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honneur qu'ils n'eussent souhaité; ce fut le cas de Racine Au sortir de Port-Royal, il fit sa philosophie au collège d'Harcourt (1658); puis il alla loger à l'hôtel de Luynes, chez son cousin Nicolas Vitart, intendant du duc. Cet excellent homme, peu dévot et sagement janséniste, laissa son jeune parent vivre tout à son gré. Racine en profita pour voir le monde, les beaux esprits et les poètes; il se lia avec l'abbé Le Vasseur, abbé galant et mondain, d'un libre et joyeux esprit, et avec La Fontaine, qui, plus âgé de dix-huit ans, débutait encore dans la carrière poétique.

Il faisait beaucoup de petits vers, sonnets, madrigaux; et l'on commençait à dire dans le cercle de ses amis que Racine avait bien de l'esprit. Le mariage du roi lui donna l'occasion d'étendre sa réputation. Il le célébra dans une ode, la Nymphe de la Seine, qui passa pour le meilleur morceau que la circonstance eût inspiré (1660). M. Perrault et M. Chapelain, qui étaient alors de fort grands personnages et dont la confiance de Colbert faisait les premiers commis du département des belles-lettres, M. Perrault et M. Chapelain daignèrent approuver l'œuvre du jeune poète, y trouvèrent d'heureuses promesses, et indiquèrent quelques corrections, qui furent faites avec empressement. Même l'excellent Chapelain voulut qu'on lui amenât l'auteur; et il lui fit donner par le roi une gratification de cent louis.

Ce brillant début et ces encouragements flatteurs n'emprisonnèrent point le talent de Racine dans la poésie lyrique. Il continua de s'essayer, de reconnaître ses forces, en poussant de tous les côtés, en tâtant tous les genres. I e théâtre l'attira. Il fit en 1660 une pièce d'Amasie, que les comédiens du Marais acceptèrent, puis refusèrent. L'année suivante, il dressa le plan d'une tragédie des Amours d'Ovide, pour l'hôtel de Bourgogne.

Cependant Port-Royal gémissait. La mère Agnès de SainteThècle s'indignait qu'un disciple chéri des solitaires, et son neveu, entretînt un commerce abominable avec des comédiens, vils selon le monde, criminels selon Dieu. « Lettres

sur lettres, ou, pour mieux dire, excommunications sur excommunications, » plaintes douloureuses, ou reproches irrités, venaient inquiéter, aigrir, révolter le jeune homme, que son génie impérieux et son amour-propre blessé poussaient dans la voie qu'on voulait lui fermer. Il ne comprenait point ce qu'il y avait de tendresse dans les alarmes de ces pieuses femmes ignorantes du monde; il s'égayait sur ces bonnes et simples personnes; il raillait durement les petits travers de leurs hautes vertus; il plaisantait cruellement sur les épreuves de Port-Royal et la dispersion du troupeau janséniste.

On résolut d'arracher Racine à la vie, à la société où il se perdait. Il sentait lui-même, étant sans fortune et faisant des dettes, qu'il fallait prendre un parti sérieux, et s'assurer quelques solides rentes. Aussi obéit-il à l'appel de son oncle, Antoine Sconin, vicaire général à Uzès, prieur des chanoines réformés de la cathédrale, et fort bien auprès de son évêque. L'Église semblait offrir à Racine ses bénéfices : il se résigna à étudier la théologie.

L'oncle Sconin se montra très paternel et très bienveillant pour son neveu; mais la théologie l'ennuya, et les bénéfices ne vinrent pas. Cependant il ne se livra pas tout entier aux espérances trompeuses d'une fortune ecclésiastique. Saint Thomas et les Pères ne lui firent pas abandonner Virgile, ni Homère et Pindare, dont il chargeait des exemplaires de notes. Il écoutait les graves instructions de l'oncle Sconin, mais il écrivait des lettres piquantes et mêlées de vers à Vitart, à La Fontaine, à Le Vasseur; il en recevait d'eux, toutes pleines des nouvelles profanes du monde et des lettres. Il faisait des vers tendres et galants.

Uzès avait vu arriver avec curiosité et avec plaisir un poète approuvé de M. Chapelain. Tout le monde, le chapitre, le doyen, l'évêque, voulut avoir la Nymphe de la Seine: l'oncle Sconin était fier de son neveu. Tous les poètes du lieu, tous les amoureux lui venaient lire leurs vers. Les dames lui faisaient bon accueil.

Mais il n'obtenait point de bénéfice. Il revint à Paris en 1663, aussi pauvre, aussi nu des biens de ce monde qu'il était parti. Son oncle lui conserva ses bontés, le vit avec bienveillance s'enfoncer dans la poésie, et ne désespéra pas de contribuer à sa fortune. Ce fut par lui, sans doute, que Racine obtint le prieuré de Sainte-Madeleine de l'Épinay, qu'il possédait en 1666, 1667 et 1668; il fut aussi prieur de Saint-Jacques de La Ferté (1671-1672, 1674) et de SaintNicolas de Chesy (1673).

En arrivant à Paris, Racine trouva sa grand'mère, la bonne Marie Desmoulins, dans un état très alarmant : elle mourut à Port-Royal de Paris, le 12 août 1663. Il la perdit avec un vif chagrin.

Le roi ayant eu la rougeole au mois de juin, Racine fit imprimer une ode Sur la convalescence du roi, qui lui valut une gratification de six cents livres. Sa reconnaissance pour cette libéralité lui inspira une autre pièce, la Renommée aux Muses, que le duc de Saint-Aignan, grand seigneur et bel esprit, goûta fort. Il voulut connaître l'auteur, et l'introduisit à la cour, où il devait plus tard si bien réussir. Boileau, ayant lu l'ode de la Renommée, fit sur elle des remarques qui inspirèrent à Racine l'envie de le connaître. Le Vasseur les présenta l'un à l'autre, et leur commerce devint bientôt une vive et intime amitié, où la raison calme de l'un servit plus d'une fois avec bonheur et guida l'imagination ardente de l'autre.

A la fin de 1663, Racine acheva une tragédie de la Thébaide, que Molière joua sur son théâtre l'année suivante.

La Fontaine nous a conservé dans le début de sa Psyché le souvenir de ce charmant commerce qui pendant un temps réunit quatre des plus grands esprits du siècle. « Quatre amis, dit-il, dont la connoissance avoit commencé par le Parnasse, lièrent une espèce de société que j'appellerois académie, si leur nombre eùt été plus grand, et qu'ils eussent autant regardé les Muses que le plaisir. La première chose qu'ils firent, ce fut de bannir d'entre eux les

conversations réglées et tout ce qui sent sa conférence académique. Quand ils se trouvoient ensemble, et qu'ils avoient bien parlé de leurs divertissements, si le hasard les faisoit tomber sur quelque point de science ou de belleslettres, ils profitoient de l'occasion: c'étoit toutefois sans s'arrêter trop longtemps à une même matière, voltigeaut de propos en autre, comme des abeilles qui rencontreroient en leur chemin diverses sortes de fleurs. L'envie, la malignité ni la cabale n'avoient de voix parmi eux. Ils adoroient les ouvrages des anciens, ne refusoient point à ceux des modernes les louanges qui leur sont dues, parloient des leurs avec modestie, et se donnoient des avis sincères lorsque quelqu'un d'entre eux tomboit dans la maladie du siècle et faisoit un livre, ce qui arrivoit rarement. »

Ces quatre amis étaient La Fontaine, Boileau, Molière (?) et Racine. Des beaux esprits ou des courtisans, Chapelle, le duc de Vivonne, le chevalier de Nantouillet, se joignaient souvent à eux, et l'on se réunissait chez Boileau, rue du Vieux-Colombier, ou dans quelque cabaret fameux, au Mouton blanc, à la Pomme du Pin, à la Croix de Lorraine. On y buvait sec, on riait, on raillait on faisait la parodie du Cid sur Chapelain décoiffé. Les Plaideurs naquirent, dit-on, au Mouton blanc.

Racine confia encore à Molière sa seconde pièce, Alexandre le Grand, dont le succès fut très grand. Corneille déclara, dit-on, à l'auteur, qu'il avait du talent pour la poésie, mais que le théâtre n'était pas son fait. Mais Saint-Évremond, un adorateur fidèle de Corneille, écrivit que la vieillesse de Corneille lui donnait moins d'alarmes depuis qu'il avait lu l'Alexandre l'imitation qu'il y trouvait partout de la tragédie cornélienne lui faisait espérer dans le jeune auteur un digne élève, et un rival de son idole.

La troupe de Molière, excellente dans le comique, était médiocre dans le tragique. Racine ne fut point satisfait des interprètes de sa pièce, et la porta à l'hôtel de Bourgogne. Ce procédé cavalier le brouilla avec Molière, et ils restèrent toujours en froid dans la suite.

Le même amour-propre qui ne lui laissa point souffrir que sa tragédie fût faiblement jouée, lui rendit insupportables les critiques qui s'attaquèrent à son succès. Amis de Corneille, ennemis de Boileau, rivaux médiocres, satiriques envieux de toute gloire, commencèrent à le harceler, et l'impatience qu'il en témoigna, mettant au jour sa sensibilité, leur fit voir qu'ils ne perdaient pas leur peine et les encouragea à continuer. Depuis Alexandre, toutes ses pièces furent accompagnées de préfaces amères et hautaines, où il ripostait à ses ennemis en homme profondément touché.

Sa vive susceptibilité et son humeur satirique l'engagèrent même alors dans une fâcheuse affaire. Nicole soutenait depuis longtemps une ardente polémique contre Desmarets de Saint-Sorlin, et, pour discréditer la personne de l'adversaire de Port-Royal, il le dénonça au public comme un auteur de romans et de comédies. « Un faiseur de romans et un poète de théâtre, ajoutait-il, est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d'une infinité d'homicides spirituels 1.» Racine, se souvenant du chagrin que sa vocation avait donné à Port-Royal, se crut visé par cette phrase de Nicole. Il répondit par une lettre piquante, où, sans toucher à la question générale de la moralité du théâtre, il raillait cruellement M. Le Maistre et la mère Angélique, qui étaient morts (janv. 1666). Barbier d'Aucour et Du Bois répliquèrent pour Nicole ce qui fit composer à Racine une lettre plus méchante que la première. Boileau l'empêcha de publier une pièce aussi spirituelle, qui, en prouvant son esprit, pouvait faire douter de son cœur. Il se repentit amèrement plus tard de la vivacité qu'il montra alors, et il déclara en pleine Académie que c'était un endroit de sa vie qu'il eût voulu effacer, et qu'il n'y pouvait songer sans remords.

Andromaque (nov. 1667) eut un succès qui rappela celui du Cid. L'originalité du poète éclata dans ce chef-d'œuvre.

1. Ier visionnaire.

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