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CHAPITRE V.

De la Tragédie en France,

à un JOURNALISTE.

N fait quel honneur l'art de la Tragédie a fait à la France, art d'autant plus difficile & d'autant plus au-deffus de la Comédie, qu'il faut être vraiment Poëte pour faire une belle Tragé die au lieu que la Comédie demande feulement quelque talent pour les vers.

Vous, Monfieur, qui entendez fi bien Sophoole & Euripide, ne cherchez point une vaine récompenfe du travail qu'il vous en a coûté pour ́les entendre, dans le malheureux plaifir de les préférer contre votre sentiment, à nos grands Auteurs Français. Souvenez-vous que quand je vous ai défié de me montrer dans les Tragiques de l'antiquité des morceaux comparables à certains traits des pieces de Pierre Corneille, je dis de fes moins bonnes, vous avouâtes que c'était une chose impoffible. Ces traits dont je parle, étaient, par exemple, ces vers de la Tragédie de Nicomede. Je veux, dit Prufias: *

Ecouter à la fois l'amour & la nature,
Etre pere & mari dans cette conjoncture,

* Nicomede, Tragédie, A&te IV, Scène III,

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NICOMED E.

Seigneur, voulez-vous bien vous en fier à moi?
Ne foyez l'un ni l'autre.

PRUSIAS.

Eh! Que dois-je être ?

NICOME D E.

Roi.

Reprenez hautement ce noble caractère.
Un véritable Roi n'est ni mari, ni pere,
Il regarde fon trône, & rien de plus. Regnez,
Rome vous craindra plus que vous ne la craignez

Vous n'infererez point que les dernieres pieces du Pere du Théâtre foient bonnes, parce qu'il s'y trouve de fi beaux éclairs: avouez leur extrême faibleffe avec tout le Public.

Agefilas & Surena ne peuvent rien diminuer de l'honneur que Cinna & Polieude font à la France. M. de Fontenelle, neveu du grand Corneille, dit dans la vie de fon oncle, que fi le proverbe, cela est beau comme le Çid, passa troptôt, il faut s'en prendre aux Auteurs qui avaient intérêt à l'abolir. Non, les Auteurs ne pouvaient pas plus caufer la chûte du proverbe, que celle du Cid. C'eft Corneille lui-même qui le détruifit, c'eft à Cinna qu'il faut s'en prendre. Ne dites

point avec l'Abbé de Saint Pierre, que dans cinquante ans on ne jouera plus les pieces de Racine. Je plains nos enfans, s'ils ne goûtent pas ces chefs-d'œuvres d'élégance. Comment leur cœur fera-t-il donc fait, fi Racine ne les intéreffe pas ?

Il y a apparence que les bons Auteurs du fiécle de Louis XIV, dureront autant que la langue Française. Mais ne découragez pas leurs fucceffeurs, en affurant que la carriere eft remplie, & qu'il n'y a plus de place. Corneille n'eft pas affez intéreffant. Souvent Racine n'eft pas affez tragique. L'Auteur de Venceslas, celui de Radamifte & d'Electre, avec leurs grands défauts, ont des beautés particulieres, qui manquent à ces deux grands hommes; & il eft à préfumer que ces trois pieces refteront toujours fur le théâtre Français, puifqu'elles s'y font foutenues avec des Acteurs différens, car c'est la vraie épreuve d'une Tragédie. Que dirai-je de Manlius, piece digne de Corneille, & du beau rôle d'Arianne, & du grand intérêt qui régne dans Amafis? Je ne vous parlerai point des pieces tragiques faites depuis vingt années: comme j'en ai compofé quelquesunes, il ne m'appartient pas d'ofer apprécier le mérite des Contemporains qui valent mieux que

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moi; & à l'égard de mes Ouvrages de théâtre, tout ce que je peux vous en dire, c'eft que je les corrige tous les jours.

Fin de la premiere Partie

Jacques Laget

27.2.1987

:[ZPH]

POETIQUE

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