & le foutenir, faire en forte qu'aucun d'eux ne paraiffe & ne forte fans une raison fentie de tous les Spectateurs, ne laisser jamais le Théâtre vuide, faire dire à chacun ce qu'il doit dire, avec nobleffe fans enflure, avec fimplicité fans baffeffe, faire de beaux vers qui ne fentent point le Poëte, & tels que le perfonnage aurait dû en faire, s'il parlait en vers; c'eft-là une partie des devoirs que tout Auteur d'une Tragédie doit remplir, fous peine de ne point réuffir parmi nous. Et quand il s'eft acquitté de tous ces devoirs, il n'a encor rien fait. Efther eft une piece qui remplit toutes ces conditions; mais quand on l'a voulu jouer en public, on n'a pû en foutenir la représentation. Il faut tenir le cœur des hommes dans fa main; il faut arracher des larmes

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