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Las! puisque tu es tout et que je ne suis rien,
Je n'ay rien en t'ayant, ou j'ay tout au contraire.
Avoir et rien et tout, comment se peut-il faire?
C'est que j'ay tous les maux et je n'ay point de bien.

Clair soleil de mes yeux, si je n'ay ta lumière,
Une aveugle nuée esvite ma paupière,

Une pluye de pleurs découle de mes yeux.

Les clairs éclairs d'Amour, les esclats de son foudre Entrefendent mes nuicts et m'écrasent en poudre : Quand j'entonne mes cris, lors j'estonne les cieux.

Vous qui lisez ces vers, larmoyez tous mes larmes ; Souspirez mes souspirs, vous qui lisez mes carmes Car vos pleurs et mes pleurs amortiront mes feux; Vos souspirs, mes souspirs animeront ma flamme; Le feu s'esteint de l'eau et le souffle l'enflamme'. Pleurez, pleurez toujours et ne souspirez plus.

Tout moîte, tout venteux, je pleure, je souspire
Pour, esteignant mon feu, amortir le martyre:
Mais l'honneur est trop loing et le souffle trop près.
Le feu s'esteint soudain, soudain il se renflamme.
Si les eaux de mes pleurs amortissent ma flamme,
Les vents de mes desirs les tarissent après.

La froide salamandre, au chaud antipathique,
Met parmy le brasier sa froideur en pratique,
Et la bruslante ardeur n'y nuit que point ou peu.
Je dure dans le feu comme la salamandre;
Le chaud ne la consomme, il ne me met en cendre,
Elle ne craint la flamme et je ne crains le feu.

1. Vieux mot signifiant vers. Du latin carmen.

Mais elle est sans le mal et moy sans le remède.
Moi extresmement chaud, elle extresmement froide :
Si je porte mon feu, elle porte son glas;

Loing ou près de la flamme, elle ne craint la flamme :
Ou près ou loing du feu, j'ay du feu dans mon ame;
Elle amortit son feu, moy je ne l'esteins pas.

Belle ame de mon corps, bel esprit de mon ame,
Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme,
J'ennuie tous les vifs, j'ennuie tous les morts.
Ma vie, si tu veux, ne peut estre ravie,
Veu que ta vie est plus la vie de ma vie
Que ma vie n'est pas la vie de mon corps.

Je vis par et pour toy, ainsy que pour moy-mesme;
Tu vis par et pour toy, ainsy que pour toy-mesme :
Nous n'avons qu'une vie et n'avons qu'un trespas.
Je ne veux pas ta mort, je desire la mienne;
Mais ma mort est ta mort, et ma vie est la tienne;
Aussy je veux mourir et je ne le veux pas.

VI

STANCES

POUR LA BELLE CLORIS1

Cloris, le bien qui m'importune*

Ne change ma condition :

1. Comme les deux précédentes, cette pièce n'avait paru, avant l'édition Viollet-Le-Duc, que dans le Parnasse satyrique.

2. Ces stances doivent avoir été composées pour le compte de

Le changement de ma fortune

Ne finit pas ma passion.

Mon amour est trop légitime
Pour se rendre à ce changement :
Et vous quitter seroit un crime
Digne d'un cruel chastiment.

Vous avez dessus moy, Madame,
Un pouvoir approuvé du temps;
Car les vœux que j'ay dans mon ame
Servent d'exemple aux plus contents1.

Quelque force dont on essaye
D'assujettir ma volonté,
Je beniray tousjours la playe
Que je sens par vostre beauté.

Je veux que mon amour fidelle
Vous oblige autant à m'aymer,
Comme la qualité de belle
Vous faict icy-bas estimer.

Mon ame à vos fers asservie,
Et par amour et par raison,
Ne peut consentir que ma vie
Sorte jamais de sa prison.

N'adorant ainsy que vos chaisnes
Je me plais si fort en ce lien,

quelques grands seigneurs, pour Henri IV peut-être, car la constance dont il est parlé plus bas ne saurait s'appliquer à Régnier. 1. Constants?

Qu'il semble que parmy mes peines
Mon ame gouste quelque bien.

Vos vœux, où mon ame se fonde,
Me seront à jamais si chers,

Que mes vœux seront en ce monde
Aussy fermes que des rochers.

Ne croyez donc pas que je laisse
Vostre prison qui me retient,
Car jamais un effet ne cesse
Tant que la cause le maintient.

VII

DIALOGUE

CLORIS ET PHILIS.

CLORIS.

Philis, œil de mon cœur et moitié de moi-mesme,

Mon amour, qui te rend le visage si blesme?
Quels sanglots, quels soupirs, quelles nouvelles pleurs,
Noyent de tes beautez les graces et les fleurs?

PHILIS.

Ma douleur est si grande et si grand mon martyre, Qu'il ne se peut, Cloris, ny comprendre, ny dire.

CLORIS.

Ces maintiens esgarez, ces pensers esperdus,
Ces regrets et ces cris par ces bois espandus,
Ces regards languissants en leurs flames discrettes,
Me sont de ton amour les parolles secrettes.

PHILIS.

Ha Dieu! qu'un divers mal diversement me point! J'ayme? hélas! non, Cloris; non, non, je n'ayme point.

CLORIS.

La honte ainsi desment ce que l'amour décelle;
La flame de ton cœur par tes yeux estincelle ;
Et ton silence mesme, en ce profond malheur,
N'est que trop éloquent à dire ta douleur.

Tout parle en ton visage; et, te voulant contraindre,
L'Amour vient, malgré toy, sur ta lèvre se plaindre.
Pourquoy veux-tu, Philis, aymant comme tu fais,
Que l'Amour se desmente en ses propres effets ?
Ne sçais-tu que ces pleurs, que ces douces œillades,
Ces yeux qui, se mourant, font les autres malades,
Sont théastres du cœur, où l'Amour vient jouer
Les pensers que la bouche a honte d'avouer?
N'en fais donc point la fine, et vainement ne cache
Ce qu'il faut malgré toy que tout le monde sçache,
Puis que le feu d'amour, dont tu veux triompher,
Se monstre d'autant plus qu'on le pense estouffer.
L'Amour est un enfant, nud, sans fard et sans crainte,
Qui se plaist qu'on le voye, et qui fuit la contrainte.
Force donc tout respect, ma chère fille, et croy
Que chacun est subject à l'amour comme toy.
En jeunesse j'aymay; ta mère fit de mesme;
Lycandre ayma Lysis, et Félisque Phylesme;

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