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Qu'elle aymoit trop ma peine, et qu'en ayant pitié,
Je m'en devois promettre une ferme amitié;
Seulement, pour tromper le jaloux populaire,
Que je devois, constant, en mes douleurs me taire,
Me feindre tousjours libre, ou bien me captiver;
Et, quelque autre perdant, seule la conserver?

Cependant, devant Dieu, dont elle a tant de crainte,
Au moins comme elle dit, sa parole estoit feinte;
Et le ciel luy servit, en ceste trahison,

D'infidelle moyen pour tromper ma raison.

Et puis il est des dieux tesmoins de nos paroles1!
Non, non, il n'en est point: ce sont contes frivoles
Dont se repaist le peuple, et dont l'antiquité
Se servit pour tromper nostre imbécilité.

S'il y avoit des dieux, ils se vengeroient d'elle,

Et ne la voiroit-on si fière ny si belle;

Ses yeux s'obscurciroient, qu'elle a tant parjuréz;
Son teint seroit moins clair, ses cheveux moins doréz;
Et le ciel, pour l'induire à quelque pénitence,
Marqueroit sur son front son crime et leur vengeance.

1. Esse Deos credamne? Fidem jurata fefellit,
Et facies illi quæ fuit ante manet.

Quam longos habuit, nondum perjura, capillos,
Tam longos, postquam numina læsit, habet.
Candida, candorem roseo suffusa rubore,
Ante fuit niveo lucet in ore rubor.

Pes erat exiguus pedis est aptissima forma;
Longa decensque fuit: longa decensque manet.
Argulos habuit, radiant ut sidus ocelli,

Per quos mentita est perfida sæpe mihi.

Scilicet æterno falsum jurare puellis

Di quoque concedunt, formaque numen habet.

(OVIDE, Amours, liv. III, élég. 111.)

Ou s'il y a des dieux, ils ont le cœur de chair1; Ainsi que nous d'amour ils se laissent toucher; Et de ce sexe ingrat excusant la malice,

Pour une belle femme ils n'ont point de justice.

1.

Aut si quis Deus est, teneras amat ille puellas;
Et nimium solas omnia posse jubet.

(OVIDE, ibid.)

ÉLÉGIE III'

IMPUISSANCE.

Quoy! ne l'avois-je assez en mes vœux desirée ?
N'estoit-elle assez belle, ou assez bien parée?
Estoit-elle à mes yeux sans grace et sans appas?
Son sang estoit-il point issu d'un lieu trop bas?
Sa race, sa maison, n'estoit-elle estimée?
Ne valoit-elle point la peine d'estre aymée?
Inhabile au plaisir, n'avoit-elle dequoy?
Estoit-elle trop laide ou trop belle pour moy?
Ha! cruel souvenir! Cependant je l'ay eue,
Impuissant que je suis, en mes bras toute nue,

1. Cette pièce est imitée d'Ovide, liv. III des Amours, élégie VII, qui commence ainsi : At non formosa est, etc., et du Satyricon de Pétrone, fort goûté à cette époque. Elle fut publiée pour la première fois dans l'édition de 1613, mais d'après une copie très-défectueuse, comme on le verra dans les remarques; ce qui fait présumer qu'elle avait été faite par une main étrangère et sans que l'auteur, peutêtre prévenu par la mort, eût pu revoir son propre ouvrage. On attribue à Pierre Corneille une pièce à peu près pareille, qui commence Un jour le malheureux Lysandre, en ajoutant que ce fut pour lui faire faire pénitence de cette poésie trop licencieuse qu'un confesseur lui ordonna de mettre en vers l'Imitation de Jésus-Christ. Mais cette pièce est en réalité de M. de Cantenac. On peut rapprocher ces vers du récit de l'aventure du comte de Guiche et de la comtesse de Gramont, dans l'Histoire amoureuse des Gaules, et de la licencieuse comédie rimée sur le même sujet, et qui se trouve transcrite de la main de Conrart dans ses recueils de la Bibliothèque de l'Arsenal, in-folio, tome IX, page 250 *.

Et n'ay peu, le voulant tous deux également,
Contenter nos désirs en ce contentement!

Au surplus, à ma honte, Amour, que te diray-je?
Elle mit en mon col ses bras plus blancs que neige,
Et sa langue mon cœur par ma bouche embrasa;
Bref, tout ce qu'ose Amour, ma déesse l'osa1;
Me suggérant la manne en sa lèvre amassée,
Sa cuisse se tenoit en la mienne enlassée;
Les yeux luy pétilloient d'un désir langoureux,
Et son âme exhaloit maint soupir amoureux,
Sa langue, en bégayant d'une façon mignarde,
Me disoit «< Mais, mon cœur, qu'est-ce qui vous retarde?
N'aurois-je point en moy quelque chose qui peust
Offenser vos desirs, ou bien qui vous dépleust?
Ma grace, ma façon, ha dieu, ne vous plaist-elle ?
Quoy! n'ay-je assez d'amour? ou ne suis-je assez belle ? »
Cependant, de la main animant ses discours,

Je trompois, impuissant, sa flame et mes amours;
Et comme un tronc de bois, charge lourde et pesante,

Je n'avois rien en moy de personne vivante.

Mes membres languissants, perclus et refroidis,
Par ses attouchements n'estoient moins engourdis.
Mais quoy! que deviendray-je en l'extresme vieillesse,
Puisque je suis rétif au fort de ma jeunesse2,
Et si, las! je ne puis, et jeune et vigoureux,
Savourer la douceur du plaisir amoureux?

1. Il y a grande apparence que ce vers n'est pas de Régnier. Dans la première édition, faite en 1615, il manquait ici un ver's qui n'avait point été rétabli dans les éditions suivantes, et ce n'a été que dans celle de 1642 qu'on a rempli cette lacune par le vers dont il s'agit.

2. Ce vers a encore été inséré, dans l'édition de 1642, à la place de celui de Régnier, qui manquait dans toutes les éditions précédentes.

Ha! j'en rougis de honte, et déspite mon âge,
Age de peu de force et de peu de courage,
Qui ne me permet pas, en cet accouplement,
Donner ce qu'en amour peut donner un amant.
Car, dieux! ceste beauté, par mon deffaut trompée,
Se leva le matin de ses larmes trempée,

Que l'amour de despit escouloit par ses yeux :
Ressemblant à l'Aurore1 alors qu'ouvrant les cieux
Elle sort de son lit hargneuse et despitée,
D'avoir, sans un baiser, consommé la nuitée,
Quand, baignant tendrement la terre de ses pleurs,
De chagrin et d'amour elle enjette ses fleurs 2.

Pour flatter mon deffaut, mais que me sert la gloire3, De mon amour passée, inutile mémoire,

Quand aymant ardemment et ardemment aymé,
Tant plus je combattois, plus j'estois animé?
Guerrier infatigable en ce doux exercice,
Par dix ou douze fois je rentrois en la lice,
Où, vaillant et adroit, après avoir brisé1,
Des chevaliers d'amour j'estois le plus prisé.
Mais de cest accident je fais un mauvais conte,
Si mon honneur passé m'est ores une honte 5,
Et si le souvenir, trop prompt à m'outrager,
Par le plaisir receu ne me peut soulager.

O ciel! il falloit bien qu'ensorcelé je feusse,

1. Dans les éditions faites depuis 1642, on a substitué honteuse à hargneuse.

2. Enjette, pour arrose, tiré du verbe composé enjeler, qui est hors d'usage, et dont nous n'avons retenu que le simple jeter.

3. Dans l'édition de 1645, on a mis de quoy me sert la gloire, correction qui a été adoptée dans toutes les éditions suivantes. 4. Il faut sous-entendre plusieurs lances.

5. Édition de 1642 et suivantes :

Si mon honneur passé maintenant est ma honte.

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