A ma foible raison font telle violence, Qu'ils tiennent mes desirs en égale balance: Car si de l'un des deux je me veux départir, Le ciel, non plus que moy, ne peut y consentir. L'autre, pour estre brun, aux yeux n'a moins de flames: Il sème, en regardant, du soufre dans les ames, Donne aux cœurs aveuglez la lumière et le jour : Ils semblent deux soleils en la sphère d'Amour. Car si l'un est pareil à l'Aurore vermeille, L'autre, en son teint plus brun, a la grace pareille A l'astre de Vénus, qui doucement reluit Quand le soleil tombant dans les ondes s'enfuit. Sa taille haute et droite, et d'un juste corsage, Semble un pin qui s'élève au milieu d'un bocage ; Sa bouche est de corail, où l'on voit au dedans, Entre un plaisant souris, les perles de ses dents, Qui respirent un air embaumé d'une haleine Plus douce que l'œillet ny que la marjolaine. D'un brun meslé de sang son visage se peint. Il a le jour aux yeux, et la nuict en son teint, Où l'amour, flamboyant entre mille étincelles, Semble un amas brillant des estoiles plus belles, Quand une nuict sereine, avecq' ses bruns flambeaux, Rend le soleil jaloux en ses jours les plus beaux. Son poil noir et retors en gros flocons ondoye, Et, crespelu, ressemble une toison de soye. C'est enfin, comme l'autre, un miracle des cieux. Mon ame, pour les voir, vient toute dans mes yeux, Et, ravie en l'object de leurs beautez extresmes, Se retrouve dans eux, et se perd en soy-mesmes. Las! ainsy je ne sçay que dire ou que penser. De les aymer tous deux, n'est-ce les offenser? Laisser l'un, prendre l'autre, ô dieux! est-il possible? Ce seroit, les aymant, un crime irrémissible. Ils sont tous deux égaux de mérite et de foy. Las! je n'ayme rien qu'eux, ils n'ayment rien que moy. Ils ont mesme dessein, mesme amour, mesme envie. Mon cœur se fend d'amour, et s'ouvre à la pitié. VIII SONNET SUR LE TRESPAS DE M. PASSERAT 2 asserat, le séjour et l'honneur des Charites, es délices du Pinde, et son cher ornement, 1. Cette pièce est évidemment inachevée. 2. Jean Passerat naquit à Troyes, en 1529; il fut un des élèves Qui, loing du monde ingrat que, bienheureux, tu quittes, Comme un autre Apollon reluis au firmament! Afin que mon devoir s'honore en tes mérites, Passerat fut un dieu souz humaine semblance, Dans le champ de ses vers fut leur gloire semée : IX SONNET SUR LA MORT DE M. RAPIN Passant, cy-gist Rapin, la gloire de son âge, de Cujas et succéda à Ramus dans la chaire d'éloquence, à Paris. Il a surtout composé des poésies latines, et était fort estimé de Baif, de Belleau et de Ronsard, ainsi que Des Portes nous l'apprend dans une pièce de vers. Il est mort à Paris en 1602. 1. Ce sonnet fut publié par Brossette pour la première foie parmi les œuvres de Régnier; il n'avait encore paru que dans une des dernières éditions de Hollande; il est inséré à la fin des œuvres de Qui, vivant, surpassa les Latins et les Grecs, Éternisant son nom avecq' maint haut ouvrage, On dit, et je le crois, qu'Apollon fut jaloux, Considère, passant, quel il fut icy-bas, X ÉPITAPHE DE RÉGNIER FAITE PAR LUI-MÊME1 J'ay vescu sans nul pensement, Me laissant aller doucement Rapin, imprimées à Paris en 1619, in-4o. Nicolas Rapin, poëte français, mourut le 13 février 1608, âge de soixante-huit ans. Voyez la première note de la satire IX. 1. M. Viollet-Le-Duc a publié le premier cette épitaphe, qui n'avait été publiée jusqu'alors que dans les Recherches des recherches, du père Garasse, page 648, lequel la reproduit en ajoutant : << Régnier se bastit cette épitaphe jadis à soy-même, en sa jeu<< nesse débauchée, ayant désespéré de sa santé, et estant, comme << il pensoit, sur le point de rendre l'âme. » A la bonne loy naturelle; Et si m'estonne fort pourquoy Qui ne songeay jamais en elle. ΧΙ SONNET POUR LE FEU ROY HENRY IV, AN 1613 (INÉDIT) Pendant que, sans respect ny de Dieu ny des lois, Le démon gardien de l'empire françois << Trompeuse, que te sers de m'avoir tant déçeu, Si l'Estat qu'immortel de tes mains j'ay reçeu, Se déchirant soy-mesme, à sa fin s'achemine? » << Tais-toy, dit le destin, car il est arresté Qu'il n'a, puisque Henry maintenant le domine, Besoing pour le garder d'autre divinité. » 1. M. Viollet-Le-Duc a mis par erreur: Et je m'estonne. |