Obrazy na stronie
PDF
ePub

Voyez de vos vaisseaux les poupes couronnées
Dans cette même Aulide avec vous retournées 1,
Et ce triomphe heureux qui s'en va 2 devenir
L'éternel entretien des siècles à venir.\

AGAMEMNON

385

Seigneur, de mes efforts je connois l'impuissance.
Je cède, et laisse aux Dieux opprimer l'innocence. 390
La victime bientôt marchera sur vos pas.
Allez. Mais cependant faites taire Calchas;
Et m'aidant à cacher ce funeste mystère,
Laissez-moi de l'autel écarter une mère.

1. Racine emploie les deux auxiliaires être et avoir avec le verbe retourner. Il supprime souvent l'auxiliaire étant devant un participe neutre ou passif.

2. On trouve dans Corneille et dans les autres écrivains du xvIIe siècle, ainsi que dans Racine, s'en aller, pour aller, marquant simplement le futur. Mme de Sévigné : « Je m'en vais vous dire une plaisante chose ».

FIN DU PREMIER ACTE

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE

ÉRIPHILE, DORIS

ÉRIPHILE

Ne les contraignons point, Doris, retirons-nous;
Laissons-les dans les bras d'un père et d'un époux ;
Et tandis qu'à l'envi leur amour se déploie,
Mettons en liberté ma tristesse et leur joie.

DORIS

395

Quoi, Madame? toujours irritant vos douleurs,
Croirez-vous ne plus voir que des sujets de pleurs? 400
Je sais que tout déplaît aux yeux d'une captive 2,

1. Cet emploi du participe est fréquent chez Racine: irriterez-vous toujours vos douleurs, et croirez-vous, etc. Le participe exprime le moyen ou la manière. Racine a souvent appliqué le verbe irriter aux sentiments que quelque cause excite ou aigrit:

Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse.

(Andromaque, v. 138.)

2. C'est l'idée d'une Orientale de Victor Hugo, la Captive (IX), qui commence ainsi :

Si je n'étais captive,
J'aimerais ce pays,
Et cette mer plaintive,
Et ces champs de maïs,
Et ces astres sans nombre,
Si le long du mur sombre
N'étincelait dans l'ombre
Le sabre des spahis.

L'esclave d'André Chénier (Églogues, III, la Liberté) exprime des sen

timents pareils :

0

Qu'il n'est point dans les fers de plaisir qui la suive.
Mais dans le temps fatal que repassant les flots,
Nous suivions malgré nous le vainqueur de Lesbos ;
Lorsque dans son vaisseau, prisonnière timide,
Vous voyiez devant vous ce vainqueur homicide,
Le dirai-je ? vos yeux, de larmes moins trempés,
A pleurer vos malheurs étoient moins occupés.
Maintenant tout vous rit: l'aimable Iphigénie
D'une amitié sincère avec vous est unie;
Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de sœur;
Et vous seriez dans Troie avec moins de douceur 1.
Vous vouliez voir l'Aulide où son père l'appelle,
Et l'Aulide vous voit arriver avec elle.
Cependant, par un sort que je ne conçois pas,
Votre douleur redouble et croît à chaque pas.
ÉRIPHILE

Hé quoi? te semble-t-il que la triste 2 Ériphile

Rien ne plaît à mon cœur, rien ne flatte mes sens :

Je suis esclave.

405

410

413

Et quand le chevrier, qui est libre, lui énumère toutes les beautés de la nature, il répond:

Moi, j'ai des yeux d'esclave, et je ne les vois pas.

il n'est

pour moi que des douleurs; Mon sort est de servir il faut qu'il s'accomplisse.

1. Douceur est employé souvent au XVIIe siècle dans le sens de charme, agrément, bonheur. Corneille (la Veuve, v. 1062):

Le bien est en ce siècle une grande douceur.

Mme de Sévigné : «Elle ne cherche plus de douceur que dans sa famille. C'est ce qu'il y a de plus solide, après avoir bien tourné. » La construction de la phrase est toute latine. On dirait ordinairement en français: Vous auriez moins de douceur à être à Troie. Si vous étiez à Troie, vous y trouveriez moins de douceur.

2. Épithète familière à Racine. La triste Octavie. Le triste Antiochus.

C'était des tristes Juifs l'espérance dernière.

(Athalie, v. 1651.)

420

Doive être de leur joie un témoin si tranquille?
Crois-tu que mes chagrins doivent s'évanouir
A l'aspect d'un bonheur dont je ne puis jouir 1?
Je vois Iphigénie entre les bras d'un père;
Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère;
Et moi, toujours en butte à de nouveaux dangers,
Remise dès l'enfance en des bras étrangers,
Je reçus et je vois le jour que je respire 2,
Sans que mère ni père ait daigné me sourire 3.
J'ignore qui je suis; et pour comble d'horreur,
Un oracle effrayant m'attache à mon erreur
Et quand je veux chercher le sang qui m'a fait naître,
Me dit que sans périr je ne me puis connaître.

DORIS

[ocr errors]

Non, non, jusques au bout vous devez le chercher.
Un oracle toujours se plaît à se cacher :
Toujours avec un sens il en présente un autre.
En perdant un faux nom vous reprendrez le vôtre.
C'est là tout le danger que vous pouvez courir 5,

425

430

435

1. Il y a moins de tristesse que d'envie et de haine dans ces mots d'Ériphile.

2. V. Hugo a critiqué ce vers : « Vous rencontrez à chaque instant dans Racine des expressions impropres et incohérentes, comme celle-ci : le jour que je respire... » (P. Stapfer, les Artistes juges et parties, p. 49 et 50.) - << Blåmez aussi, répond M. P. Mesnard, Corneille, qui a dit :

Albe où j'ai commencé de respirer le jour (Horace, v. 29). . (Ceux) qui m'ont conservé le jour que je respire.

...

(Cinna, v. 1458.)

Et sans doute en même temps Virgile, chez qui l'on trouve haurire lucem. » (Lex. de Racine, p. XLII.)

3. Ce vers est une réminiscence de Virgile (Églogues, liv. IV, v. 62): Cui non risere parentes,

...

Nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est.

4. Erreur est ici simplement l'ignorance de la vérité. Ériphile ne sait pas qui elle est, mais elle ne croit pas être ce qu'elle paraît.

5. Cette interprétation de l'oracle a paru bien forcée et bien peu

Et c'est peut-être ainsi que vous devez périr.
Songez que votre nom fut changé dès l'enfance.
ÉRIPHILE

Je n'ai de tout mon sort que cette connoissance;
Et ton père, du reste infortuné témoin,
Ne me permit jamais de pénétrer plus loin.
Hélas! dans cette Troie où j'étois attendue,
Ma gloire, disoit-il, m'alloit être rendue;
J'allois, en reprenant et mon nom et mon rang,
Des plus grands rois en moi reconnoître le sang.
Déjà je découvrois cette fameuse ville.

Le ciel mène à Lesbos l'impitoyable Achille :
Tout cède, tout ressent ses funestes efforts;
Ton père, enseveli dans la foule des morts,
Me laisse dans les fers à moi-même inconnue;
Et de tant de grandeurs dont j'étois prévenue 2,
Vile esclave des Grecs, je n'ai pu conserver
Que la fierté d'un sang que je ne puis prouver.

DORIS

Ah! que perdant, Madame, un témoin si fidèle,
La main qui vous l'ôta vous doit sembler cruelle!

440

445

450

naturelle. La Harpe fait observer que cela est tout à fait conforme à l'esprit de l'antiquité. En effet, on était en règle avec les dicux et la destinée, pourvu qu'on respectât la lettre des oracles ou des vœux, des formules religieuses de toute nature. Le sens littéral liait les dieux comme les hommes, et l'on pouvait éluder les engagements ou les menaces les plus graves par des subtilités grammaticales. Les exemples en abondent. Qu'on se rappelle l'oracle de l'Eneide sur les tables que doivent manger les Troyens et la tête d'oignon que Numa offrit à Jupiter.

1. La gloire, c'est ici l'éclat de la grandeur, comme dans ce vers d'Athalie (v. 679):

Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

2. « Prévenir, dit Furctière, signifie préoccuper l'esprit, lui donner les premières impressions. » Racine a fait un emploi fréquent du mot. D'un noir pressentiment malgré moi prévenue.

(Britannicus, v. 1539.)

« PoprzedniaDalej »