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Si le Diable joue dans fon Poëme le rôle d'un miférable Charlatan, d'un autre côté tout ce qui regarde la Religion y eft expofé avec majesté, &, fi j'ose le dire, dans l'efprit de la Religion. Les Proceffions, les Litanies, & quelques autres détails des pratiques religieufes, font représentés dans la Jerufalem délivrée, fous une forme refpectable. Telle eft la force de la poéfie, qui fait ennoblir tout, & étendre la fphere des moindres chofes.

Il a eu l'inadvertence de donner aux mauvais. efprits les noms de Pluton & d'Alecton, & d'avoir confondu les idées payennes avec les idées. chrétiennes. Il est étrange que la plupart des Poëtes modernes foient tombés dans cette faute. On dirait que nos diables. & notre enfer chrétien, auraient quelque chofe de bas & de ridicule, qui demanderait d'être ennobli par l'idée de l'enfer payen. Il eft vrai que Pluton, Proferpine, Radamanie, Tifiphone, font des noms plus agréables que Belzebut & Aftarot; nous rions du mot de Diable, nous refpectons celui de Furie. Voilà ce que c'est que d'avoir le mérite de l'antiquité; il n'y a pas jufqu'à l'enfer qui n'y gagne,

CHAPITRE VIII.

DON ALONZO D'ERCILLA.

SUR la fin du feizieme fiecle l'Espagne produifit un Poëme épique, célebre par quelques beautés particulieres qui y brillent, auffi-bien que par la fingularité du fujet, mais encor plus remarqua ble par le caractère de l'Auteur.

Don Alonzo d'Ercilla y Cuniga, Gentilhomme de la Chambre de l'Empereur Maximilien, fut élevé dans la maifon de Philippe II, & combattit à la bataille de St Quentin, où les Français furent défaits. Philippe qui n'était point à cette bataille, moins jaloux d'acquérir de la gloire au-dehors, que d'établir fes affaires audedans, retourna en Espagne. Le jeune Alonzo, entraîné par une infatiable avidité du vrai sçavoir, c'est-à-dire, de connaître les hommes, & de voir le monde, voyagea par toute la France, parcourut l'Italie & l'Allemagne, & féjourna long-tems en Angleterre. Tandis qu'il était à Londres, il entendit dire, que quelques provinces du Perou & du Chily, avaient pris les armes contre les Espagnols, leurs conquérans. Je dirai en paffant, que cette tentative des Améri

cains pour recouvrer leur liberté, eft traitée de rébellion par les Auteurs Espagnols. La paffion qu'il avait pour la gloire, & le defir de voir & d'entreprendre des chofes fingulieres, l'entraî nerent dans ce pays du nouveau monde. Il alla zu Chily à la tête de quelques troupes, & il y refta pendant tout le tems de la guerre.

Sur les frontieres du Chily, du côté du Sud, eft une petite contrée montagneufe, nommée Araucana, habitée par une race d'hommes plus robuftes & plus féroces que tous les autres peuples de l'Amérique. Ils combattirent pour la défense de leur liberté avec plus de courage & plus long-tems que les autres Américains; & ils furent les derniers que les Elpagnols foumirent. Alonzo foutint contr'eux une pénible & longue guerre. Il courut des dangers extrêmes : il vit & fit les actions les plus étonnantes, dont la feule récompenfe fut l'honneur de conquérir des rochers, & de réduire quelques contrées incultes fous l'obéiffance du Roi d'Espagne..

Pendant le cours de cette guerre Alonzo con çut le deffein d'immortaliser ses ennemis en simmortalifant lui-même. Il fut en même tems le Conquérant & le Poëte; il employa les intervalles de loifir que la guerre lui laiff it, à en chaner les événemens, &, faute de papier, il écrivit

la premiere partie de fon Poëme fur de petits morceaux de cuir, qu'il eut enfuite bien de la peine à arranger. Ce Poeme s'appelle Araucana, du nom de la contrée.

Il commence par une description géographi que du Chily, & par la peinture des mœurs & des coutumes des habitans. Ce commencement qui ferait infupportable dans tout autre Poëme, eft ici néceffaire, & ne déplaît pas dans un fujet où la scène eft par-delà d'autre Tropique, & où les Héros font des fauvages qui nous auraient toujours été inconnus, s'il ne les avait pas conquis & célébrés. Ce fujet, qui était neuf, a fait naître des pensées neuves. J'en présenterai une au Lecteur pour échantillon, comme une étincelle du beau feu qui animait quelquefois l'Au

teur.

» Les Araucaniens, dit-il, furent bien étonnés n de voir des créatures pareilles à des hommes, »portant du feu dans leurs mains, & montées »fur des monftres, qui combattaient fous eux; » ils les prirent d'abord pour des Dieux defcen» dus du Ciel, armés du tonnerre, & fuivis de la » destruction; & alors ils fe foumirent, quoiqu'avec peine. Mais dans la fuite s'étant familiarifés avec leurs Conquérans, ils connurent » leurs paffions & leurs vices, & jugerent que

c'étaient des hommes. Alors honteux d'avoir » fuccombé fous des mortels femblables à eux, » ils jurerent de laver leur erreur dans le fang » de ceux qui l'avaient produite, & d'exercer fur » eux une vengeance exemplaire, terrible & mé>morable. »

Il eft à propos de faire connaître ici un endroit du deuxieme Chant, dont le fujet reffemble beaucoup au commencement de l'Iliade, & qui ayant été traité d'une maniere différente, mérite d'être mis fous les yeux des Lecteurs qui jugent fans partialité. La premiere action de l'Araucana eft une querelle qui naît entre les chefs des Barbares, comme dans Homere entre Achille & Agar memnon. La difpute n'arrive pas au fujet d'une captive; il s'agit du commandement de l'armée. Chacun de ces Généraux fauvages vante fon mérite & fes exploits; enfin la difpute s'échauffe tellement, qu'ils font prêts d'en venir aux mains. Alors un des Caciques, nommé Colocolo, auffi vieux que Neflor, mais moins favorablement pré-venu en fa faveur que le Héros Grec, fait la harangue fuivante :

Caciques, illuftres défenfeurs de la Patrie, » le defir ambitieux de commander n'eft point » ce qui m'engage à vous parler. Je ne me plains pas que vous difputiez avec tant de chaleur un

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