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Ce n'est, ce dira-t-on, qu'un poète à la douzaine.

Car on n'a plus le goust comme on l'eust autrefois. Apollon est gesné pár de sauvages lois

Qui retiennent souz l'art sa nature offusquée,
Et de mainte figure est sa beauté masquée.
Si pour sçavoir former quatre vers empoullez,
Faire tonner des mots mal joints et mal collez,
Amy, l'on estoit poète, on verroit (cas estranges!)
Les poètes plus espais que mouches en vendanges.
Or, que dès ta jeunesse Apollon t'ait apris,
Que Calliope mesme ait tracé tes escrits,
Que le neveu d'Atlas les ait mis sur la lyre,
Qu'en l'antre thespéan on ait daigné les lire,
Qu'ils tiennent du sçavoir de l'antique leçon,
Et qu'ils soient imprimés des mains de Patisson1;
Si quelqu'un les regarde, et ne leur sert d'obstacle,
Estime, mon amy, que c'est un grand miracle.

L'on a beau faire bien, et semer ses escrits
De civette, bainjoin, de musc et d'ambre gris;
Qu'ils soient pleins, relevez, et graves à l'oreille;
Qu'ils facent sourciller les doctes de merveille :
Ne pense pour cela estre estimé moins fol,
Et sans argent contant qu'on te preste un licol,
Ny qu'on n'estime plus (humeur extravagante ! )
Un gros asne pourveu de mille escus de rente.

1. Mamert Patisson, natif d'Orléans, imprimeur à Paris, trèshabile dans sa profession, et savant helléniste latiniste. Il avait épousé la veuve de Robert Estienne, père de Henri, en 1580, et imprima plusieurs livres qui sont fort recherchés à cause de leur perfection typographique et de leur correction. Il mourut avant l'année 1606, laissant Philippe Patisson, son fils, aussi imprimeur. Mamert Patisson a fait de très-belles éditions de la plupart des poêtes de son temps.

Ce malheur est venu de quelques jeunes veaux
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bordeaux;
Et, ravalant Phoebus, les muses et la grace,
Font un bouchon à vin du laurier de Parnasse;

A qui le mal de teste est commun et fatal,
Et vont bizarrement en poste en l'hospital:
Disant, s'on n'est hargneux et d'humeur difficile,
Que l'on est mesprisé de la troupe civile;
Que pour estre bon poète il faut tenir des fous2,
Et desirent en eux ce qu'on mesprise en tous.
Et puis en leur chanson, sottement importune,
Ils accusent les grands, le ciel et la fortune,
Qui fustez de leurs vers 3 en sont si rebattus,
Qu'ils ont tiré cet art du nombre des vertus;
Tiennent à mal d'esprit leurs chansons indiscrètes,
Et les mettent au rang des plus vaines sornettes.
Encore quelques grands, afin de faire voir,
De Mœcene rivaux, qu'ils ayment le sçavoir,
Nous voyent de bon œil, et, tenant une gaule,
Ainsy qu'à leurs chevaux nous en flattent l'espaule,
Avecques bonne mine, et d'un langage doux
Nous disent souriant : « Eh bien, que faictes-vous?
Avez-vous point sur vous quelque chanson nouvelle?
J'en vy ces jours passez de vous une si belle,

1. Pour jeunes sots. Ce terme est fort employé par Clément Marot, dans son épître XII. Et Arnould Le Feron a dit dans son Histoire de France, liv. III : « Galli socordes et stultos vituli no<< mine designare soliti sunt. » Marot a soin de placer la Sorbonne sur la place aux Veaux, dans ses épigrammes.

2. Lenglet-Dufresnoy ajoute à ce propos cette note: « Oui, oui; « c'est bien dit: il faut être un peu fou pour être bon poëte. » 3. Qui sont fournis de leurs vers, accablez, comme si on les avait battus à coups de bâton, fustibus ferire.

Que c'est pour en mourir : ha, ma foy, je voy bien
Que vous ne m'aymez plus, vous ne me donnez rien. »

Mais on lit à leurs yeux et dans leur contenance
Que la bouche ne parle ainsy que l'âme pense;
Et que c'est, mon amy, un grimoire et des mots
Dont tous les courtisans endorment les plus sots.

Mais je ne m'apperçoy que, trenchant du preud'homme,
Mon temps en cent caquets sottement je consomme;
Que mal instruit je porte en Brouage du sel1,
Et mes coquilles vendre à ceux de Sainct-Michel.
Doncques, sans mettre enchère aux sottises du monde,
Ny gloser les humeurs de dame Frédégonde 2,
Je diray librement, pour finir en deux mots,
Que la pluspart des gens sont habillez en sots.

1. Brouage, ville voisine de La Rochelle, au milieu de marais salants. Ce vers et le suivant répondent à ce proverbe Ferre noctuam Athenas.

2. François Ogier, dans son Jugement et censure du livre de la Doctrine curieuse de François Garasse, imprimé à Paris en 1623, blâme fort le père Garasse d'avoir cité plusieurs vers de Régnier, et particulièrement ceux-ci, qu'Ogier ne rapporte pas exactement :

A vouloir mettre enchère aux sottises du monde,
Ou gloser les hunteurs en dame Frédégonde.

« Je vous prie, dit Ogier, page 24, dites-moi ce que vous entendez « par dame Frédégonde. Votre poëte a-t-il mis ce mot pour rimer << seulement, et parce que carmen laborabat in fine? Ce mot de dame, << duquel on nomme de bonnes dames, et ce mot de Frédégonde, << nom d'une reine très impudique et très cogneue, n'étoient-ils << point capables de vous faire soupçonner de quoi il entendoit par«<ler? » Lenglet-Dufresnoy a vu un exemplaire de ce livre d'Ogier, à la marge duquel un homme très-habile, dit-il, avait écrit: De la reine Marguerite. Cette pensée n'est pas hors de vraisemblance.

SATYRE V

LE GOUST PARTICULIER DÉCIDE DE TOUT

A M. BERTAUT, ÉVÊQUE DE SÉEZ1.

Bertaut, c'est un grand cas: quoy que l'on puisse faire,
Il n'est moyen qu'un homme à chascun puisse plaire;
Et fust-il plus parfait que la perfection,

L'homme voit par les yeux de son affection.

Chasqu'un fait à son sens 2, dont sa raison s'escrime;

1. Jean Bertaut, né à Caen en 1570, entra dans les ordres et vint de bonne heure à Paris, où il se lia, comme poëte, avec Ronsard et Desportes; il réussit à la cour, et obtint ainsi du roi une charge de conseiller au parlement de Grenoble. Il se tint prudemment tranquille pendant la guerre civile, puis reparut à la suite du cardinal du Perron et prit part à l'instruction religieuse de Henri IV, qui le récompensa en lui donnant l'abbaye d'Aunay, en Normandie (1594); Marie de Médicis le prit pour premier aumônier et lui fit avoir en 1606 l'évêché de Séez, où il mourut le 8 juin 1611.

Bertaut a composé dans sa jeunesse des poésies légères très-estimées, et qu'il essaya vainement de détruire; il publia ensuite le Panarète, poëme sur la naissance du dauphin, des cantiques, des discours historiques et politiques, la traduction d'un livre de l'Enéide. La dernière édition de ses œuvres est de 1623. Malherbe l'estimait seul un peu parmi les anciens poëtes; Régnier le trouvait trop sage; Sorel lui reproche sa trop grande propension aux plaisanteries; Boileau reconnut la décence de ses vers.

L'évêque de Séez avait un de ses frères gentilhomme de la chambre du roi, et qui fut père de Mme de Motteville*.

2. Ce vers a fort varié dans les éditions. Celle de 1608, qui est

Et tel blasme en autruy ce de quoy je l'estime.
Tout, suivant l'intellect, change d'ordre et de rang:
Les Mores aujourd'huy peignent le diable blanc.
Le sel est doux'aux uns, le sucre amer aux autres;
L'on reprend tes humeurs, ainsi qu'on fait les nostres.
Les critiques du temps m'appellent desbauché,

Que je suis jour et nuict aux plaisirs attaché,
Que j'y perds mon esprit, mon ame et ma jeunesse.
Les autres, au rebours, accusent ta sagesse,
Et ce hautain desir qui te fait mespriser
Plaisirs, trésors, grandeurs, pour t'immortaliser,
Et disent: «< 0 chétifs, qui, mourant sur un livre,
Pensez, seconds phoenix, en vos cendres revivre,
Que vous estes trompez en vostre propre erreur!
Car, et vous et vos vers vivez par procureur.
Un livret tout moysi vit pour vous; et encore
Comme la mort vous fait, la taigne le dévore1.
Ingrate vanité, dont l'homme se repaist,
Qui bâille après un bien qui sottement lui plaist! »
Ainsi les actions aux langues sont sujettes.
Mais ces divers rapports sont de foibles sagettes 2,
Qui blessent seulement ceux qui sont mal armez;
Non pas les bons esprits, à vaincre accoustumez,
Qui savent, avisez, avecques différence
Séparer le vray bien du fard de l'apparence.
C'est un mal bien estrange au cerveau des humains,

la première, porte chasque fat à son sens, avec un accent grave sur à. Celle de 1655 dit de même. Celles de 1612, 1635, 1667 : chasque fait à son sens. Celle de 1613, qui est la dernière édition de l'auteur chasqu'un fait à son sens; de même dans celles de 1614, 1616, 1617, 1625, 1626 et 1642. C'est la leçon que j'ai conservée. 1. L'on a mis dans les éditions autres que celle de 1616, vous dévore, expression qui présente un sens très-faux.

2. Flèches, du latin sagitta.

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