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Et, malgré moy, me fait aux vers perdre le temps;
Ils devroient à propos tascher d'ouvrir la bouche,
Mettant leur jugement sur la pierre de touche,
S'estudier de n'estre, en leurs discours tranchants,
Par eux-mesme jugez ignares ou meschants,
Et ne mettre, sans choix, en égale balance,
Le vice, la vertu, le crime, l'insolence.

Qui me blasme aujourd'huy, demain il me louera,
Et peut-estre aussi-tost il se désavouera.
La louange est à prix, le hazard la debite
Où le vice1 souvent vaut mieux que le mérite :
Pour moy, je ne fais cas ny ne me puis vanter
Ny d'un mal ny d'un bien que l'on me peut oster.
Avecq' proportion se despart la louange2;
Autrement c'est pour moy du baragouin estrange.
Le vray me fait dans moy recognoistre le faux,
Au poids de la vertu je juge les deffaux.

3

J'assigne l'envieux cent ans après la vie,

Où l'on dit qu'en amour se convertit l'envie.
Le juge sans reproche est la postérité.

Le temps qui tout descouvre en fait la vérité,
Puis la montre à nos yeux; ainsi dehors la terre
Il tire les trésors, et puis les y resserre.
Doncq' moy, qui ne m'amuse à ce qu'on dit icy,
Je n'ay de leurs discours ny plaisirs ny soucy;

Et ne m'esmeus non plus, quand leur discours fourvoye, Que d'un conte d'Urgande et de ma Mère l'Oye.

1. Édition de 1642 et suivantes : Et le vice.

2. Cependant il a dit, satyre I, en parlant de Henri IV :

Toute extrême louange est pour lui trop petie.

3. On lit j'assine dans l'édition de 1613 et dans les deux suivantes de 1614 et 1616. On commence à voir j'assigne dans celle de 1617.

4. Fameuse magicienne dont il est parlé dans le roman d'Amadis.

Mais, puis que tout le monde est aveugle en son fait,
Et que dessouz la lune il n'est rien de parfait,
Sans plus se controller, quant à moy je conseille
Qu'un chacun doucement s'excuse à la pareille:
Laissons ce qu'en resvant ces vieux fous ont écrit ;
Tant de philosophie embarrasse l'esprit.

Qui se contraint au monde, il ne vit qu'en torture.
Nous en pouvons faillir suivant nostre nature.
Je t'excuse, Pierrot, de mesme excuse-moy;
Ton vice est de n'avoir ny dieu, ny foy, ny loy:
Tu couvres tes plaisirs avecq' l'hypocrisie ;
Chupin se taisant veut couvrir sa jalousie1;
Rison accroist son bien d'usure et d'intérests;
Selon ou plus ou moins Jan3 donne ses arrests,
Et comme au plus offrant desbite la justice.
Ainsi, sans rien laisser, un chacun a son vice.
Le mien est d'estre libre, et ne rien admirer;
Tirer le bien du mal, lors qu'il s'en peut tirer;
Sinon, adoucir tout par une indifférence,
Et vaincre le malheur avecq' la patience;
Estimer peu de gens, suivre mon vercoquin *,
Et mettre à mesme taux le noble et le coquin.

D'autre part, je ne puis voir un mal sans m'en plaindre; Quelque part que ce soit, je ne me puis contraindre. Voyant un chicaneur riche d'avoir vendu

Son devoir à celuy qui dust estre pendu;

1. Dans les premières éditions il y a Chupin se faisant, ce qui ne signifie rien. On a mis dans l'édition de 1642: Chupin en se taisant couvre sa jalousie.

2. Dans les éditions de 1617 et 1645, il y a Raison au lieu de Rison. Il faut remarquer que Rison est l'anagramme de Rosni.

3. On a commencé à mettre Jean dans l'édition de 1642. Pomponne de Bellièvre fut chancelier de 1599 à 1607.

4. Mon humeur, mon caprice.

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Un avocat instruire en l'une et l'autre cause
Un Lopet' qui partis dessus partis propose;
Un médecin remplir les limbes d'avortons;
Un banquier qui fait Rome icy pour six testons;
Un prélat, enrichy d'intérest et d'usure,
Plaindre son bois saisy pour n'estre de mesure;
Un Jan, abandonnant femme, filles et sœurs,
Payer mėsmes en chair jusques aux rôtisseurs;
Rousset faire le prince, et tant d'autre mystère :
Mon vice est, mon amy, de ne m'en pouvoir taire.
Or, des vices où sont les hommes attachez,
Comme les petits maux3 font les petits péchez,
Ainsi les moins mauvais sont ceux dont tu retires
Du bien, comme il advient le plus souvent des pires,
Au moins estimez tels; c'est pourquoy, sans errer,
Au sage bien souvent on les peut desirer,

Comme aux pescheurs l'audace à reprendre le vice,
La folie aux enfants, aux juges l'injustice.

1. Lopet est le nom renversé de Polet, fameux partisan sous le règne de Henri IV, Charles Paulet, qui a rendu son nom célèbre par l'édit que le roi fit publier en 1604, pour l'hérédité des offices, moyennant le soixantième denier de droit annuel. Ce droit fut nommé la Paulette, du nom de ce partisan, qui en fut l'inventeur et le premier traitant.

2. On lit Rosset dans l'édition de 1642 et dans les suivantes. Rosset était un des médecins de Henri IV. Nous voyons dans les Mémoires de Sully, édit. de 1652, tome II, page 153, une lettre écrite de la main de ce roi, le 4 novembre 1598, par laquelle il ordonne au marquis de Rosni, surintendant des finances, de faire délivrer aux sieurs Marescot, Martin et Rosset, médecins, à chacun cent écus, pour être venus voir le roi à Monceaux pendant sa maladie. Peut-être encore est-ce François du Rosset, dont nous avons un volume d'histoires tragiques, des recueils de poésies de divers auteurs, la première traduction de la seconde partie de Don Quichotte, etc.

3. Édition de 1642 et suivantes : des petits maux.

Vien doncq', et, regardant ceux qui faillent le moins,
Sans aller rechercher ny preuve ny témoins,
Informons de nos faits, sans haine et sans envie,
Et jusqu'au fond du sac espluchons nostre vie.
De tous ces vices-là, dont ton cœur entaché
S'est veu par mes escrits si librement touché,
Tu n'en peux retirer que honte et que dommage.
En vendant la justice, au ciel tu fais outrage,
Le pauvre tu destruis, la vefve et l'orphelin,
Et ruynes chacun avecq' ton patelin 3.
Ainsi conséquemment de tout dont je t'offence,
Et dont je ne m'attends d'en faire pénitence:
Car, parlant librement, je prétens t'obliger
A purger tes deffauts, tes vices corriger.
Si tu le fais, enfin, en ce cas je mérite,

Puis qu'en quelque façon mon vice te profite.

1. Dans toutes les éditions qui ont précédé celle de 1642, on lit Informans, mais c'est une faute.

2. N'est veu,

1642.

dans toutes les éditions qui ont précédé celle de

3. Avec ton patelinage, mot employé par Rabelais, livre III, chap. 32. Je ne ris oncques tant que je feis à ce patelinage.

SATYRE XVI1

A M. DE FORQUEVAUS2.

Puisque le jugement nous croist par le dommage, Il est temps, Forquevaus, que je devienne sage, Et que par mes travaux j'apprenne à l'avenir Comme, en faisant l'amour, on se doit maintenir. Après avoir passé tant et tant de traverses, Avoir porté le joug de cent beautés diverses, Avoir en bon soldat combattu nuict et jour, Je dois estre routier3 en la guerre d'amour, Et, comme un vieux guerrier blanchy dessouz les armes, Sçavoir me retirer des plus chaudes alarmes; Destourner la fortune, et, plus fin que vaillant, Faire perdre le coup au premier assaillant; Et sçavant devenu par un long exercice,

1. Cette satyre a été placée par Brossette et les éditeurs qui l'ont suivi parmi les épîtres. Je crois devoir la rétablir à la place qui lui est attribuée par toutes les éditions antérieures depuis 1613. Elle serait digne de figurer avec les pièces érotiques de Régnier, bien que les pensées y soient plus gazées.*

2. M. de Forquevaus n'est connu que par un recueil de satires qu'il fit imprimer en 1619, sous le titre : Espadon satyrique, par le sieur de Forquevaus, réimprimé en 1623 et 1626 sous le nom du sieur Desternod.

3. Soldat, du mot route, qui anciennement désignait les bandes militaires, et d'où est venu déroute. Depuis, un vieux routier a spécialement servi à exprimer, dans le langage familier, un vieux soldat rompu aux fatigues, expérimenté et rusé.

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