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NOTICE SUR LA VIE DE JEAN RACINE

Il avait demandé à être inhumé à Port-Royal des Champs, aux pieds de M. Hamon, son ancien maître. « Cela ne fit pas sa cour, dit Saint-Simon, mais un mort ne s'en soucie guère 1 >>.

1. Après la destruction de Port-Royal en 1709, les restes du poèle furent transportés à Saint-Étienne du Mont, avec ceux de MM. Le Maistre et de Saci.

NOTICE SUR IPHIGÉNIE

I

La tragédie d'Iphigénie fut représentée pour la première fois à Versailles le samedi 18 août 1674, le cinquième jour des divertissements donnés par le roy à toute sa cour, au retour de la conquête de la Franche-Comté 1. Elle fut jouée à Paris l'hiver suivant, sans doute dans les premiers jours de janvier 1675, sur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne.

Le succès de la tragédie fut immense ce fut un succès d'attendrissement et de larmes. Louis Racine, Boileau, le P. Bouhours, le janséniste Barbier d'Aucour, le gazetier

1. C'est le titre de la relation qu'en composa Félibien. Il décrit ainsi le théâtre dressé au bout de l'allée qui va dans l'Orangerie, et où l'on doana la pièce de Racine: « La décoration... représentoit une longue allée de verdure, où, de part et d'autre, il y avoit des bassins de fontaines, et d'espace en espace des grottes d'un ouvrage rustique, mais travaillé très délicatement. Sur leur entablement régnoit une balustrade où étoient arrangés des vases de porcelaine pleins de fleurs; les bassins des fontaines étoient de marbre blanc, soutenus par des Tritons dorés, et dans ces bassins on en voyoit d'autres plus élevés qui portoient de grandes statues d'or. Cette allée se terminoit dans le fond du théâtre par des tentes qui avoient rapport à celles qui couvroient l'orchestre; et au delà paroissoit une longue allée, qui étoit l'allée même de l'Orangeric, bordée des deux côtés de grands orangers et de grenadiers, entremêlés de plusieurs vases de porcelaine remplis de diverses fleurs. Entre chaque arbre il y avoit de grands candélabres et des guéridons d'or et d'azur qui portoient des girandoles de cristal, allumées de plusieurs bougies. Cette allée finissoit par un portique de marbre; les pilastres qui en soutenoient la corniche étoient de lapis, et la porte paroissoit toute d'orfèvrerie ». (Cilé par M. P. Mesnard.)

Robinet, tous, amis, ennemis, indifférents, sont d'accord là-dessus.

Si Molière avait raison de dire que la grande règle de toutes les règles est de plaire, et qu'une pièce de théâtre qui plaît a attrapé son but, on pouvait croire que Racine cette fois avait touché la perfection. Mais la critique et aussi la malignité maintinrent leurs droits On vit paraître, selon l'usage, divers jugements sur la tragédie nouvelle. Le jésuite Pierre de Villiers, dans un Entretien sur les tragédies de ce temps, prit occasion du succès d'Iphigénie, qui se soutenait depuis trois mois, pour demander une réforme morale du théâtre, et montrer qu'on pourrait faire une belle tragédie sans amour. De Villiers, très favorable en somme à Racine, nous fait connaître diverses critiques qu'on adressa à la pièce. Il y eut quelques spectateurs, ou plutôt des spectatrices, deux ou trois coquettes de profession, qui préférèrent Bajazet ou Bérénice au nouvel ouvrage de Racine, parce que l'amour y régnait davantage. Cette passion ne joue qu'un rôle secondaire dans Iphigénie, ce qui, selon de Villiers, « a désabusé le public de l'erreur où il étoit, qu'une tragédie ne pouvoit se soutenir sans un violent amour ». Nous serions tentés aujourd'hui de trouver qu'il y a encore trop d'amour ou de galanterie dans la pièce : cependant dẹ Villiers même, malgré le dessein moral de son écrit, n'ose pas braver les préjugés du monde et les conventions dramatiques, au point de blâmer l'amour d'Achille. Il en trouve l'invention nécessaire et fort belle, dans la conception que l'auteur avait eue du sujet. Il se borne dire qu'on aurait pu arranger l'intrigue d'autre façon, sans ce ressort : « Si, au lieu de donner de l'amour à Achille, on se fût contenté de lui donner de la jalousie pour Agamemnon, ce sentiment pouvoit produire le même effet que l'amour; et il auroit été plus conforme au naturel dont les maîtres de la tragédie veulent qu'on représente ce héros. » Mais c'est là, dans les idées du temps, le paradoxe hardi d'un moraliste rigoureux. Au lieu de blâmer Racine d'avoir mis trop

d'amour dans sa pièce, il faut, pour être juste, lui savoir gré d'avoir pris un sujet où il y en eût si peu.

Habitués que nous sommes maintenant à toutes les libertés dans la peinture de la vie et des passions, nous trouvons Racine trop poli où les contemporains le jugeaient naïf ou presque brutal; ses audaces nous échappent, nous les avons depuis longtemps bien dépassées. La délicatesse du xvne siè cle ne trouvait point que Racine eût donné trop de dignité à la jeune princesse. Au contraire, il y avait « des gens qui n'approuvoient pas qu'une fille de l'âge d'Iphigénie courû! après les caresses de son père ». De Villiers, qui nous l'apprend, justifie Racine, et pense que « l'empressement d'une amante n'a jamais rien produit de si beau ».

La cabale des beaux esprits jaloux des succès de Racine essaya à propos d'Iphigénie la manœuvre qui devait réussir pour Phedre: elle consistait à écraser l'œuvre de Racine sous le triomphe d'une pièce rivale, composée sur le même sujet. On fit grand bruit longtemps à l'avance du mérite de l'Iphigénie de MM. Le Clerc et Coras; et, deux jours après la représentation de ce chef-d'œuvre, un auteur anonyme publia des Remarques sur l'Iphigénie de M. Coras, pour en détailler les perfections, et des Remarques sur l'Iphigénie de M. Racine, pour en souligner les défauts. Le judicieux critique accorde p'us d'esprit à Racine et plus de grâce dans l'élocution; mais il trouve plus de conduite dans l'œuvre de Coras, une intrigue mieux digérée et plus simple, une catastrophe fort juste. Il blâme chez Racine le personnage d'Ériphile, parce qu'il n'est pas conforme à la tradition mythologique, et l'amour d'Achille, parce qu'il n'y a pas d'héroïsme à vouloir sauver sa maîtresse, et qu'une personne aimée ne doit pas renoncer facilement à la vie.

L'Iphigénie qui devait éclipser la tragédie de Racine fut jouée cinq fois à l'hôtel de Guénégaud, à partir du 24 mai 1675. Le succès était mince, et le public ne se méprit point sur la qualité des deux pièces rivales. Mais cette chute même servait le calcul des ennemis. du poète : si l'on n'écrasait

pas les œuvres dont on était jaloux, on pouvait décourager le poète ei l'empêcher d'en produire d'autres.

Le Clerc, dans une préface qu'il mit à son Iphigénie, paraît fort persuadé de l'excellence de son ouvrage. Il ne lui a pas fallu d'Ériphile, comme à Racine. « Il m'a paru, dit-il, que les irrésolutions d'un père combattu par les sentiments de la nature et par les devoirs d'un chef d'armée, que le désespoir d'une mère,... que la constance de cette fille qui s'offre généreusement à être la victime des Grecs, enfin que la juste colère d'Achille... suffisoit pour attacher et pour remplir l'esprit de l'auditeur pendant cinq actes, et pour y produire cette terreur et cette pitié, sans qu'il fût besoin d'y joindre des intrigues d'amour et des jalousies hors-d'œuvre, qui n'auroient fait que rompre le fil de l'action principale. » C'était fort bien parler, et Le Clerc se sut d'autant plus de gré de ces sages réflexions, qu'elles lui permirent d'écrire sa pièce à peu de frais, en suivant simplement l'Iphigénie de Rotrou, qu'il avait pu entendre jadis, au temps où il rêvait d'être auteur dramatique. Lorsqu'après trente années de plaidoiries il revint au théâtre, fidèle aux admirations de sa jeunesse, il s'attacha respectueusement à Rotrou et le mit en son langage. Il lui prit son plan, son dénouement, ses idées, la conduite des scènes; mais, à quelques vers près, il lui laissa son style.

Pour montrer cependant qu'il savait inventer, il imagina, d'après Dictys de Crète, l'expédient qui amène Iphigénie au camp d'Aulis: il lui fit écrire par Ulysse une fausse lettre signée du nom d'Agamemnon. Il jugea aussi qu'il était indigne d'une auguste déesse de s'irriter pour un cerf, comme dit Euripide, ou sans motif, comme le laisse supposer Racine: il feignit que Clytemnestre avait voué jadis sa fille à Diane, comme on voue chez nous les enfants qui naissent à la sainte Vierge et au blanc.

Content de ces beautés, Le Clerc revendiquait hautement la tragédie pour sienne, rendant à Coras, qu'on lui donnait pour collaborateur, une centaine de vers épars çà et

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