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Auteur qui ne fait, ou qui ne peut s'arrêter, n'eft pas propre à fournir une telle carriere.

Un fi grand nombre de défauts n'a pas empêché le célebre Michel Cervantes de dire que l'Araucana peut être comparé avec les meilleurs Poëmes d'Italie. L'amour aveugle de la Patrie a fans doute dicté ce faux jugement à l'Auteur Efpagnol. Le véritable & folide amour de la Patrie confifte à lui faire du bien, & à contribuer à fa liberté autant qu'il nous eft poffible. Mais difputer feulement fur les Auteurs de notre Nation, nous vanter d'avoir parmi nous de meilleurs Poëtes que nos voisins, c'eft plutôt fot amour de nous-mêmes, qu'amour de notre pays.

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MILTON voyageant en Italie dans fa jeunesse,

vit représenter à Milan une Comédie intitulée, Adam, ou le Péché originel, écrite par un certain Andreino, & dédiée à Marie de Médicis, Reine de France: le fujet de cette Comédie était la

chûte de l'homme. Les Acteurs étaient DIEU LE PERE, les Diables, les Anges, Adam, Eve, le ferpent, la mort, & les fept péchés mortels. Ce fujet, digne du génie abfurde du théâtre de ce tems-là, était écrit d'une maniere qui répondait au deffein.

La fcène s'ouvre par un choeur d'Anges, & Michel parle ainfi au nom de fes confreres : « Que » l'arc-en-ciel foit l'archet du violon du firma» ment; que les fept planetes foient les fept no» tes de notre musique; que le tems batte exac» tement la mesure; que les vents jouent de l'or» gue,&c. » Toute la piece eft dans ce goût. J'avertis feulement les Français, qui en riront, que notre théâtre ne valait gueres mieux alors; que la mort de faint Jean-Baptifte, & cent autres Pieces, font écrites dans ce ftyle; mais que nous n'avions.ni Paftor-Fido, ni Aminte.

Milton, qui affifta à cette représentation, découvrit, à travers l'abfurdité de l'ouvrage, la fublimité cachée du fujet. Il y a fouvent dans des chofes où tout paraît ridicule au vulgaire, un coin de grandeur qui ne fe fait appercevoir qu'aux hommes de génie. Les fept péchés mortels danfant avec le Diable, font affurément le comble de l'extravagance & de la fottife; mais l'UDivers rendu malheureux par la faiblefle d'un home

me, les bontés & les vengeances du CRÉATEUR, la fource de nos malheurs & de nos crimes, font des objets dignes du pinceau le plus hardi. Il y a fur-tout dans ce fujet je ne fai quelle horreur ténébreuse, un fublime fombre & trifte, qui ne convient pas mal à l'imagination Anglaife. Milton conçut le deffein de faire une Tragédie de la Farce d'Andreino: il en compofa même un Acte & demi.

La Tragédie de Milton commençait par ce monologue de Satan, qu'on voit dans le quatrieme Chant de fon Poëme épique. C'est lorfque cet efprit de révolte s'échappant du fond des enfers, découvre le foleil qui fortait des mains du CRÉATEUR.

>> Toi, fur qui mon Tyran prodigue fes bienfaits, » Soleil, aftre de feu, jour heureux que je hais,

» Jour qui fait mon fupplice, & dont mes yeux s'étonnent, >> Toi, qui fembles le Dieu des Cieux qui t'environnent, » Devant qui tout éclat difparaît & s'enfuit,

>> Qui fais pâlir le front des aftres de la nuit s » Image du Très-Haut qui régla ta carriere, » Hélas! j'euffe autrefois éclipfé ta lumiere. » Sur la voûte des Cieux, élevé plus que toi,

» Le thrône où tu t'affieds s'abaissait devant moi;

» Je suis tombé, l'orgueil m'a plongé dans l'abysme.

Dans le tems qu'il travaillait à cette Tragédie,

la sphere de fes idées s'élargiffait à mesure qu'il penfait. Son plan devint immense sous fa plume; & enfin au lieu d'une Tragédie, qui après tout n'eût été que bizarre & non intéreffante, il imagina un Poëme épique, efpece d'ouvrage dans lequel les hommes font convenus d'approuver fouvent le bizarre fous le nom du merveilleux.

Les guerres civiles d'Angleterre, ôterent longtems à Milton le loifir néceffaire pour l'exécu

tion d'un fi grand deffein. Il était né avec une paffion extrême pour la liberté. Ce fentiment l'empêcha toujours de prendre parti pour aucune des fectes qui avaient la fureur de dominer dans fa patrie. Il ne voulut fléchir sous le joug d'aucune opinion humaine, & il n'y eut point d'Eglife qui pût fe vanter de compter Milton pour un de fes membres. Mais il ne garda point cette neutralité dans les guerres civiles du Roi & du Parlement. Il fut un des plus ardens ennemis de l'infortuné Roi Charles I. Il entra même affez avant dans la faveur de Cromwel; & par une fatalité qui n'eft que trop commune, ce zélé Républicain fut le ferviteur d'un Tyran. Il fut Secretaire d'Olivier Cromwel, de Richard Cromwel, & du Parlement, qui dura jufqu'au tems de la reftauration. Les Anglais employerent fa plume pour justifier la mort de leur Roi, & pour répondre au

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livre que Charles II. avait fait écrire par Saumaife au fujet de cet événement tragique. Jamais caufe ne fut plus belle, & ne fut fi mal plaidée de part & d'autre. Saumaife défendit en pedant le parti d'un Roi mort fur l'échafaud, d'une famille royale errante dans l'Europe, & de tous les Rois même de l'Europe, intéreffés dans cette querelle. Milton foutint en mauvais déclamateur la caufe d'un Peuple victorieux, qui fe vantait d'avoir jugé fon Prince felon les loix. La mémoire de cette révolution étrange ne périra jamais chez les hommes, & les livres de Saumaise & de Milton font déja enfevelis dans l'oubli. Milton, que les Anglais regardent aujourd'hui comme un Poëte divin, était un très-mauvais écrivain en profe.

Il avait cinquante-deux ans lorfque la famille royale fut rétablie. Il fut compris dans l'amniftie que Charles II. donna aux ennemis de fon pere; mais il fut déclaré, par l'acte même d'amniftie, incapable de pofféder aucune charge dans le royaume. Ce fut alors qu'il commença fon Poëme épique, à l'âge où Virgile avait fini le fien. A peine avait-il mis la main à cet ouvrage, qu'il fut privé de la vue. Il fe trouva pauvre, abandonné & aveugle, & ne fut point découragé. Il employa neuf années à compofer le Paradis-perdu. Il avait alors très-peu de réputation: les beaux

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