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devaient le faire ceux qui l'ont suivi et que je viens de montrer l'imitant. On peut lui appliquer ce mot de Perse circum præcordia ludit: il se joue autour du cœur humain, riant, causant, critiquant, raillant, mais sans frapper comme Boileau ou Molière, sans broyer à jamais sous le ridicule ceux auxquels il s'attaquait, comme devaient faire plus tard ces deux grands satiriques. Régnier est paresseux et aime mieux s'amuser que se donner la peine de travailler davantage; la poésie pour lui n'a jamais été qu'une distraction, un passe-temps, et il semble que, du moment où il lui aurait fallu travailler, ce passe-temps serait devenu une fatigue et bientôt un ennui, ce qu'il ne voulut jamais comprendre. Philosophe par hasard, il moralise par boutades : avant tout il veut rire et s'amuser, et ne se soucie pas beaucoup de faire pleurer ceux qu'il raille. Mais si je reconnais qu'il ne faut pas exagérer la portée de Régnier comme satirique, je ne saurais trop insister sur les qualités de son style, la netteté de ses expressions, la précision de ses termes, l'exactitude de ses tableaux, la simplicité réelle et parfaite de son récit. Il me faudrait ici de trop nombreuses citations, et mes lecteurs sauront les trou ver à leur place dans ce recueil. Lui-même sentait ce qu'il pouvait faire, et il n'y a nulle exagération quand il dit :

...

Poussé de caprice, ainsi que d'un grand vent,
Je vais haut dedans l'air quelquefois m'élevant,
Et quelquefois aussy, quand ma fougue me quitte,
Du plus haut au plus bas mon vers se précipite.

C'est précisément cette alliance du grand style et de la trivialité qui fait ombre dans le talent de Régnier, et on ne saurait trop la déplorer quand on acquiert ainsi la preuve que lui-même le sentait. Sans elle, Mathurin aurait dignement figuré au même rang que son grand ennemi Malherbe, et il a certainement autant que lui rendu service à notre langue; mais il est demeuré lui-même après tout, et cette qualité mérite bien qu'on lui pardonne quelque chose; il est resté original, il a réellement dessiné définitivement le genre satirique, qui convient si bien à notre esprit français; il a écrit assez de beaux vers pour qu'on ne puisse les compter le nombre des poëtes qui peuvent invoquer autant de titres à l'estime de la postérité est-il donc si considérable?

III

J'ai réuni ici, comme je l'ai déjà dit, les jugements portés sur Régnier par les principaux écrivains des trois derniers siècles; je ne parlerai ni de l'article de Moréri, qui reproduit celui de Titon du Tillet, ni de celui de Niceron, qui donne dans ses Mémoires le jugement de Boileau et le portrait tracé par Mlle de Scudéri; ni de celui de dom Liron dans sa Bibliothèque chartraine, qui en diffère peu; ni enfin des articles insérés dans les Biographies et qui se copient mutuellement.

JUGEMENTS DES PRINCIPAUX ÉCRIVAINS

SUR

MATHURIN RÉGNIER

I

La muse Calliope apparaît en songe à Hésiode endormi sur le mont Hélicon, et lui annonce les principaux poëtes qui doivent venir après lui. « Regarde, lui dit-elle, cet « homme négligemment habillé et assez malpropre il se << nommera Régnier, sera neveu de des Portes, et méritera

beaucoup de gloire. Il sera le premier qui fera des sati<«<res en françois; et quoiqu'il ait regardé quelques fameux

originaux parmi ceux qui l'auront précédé, il sera lui<< même un original en son temps. Ce qu'il fera bien sera << excellent, et ce qui sera moindre aura toujours quelque << chose de piquant. Il peindra les vices avec naïveté, et << les vicieux fort plaisamment. Enfin, il se fera un chemin << particulier entre les poëtes de son siècle, où ceux qui le « voudront suivre s'égareront bien souvent. >>

(Mlle SCUDERI, Clélie, partie IV, livre 11.)

II

La satire de Rabelais, toute spirituelle qu'elle est, est néanmoins écrite d'une manière si bouffonne et si peu conforme à l'honnêteté du siècle où nous vivons, que je ne la crois pas digne des honnêtes gens, non plus que les satires

de Regnier, quoiqu'il ait bien du génie; car il est trop effronté, et il ne garde nulle bienséance.

(Le P. RAPIN, Réflexions sur la poétique, II, 28.)

1

III

De ces maîtres savants disciple ingénieux,

Régnier seul, parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l'auteur,
Et si du son hardi de ses rimes cyniques

Il n'alarmoit souvent les oreilles pudiques.

(BOILEAU, Art poétique, chant 11.)

J'allai d'un pas hardi, par moi-même guidé,
Et de mon seul génie en marchant secondé,
Studieux amateur et de Perse et d'Horace,
Assez près de Régnier m'asseoir sur le Parnasse.

(IBID., Epitre X.)

Régnier, qui a été presque notre seul poëte satirique, a été véritablement un peu plus discret que les autres quand il s'agit d'attaquer les auteurs.

(IBID., Discours sur la satire.)

Le célèbre Régnier est le poëte françois qui, du consentement de tout le monde, a le mieux connu, avant Molière, les mœurs et le caractère des hommes.

(IBID., Réflexions.)

Apprenez un mot de Régnier,

Notre célèbre devancier :

Corsaires attaquant corsaires

Font peu prospérer leurs affaires.

(IBID., Epigrammes, 775.)

1. Horace, Perse et Juvénal.

Je passerai condamnation sur la satire et l'élégie, quoiqu'il y ait des satires de Régnier admirables.

IV

(Lettre IV, à Perrault.)

La poésie elle-même, malgré les Marot et les Régnier, marchoit encore sans règles et au hasard. Les grâces de ces deux auteurs appartiennent à la nature, qui est de tous les siècles, plutôt qu'au leur.

(MASSILLON, Discours de réception à l'Académie françoise.)

V

Je ne puis trop vous exhorter à mettre la dernière main au commentaire que vous avez fait sur les Satires de Régnier. C'est un poëte excellent que vous ferez revivre; et notre langue, qui a un Horace en Despréaux, regagnera un Lucile en Régnier, lorsque vous le ferez renaître avec les avantages qu'il tirera de vos éclaircissements.

(J.-B. ROUSSEAU, Lettre à Brossette, février 1722.)

VI

Au reste, ce n'est ni cette épitaphe ni quelques autres poésies licencieuses de notre auteur qui doivent servir de règle pour porter un jugement désisif sur ses sentiments

et sur ses mœurs.

Il est peu de poëtes dont la jeunesse n'ait été infectée de cette malheureuse contagion; mais on pardonne aisément, on oublie même leurs égarements passagers, quand ces auteurs ont mérité l'indulgence du public par des ouvrages sérieux et par une conduite plus régulière.

Les poésies spirituelles de Régnier, dont quelques-unes

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