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SATYRE XVIII1

NY CRAINTE, NY ESPERANCE.

N'avoir crainte de rien, et ne rien espérer,
Amy, c'est ce qui peut les hommes bien-heurer.
J'aime les gens hardis, dont l'ame non commune
Morgant les accidents, fait teste à la fortune,
Et voyant le soleil de flame reluisant,

La nuict au manteau noir les astres conduisant ;
La lune, se masquant de formes différentes,
Faire naistre les mois en ses courses errantes ;

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1. Cette satyre parut pour la première fois dans l'édition de 1652, publiée par Jean et Daniel Elzevier, à Leyde.- Les dix-neuf satyres des éditions antérieures à celle de 1729 se réduisent à seize, parce que l'éditeur avait jugé à propos de placer parmi les épîtres les satires 16, 17 et 19.

2. << Tout le commencement de la sixième épître du premier livre d'Horace, Nil admirari, etc., a beaucoup de rapport à celui de cette satyre.» (J.-B. ROUSSEAU, Lettre à Brossette, du 4 mars 1730.)

Justum et tenacem propositi virum
Non civium ardor prava jubentium,
Non vultus instantis tyranni,

Mente quatit solida; neque auster,

Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Jovis manus.

Si fractus illabatur orbis,

Impavidum ferient ruinæ.

(HOR., liv. III, od. 111.)

Et les cieux se mouvoir par ressorts discordants,
Les uns chauds, tempérez, et les autres ardants;
Qui, ne s'esmouvant point, de rien n'ont l'ame attainte,
Et n'ont en les voyant espérance ny crainte.
Mesme, si pesle-mesle avecq' les éléments
Le ciel d'airain tomboit jusques aux fondements
Et que tout se froissast d'une estrange tempeste,
Les éclats sans frayeur leur fraperoient la teste.
Combien moins les assauts de quelque passion,
Dont le bien et le mal n'est qu'une opinion,
Ny les honneurs perdus, ny la richesse acquise,
N'auront sur leur esprit ny puissance ny prise!

1

Dy-moy, qu'est-ce qu'on doit plus chèrement aymer
De tout ce que nous donne ou la terre ou la mer;
Ou ces grands diamants, si brillants à la veue,
Dont la France se voit à mon gré trop pourveue;
Ou ces honneurs cuisants que la faveur despart
Souvent moins par raison que non pas par hazard;
Ou toutes ces grandeurs après qui l'on abbaye,
Qui font qu'un président dans les procez s'égaye?
De quel œil, trouble ou clair, dy-moy, les doit-on voir,
Et de quel appétit au cœur les recevoir?

Je trouve, quant à moy, bien peu de différence
Entre la froide peur et la chaude espérance:
D'autant que mesme doute également assaut
Nostre esprit, qui ne sçait au vray ce qu'il lui faut.

1. Dans toutes les éditions il y a N'auront sur son esprit; mais c'est une faute, car ce vers se rapporte aux gens hardis dont il est parlé dans le troisième vers. Ainsi, il faut mettre leur esprit, et non pas son esprit. La faute est venue sans doute de ce que l'auteur, plein de l'idée du beau vers d'Horace qu'il venait de traduire, Impavidum ferient ruinæ, ne se souvenait pas qu'il avait commencé sa période par le pluriel, en disant: J'aime les gens hardis, quoique Horace, son modèle, eût commencé la sienne par le singulier. (Brossette.)

Car, estant la fortune en ses fins incertaine,
L'accident non préveu nous donne de la peine;
Le bien inespéré nous saisit tellement

Qu'il nous gèle le sang, l'ame et le jugement,
Nous fait frémir le cœur, nous tire de nous-mesmes.
Ainsi, diversement saisis des deux extresmes,
Quand le succez du bien au desir n'est égal,
Nous nous sentons troublez du bien comme du mal;
Et trouvant mesme effect en un subject contraire,
Le bien fait dedans nous ce que le mal peut faire.

Or doncq' que gagne-t-on de rire ou de pleurer,
Craindre confusément, bien ou mal espérer,
Puisque mesme le bien, excédant nostre attente,
Nous saisissant le cœur, nous trouble et nous tourmente,
Et nous désobligeant nous mesme en ce bonheur,
La joye et le plaisir nous tient lieu de douleur ?
Selon son rolle on doit jouer son personnage.
Le bon sera meschant, insensé l'homme sage;
Et le prudent sera de raison dévestu,

S'il se monstre trop chaud à suivre la vertu.
Combien plus celuy-là dont l'ardeur non commune
Eslève ses desseins jusqu'au ciel de la lune,
Et, se privant l'esprit de ses plus doux plaisirs,
A plus qu'il ne se doit laisse aller ses desirs!

Va doncq'; et d'un cœur sain voyant le Pont-au-Change', Desire l'or brillant souz mainte pierre estrange,

Ces gros lingots d'argent qu'à grands coups de marteaux
L'art forme en cent façons de plats et de vaisseaux ;
Et devant que le jour aux gardes se descouvre,

Va, d'un pas diligent, à l'Arcenal, au Louvre ?;
Talonne un président, suis-le comme un valet;

1. Il y avait de nombreuses boutiques d'orfévres et de joailliers autrefois sur ce pont.

2. On sait que le roi Henri IV se retirait souvent à l'Arsenal.

Mesme, s'il est besoin, estrille son mulet1.

Suis jusques au conseil les maistres des requestes;
Ne t'enquiers curieux s'ils sont hommes ou bestes,
Et les distingue bien les uns ont le pouvoir

:

De juger finement un procez sans le voir;

Les autres, comme dieux, près le soleil résident,
Et, démons de Plutus, aux finances président;
Car leurs seules faveurs peuvent, en moins d'un an,
Te faire devenir Chalange ou Montauban 2.

Je veux encore plus; démembrant ta province,
Je veux, de partisan, que tu deviennes prince :
Tu seras des badauts en passant adoré,
Et sera jusqu'au cuir ton carrosse doré;
Chacun en ta faveur mettra son espérance;
Mille valets souz toy désoleront la France;
Tes logis, tapissés en magnifique arroy,
D'esclat aveugleront ceux-là mesme du roy.
Mais si faut-il enfin que tout vienne à son conte,
Et, soit avecq' l'honneur, ou soit avecq' la honte,
Il faut, perdant le jour, esprit, sens et vigueur,
Mourir comme Enguerrant, ou comme Jacques Cœur,
Et descendre là-bas, où, sans choix de personnes,
Les écuelles de bois s'égalent aux couronnes.

En courtisan pourquoy perdroy-je tout mon temps,
Si de bien et d'honneur mes esprits sont contents?
Pourquoy d'ame et de corps faut-il que je me peine,
Et qu'estant hors du sens, aussi bien que d'haleine,
Je suive un financier, soir, matin, froid et chaud,
Si j'ay du bien pour vivre autant comme il m'en faut?

1. Du temps de Régnier, les magistrats et les médecins se servaient de mules. Tardieu, lieutenant-criminel de Paris, si fameux par son avarice, exigeait des plaideurs qui le venaient solliciter qu'ils menassent sa mule à l'abreuvoir.

2. Riches partisans.

Qui n'a point de procez au palais n'a que faire.
Un président pour moy n'est non plus qu'un notaire.
Je fais autant d'estat du long comme du court,

Et mets en la vertu ma faveur et ma court.

Voilà le vray chemin, franc de crainte et d'envie, Qui doucement nous meine à ceste heureuse vie, Que, parmy les rochers et les bois désertez, Jeusne, veille, oraison, et tant d'austéritez, Ces hermites jadis, ayant l'esprit pour guide, Cherchèrent si long-temps dedans la Thébaïde. Adorant la vertu, de cœur, d'ame et de foy, Sans la chercher si loin, chacun l'a dedans soy, Et peut, comme il luy plaist, luy donner la teinture, Artisan de sa bonne ou mauvaise aventure 1.

1. Régnier a déjà dit dans sa satire XIV:

Nous sommes du bonheur de nous mesme artisans,
Et fabriquons nos jours ou fascheux ou plaisans, etc.

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