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en comparaifon de ceux des Grecs & des Ro mains, ce que font nos Halles, notre place de Greve, nos petites fontaines de Village, où des Porteurs d'eau viennent remplir leurs féaux, en comparaifon des aqueducs, & des fontaines d'Agrippa, du Forum Trajani, du Colifée & du Capitole.

Nos Salles de fpectacle méritaient bien, fans doute, d'être excommuniées, quand des Bateleurs louaient un jeu de Paume pour représenter Cinna fur des tréteaux, & que ces ignorans, vêtus comme des Charlatans, jouaient César & Augufle en perruque quarrée, & en chapeau bordé.

Tout fut bas & fervile. Des Comédiens avaient un privilege; ils achetaient un jeu de Paume, un tripot: ils formaient une troupe comme des Marchands forment une fociété. Ce n'était pas là le théâtre de Periclès: Que pouvait-on faire fur une vaingtaine de planches chargées de Spectateurs? Quelle pompe, quel appareil pouvait parler aux yeux? Quelle grande action théâtrale pouvait être exécutée ? Quelle liberté pouvait avoir l'imagination du Poëte? Les piéces devaient être compofées de longs récits: c'était des conversations, plutôt qu'une action. Chaque Comédien voulait briller par un long monologue;

ils rébutaient une piéce qui n'en avait point; if fallut que Corneille, dans Cinna, débutât par l'inutile Monologue d'Emilie, qu'on retranche aujourd'hui.

Cette forme excluait toute action théatrale, toutes grandes expreffions des paffions, ces tableaux frappans des infortunes humaines, ces traits terribles & perçans qui arrachent le cœur ; on le touchait, & il fallait le déchirer. La déclamation qui fut jufqu'à Mlle Lecouvreur un récitatif mefuré, un chant prefque noté, me tait encor un obstacle à ces emportemens de la na-ture, qui fe peignent par un mot, par une attitude, par un filence, par un cri qui échape à la douleur.

Nous ne commençames à connaître ces traits que par Mile Dumefnil, lorfque dans Mérope, les yeux égarés, la voix entrecoupée, levant une main tremblante, elle allait immoler fon propre fils; quand Narbas l'arrêta, quand laiffant tomber fon poignard, on la vit s'évanouir entre les bras de fes femmes, & qu'elle fortit de cet état de mort, avec les transports d'une mere; lorsqu'enfuite s'élançant aux yeux de Polifonte, traverfant en un clin d'œil tout le théâtre, les larmes dans les yeux, la pâleur fur le front, les fanglots à la bouche, les bras éten

dus, elle s'écria: Barbare, il eft mon fils! Nous avons vu Baron; il était noble & décent, mais c'était tout. Mlle Lecouvreur avait les graces, la jufteffe, la fimplicité, la vérité, la bienséance; mais pour le grand pathétique de l'action, nous le vîmes la premiere fois dans Mlle Dumefnil.

Quelque chofe de fupérieur encor, s'il est pos‐ fible, a été l'action de Mlle Clairon, & de l'Acteur qui joue Tancrede au troisieme acte de la piece de ce nom, & à la fin du cinquieme. Jamais les ames n'ont été transportées par des fécouffes fi vives, jamais les larmes n'ont plus coulé. La perfection de l'art des Acteurs s'eft déployée en ces deux occafions, dans une force dont jufques-là nous n'avions point d'idée, & Mlle Clairon eft devenue, fans contredit, le plus grand Peintre de la nation.

Si dans le quatrieme acte de Mahomet on avait de jeunes Acteurs qui priffent ces grands traits pour modele, un Seide qui fût être à la fois enthoufiafte & tendre, féroce par fanatifme, humain par nature, qui fût frémir & pleurer, une Palmire animée, attendrie, effrayée, tremblante du crime qu'on va commettre ; fentant déja l'horreur, le repentir, le défefpoir à l'inftant que le crime eft commis; un pere vraiment pere qui en eut les entrailles, la voix, le maintien ;

an pere qui reconnait fes deux enfans dans fes deux meurtriers, qui les embraffe en verfant fes larmes avec fon fang; qui mêle fes pleurs avec ceux de fes enfans, qui fe fouléve pour les ferrer entre ses bras, retombe, se penche sur eux ; enfin ce que la nature & la mort peuvent fournir à un tableau ; cette fituation ferait encor au-deffus de celle dont nous venons de parler.

Ce n'est que depuis quelques années que les Acteurs ont enfin hazardé d'être ce qu'il doivent être, des peintures vivantes : auparavant ils déclamaient. Nous favons, & le Public le fait mieux que nous, qu'il ne faut pas prodiguer ces actions terribles & déchirantes, que plus elles font d'im preffion, bien amenées, bien ménagées, plus elles font impertinentes quand elles font hors

de
propos. Une piece mal écrite, mal débrouil-
lée, obfcure, chargée d'incidens incroyables,
qui n'a de mérite que celui d'un Pantomine, &
d'un Décorateur, n'est qu'un monftre dégoutant.

Placez un tombeau dans Sémiramis, osez faire paraître l'ombre de Ninus; que Ninias forte de ce tombeau les bras teints du fang de fa mere cela vous fera permis. Le respect de l'antiquité, la mythologie, la majesté du fujet, la grandeur du crime; je ne fais quoi de fombre & de terrible répandu dès les premiers vers fur toute cette

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tragédie, transportent le Spectateur hors de fon fiécle & de fon pays; mais ne répétez pas ces hardieffes; qu'elles foient rares, qu'elles foient néceffaires; fi elles font inutilement prodiguées, elles feront rire.

L'abús de l'action théatrale peut faire rentrer la tragédie dans la barbarie. Que faut-il donc faire? craindre tous les écueils; mais comme il eft plus aifé de faire une belle décoration qu'une belle fèène, plus aisé d'indiquer des attitudes -que de bien écrire, il eft vraisemblable qu'on gâtera la tragédie en croyant la perfectionner,

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De la Tragédie Française comparée à la
Tragédie Grecque.

HEUREUSEM

EUREUSEMENT la bonne & vraie Tragédie parut en France avant que nous euffions nos Opéra qui auraient pû l'étouffer. Un Auteur nommé Mairet fut le premier, qui, en imitant la Sophoniste du Triffino, introduifit la regle des trois unités qui avait été prife des Grecs. Peu

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peu notre fcène s'épura, & fe défit de l'indé-, cence & de la barbarie qui deshonoraient alors tant de théâtres, & qui fervaient d'excuse à ceux

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