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En conseiller d'estat de discours je m'abuse.
Un amour violent aux raisons ne s'amuse.
Ne sçay-je que son œil, ingrat à mon tourment,
Me donnant ce desir, m'osta le jugement;
Que mon esprit blessé nul bien ne se propose;
Qu'aveugle et sans raison, je confonds toute chose,
Comme un homme insensé qui s'emporte au parler,
Et dessigne avecq' l'œil mille chasteaux en l'air?

C'en est fait pour jamais, la chance en est jetée.
D'un feu si violent mon ame est agitée,

Qu'il faut, bon gré, mal gré, laisser faire au destin.
Heureux si par la mort j'en puis estre à la fin,
Et si je puis, mourant en ceste frénésie,

Voir mourir mon amour avecq' ma jalousie!

Mais, Dieu! que me sert-il de pleurs me consommer',
Si la rigueur du ciel me contraint de l'aymer?
Où le ciel nous incline, à quoi sert la menace?
Sa beauté me rappelle où son deffaut me chasse 2 :
Aymant et desdaignant, par contraires efforts,
Les façons de l'esprit et les beautez du corps.
Ainsi je ne puis vivre avecq' elle, et sans elle.

Ha Dieu! que fusses-tu ou plus chaste, ou moins belle!
Ou pusses-tu cognoistre et voir, par mon trespas,
Qu'avecques ta beauté mon humeur ne sied pas!
Mais si ta passion est si forte et si vive,

Que des plaisirs des sens ta raison soit captive,

1. Consumer.

2.

Nequitiam fugio, fugientem forma reducit;

Aversor morum crimina, corpus amo.

Sic ego nec sine te nec tecum vivere possum,

Et videor voti nescius esse mei.

Aut formosa fores minus, aut minus improba, vellem:

Non facit ad mores tam bona forma malos.

(OVIDE, ibid.)

Que ton esprit blessé ne soit maistre de soy,
Je n'entens en cela te prescrire une loy;

Te pardonnant par moy ceste fureur extresme,
Ainsi comme par toy je l'excuse en moy-mesme :
Car nous sommes tous deux, en nostre passion,
Plus dignes de pitié que de punition.

Encore, en ce malheur où tu te précipites,
Dois-tu par quelque soin t'obliger tes mérites,
Cognoistre ta beauté, et qu'il te faut avoir,
Avecques ton amour, esgard à ton devoir.
Mais, sans discrétion, tu vas à guerre ouverte;
Et, par sa vanité triomphant de ta perte,

Il monstre tes faveurs, tout haut il en discourt;
Et ta honte et sa gloire entretiennent la court.
Cependant, me jurant, tu m'en dis des injures.
O Dieux qui sans pitié punissez les parjures,
Pardonnez à ma dame, ou, changeant vos effects,
Vengez plutost sur moy les péchez qu'elle a faicts.

S'il est vray, sans faveur, que tu l'escoutes plaindre,
D'où vient pour son respect que l'on te voit contraindre?
Que tu permets aux siens lire en tes passions,
De veiller jour et nuict dessus tes actions;
Que tousjours d'un vallet ta carosse est suivie,
Qui rend, comme espion, conte exact de ta vie;
Que tu laisse un chacun pour plaire à ses soupçons,
Et que, parlant de Dieu, tu nous fais des leçons,
Nouvelle Magdeleine au désert convertie;

Et jurant que ta flame est du tout amortie,
Tu prestens finement, par ceste mauvaitié2,

Luy donner plus d'amour, à moy plus d'amitié ;

1. Il fallait écrire que tu laisses, c'est pourquoi on avaitmis: que tu laisses chacun, depuis l'édition de 1642.

2. Mauvaistié, dans l'édition de 1612 et les suivantes, et c'est ainsi qu'on l'écrivait toujours, quand ce mot était en usage.

Et, me cuidant tromper, tu voudrois faire accroire,
Avecques faux serments, que la neige fust noire?
Mais, comme tes propos, ton art est descouvert,
Et chacun, en riant, en parle à cœur ouvert
(Dont je crève de rage); et voyant qu'on te blasme,
Trop sensible en ton mal2, de regret je me pasme;
Je me ronge le cœur, je n'ay point de repos;
Et voudrois estre sourd, pour l'estre à ces propos.
Je me hais de te voir ainsi mésestimée.
T'aymant si dignement, j'ayme ta renommée;
Et si je suis jaloux, je le suis seulement

De ton honneur, et non de ton contentement.
Fais tout ce que tu fais, et plus s'il se peut faire3;
Mais choisys pour le moins ceux qui se peuvent taire.
Quel besoin peut-il estre, insensée en amour,
Ce que tu fais la nuit, qu'on le chante le jour1;
Ce que fait un tout seul, tout un chacun le scache;

1. Et me pensant tromper, correction nouvelle dans la même édition de 1642 et dans celles qui ont suivi.

2. C'est ainsi qu'on lit dans les anciennes éditions. Celles de 1652, 1655, 1667, etc., portent: trop sensible à ton mal, qui est la bonne leçon; 1642 et 1645: à mon mal.

3.

Non ego ne pecces, cum sis formosa, recusem ;

Sed ne sit misero scire necesse mihi.

Nec te nostra jubet fieri censura pudicam ;

Sed tantum ut tentes dissimulare rogat.
Non peccat quæcumque potest peccasse negare,
Solaque famosam culpa professa facit.

Quis furor est quæ nocte latent in luce fateri,

Et

quæ clam facias facta referre palam ?...

Quæ facis, hæc facito tantum fecisse negato, etc.

(OVIDE, Amours, liv. III, élég. xiv )

4. Édition de 1642 et suivantes : qu'on le conte le jour.

5. Édition de 1642: tout que chacun; 1652 et suivantes : que tout chacun.

Et monstres en amour ce que le monde cache?
Mais puisque le destin à toy m'a sceu lier,
Et qu'oubliant ton mal je ne puis t'oublier,
Par ces plaisirs d'amour tout confits en délices?
Par tes appas, jadis à mes vœux si propices;
Par ces pleurs que mes yeux et les tiens ont versez;
Par mes soupirs au vent sans profit dispersez;
Par les dieux, qu'en pleurant tes serments appellèrent;
Par tes yeux, qui l'esprit par les miens me volèrent,
Et par leurs feux si clairs, et si beaux à mon cœur,
Excuse par pitié, ma jalouse rancœur :

Pardonne, par mes pleurs, au feu qui me commande.
Si mon péché fut grand, ma repentance est grande.
Et vois, dans le regret dont je suis consommé,
Que j'eusse moins failly si j'eusse moins aymé.

1. Édition de 1642 et celles qui ont suivi : Et montrer.....

2.

Parce per o lecti socialia jura, per omnes,

Qui dent fallendos se tibi sæpe, Deos;

Perque tuam faciem, magni mihi numinis instar ;

Perque tuos oculos, qui rapuere meos.

Quidquid eris, mea semper eris, etc.

(OVIDE, ibid.)

ÉLÉGIE II

SUR LE MÊME SUJET.

Aymant comme j'aymois, que ne devois-je craindre? Pouvois-je estre asseuré qu'elle se deust contraindre, Et que, changeant d'humeur au vent qui l'emportoit, Elle eust pour moy cessé d'estre ce qu'elle estoit; Que, laissant d'estre femme inconstante et légère, Son cœur, traistre à l'amour, et sa foy mensongère, Se rendant en un lieu l'esprit plus arresté, Peust, au lieu du mensonge, aymer la vérité?

Non, je croyois tout d'elle, il faut que je le die;
Et tout m'estoit suspect, hormis la perfidie.
Je craignois tous ses traits que j'ay sceus du depuis,
Ses jours de mal de teste, et ses secrettes nuits,
Quand, se disant malade et de fièvre enflamée,
Pour moy tant seulement sa porte estoit fermée.
Je craignois ses attraits, ses ris, et ses courroux,
Et tout ce dont Amour allarme les jaloux.

Mais la voyant jurer avecq' tant d'asseurance,
Je l'advoue, il est vray, j'estois sans deffiance.
Aussi, qui pourroit croire, après tant de serments,
De larmes, de soupirs, de propos véhéments,
Dont elle me juroit que jamais de sa vie
Elle ne permettroit d'un autre estre servie;

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