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ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE

ÉRIPHILE, DORIS

DORIS

Ah! que me dites-vous? Quelle étrange manie1 1085
Vous peut faire envier le sort d'Iphigénie?

Dans une heure elle expire 2. Et jamais, dites-vous,
Vos yeux de son bonheur ne furent plus jaloux.
Qui le croira, Madame? Et quel cœur si farouche....

ÉRIPI!LE

Jamais rien de plus vrai n'est sorti de ma bouche. 1090 Jamais de tant de soins mon esprit agité

Ne porta plus d'envie à sa félicité.

Favorables périls! Espérance inutile 3 !

N'as-tu pas vu sa gloire, et le trouble d'Achille ?
J'en ai vu, j'en ai fui les signes trop certains.

1095

1 Manie, folie, c'est le sens du grec pavía, qui a persisté dans le mot composé monomanie.

De nos profusions l'effroyable manie.

(Malherbe, t. I, p. 63.)

2. Elle expire. Présent pour le futur; cf. vers 1082.

3. Ce vers doit sans doute être interprété ainsi : Mon espérance a été inutile, et le péril d'Iphigénie tourne à son avantage, puisqu'il lui attache plus fortement Achille.

Ce héros, si terrible au reste des humains,

Qui ne connoît de pleurs que ceux qu'il fait répandre,
Qui s'endurcit1 contre eux dès l'àge le plus tendre,
Et qui, si l'on nous fait un fidèle discours 2,
Suça 3 même le sang des lions et des ours,
Pour elle de la crainte a fait l'apprentissage:
Elle l'a vu pleurer et changer de visage *.

Et tu la plains, Doris? Par combien de malheurs

1100

Ne lui voudrois-je point disputer de tels pleurs? [1105
Quand je devrois comme elle expirer dans une heure....
Mais que dis-je, expirer? Ne crois pas qu'elle meure.
Dans un làche sommeil crois-tu qu'enseveli
Achille aura pour elle impunément påli?

Achille à son malheur saura bien mettre obstacle.
Tu verras que les Dieux n'ont dicté cet oracle

1110

1. Qui s'endurcit, et plus bas a fait. Comme on le voit, le prétérit défini peut désigner une action plus éloignée du présent que le prétérit indéfini. Cela est fréquent en français.

Pison nous offensa, Pison s'est repenti.

(Arnauld, Germanicus.)

2. Discours, récit. Corneille a dit de même faire et entendre le discours.

3. Suça. Dicor, dit Achille dans Stace (Achill., liv. II, v. 385, 386):

...

spissa leonum

Viscera, semianimesque libens traxisse medullas.

4. Changer de visage, pâlir, comme l'explique le vers 1108, ainsi que ce passage de Corneille (Médée, v. 1141):

Il arrive, et surpris il change de visage;
Je lis dans sa pâleur une secrète rage.

5. Impunément, sans effet, mais sans un effet qui se produira aux dépens de ceux qui menacent Iphigénie; cf. Britannicus (v. 445) :

Néron impunément ne sera pas jaloux.

Dans les deux phrases, c'est sans qu'il en coûte, non au sujet, mais à d'autres. De même impune en latin (Enéide, liv. IX, v. 653):

Sit satis, Eneade, telis impune Numanum

Oppetiisse tuis.

Que pour croitre à la fois sa gloire et mon tourment, Et la rendre plus belle aux yeux de son amant.

1115

Hé quoi? Ne vois-tu pas tout ce qu'on fait pour elle?
On supprime des Dieux la sentence mortelle ;
Et quoique le bûcher soit déjà préparé,
Le nom de la victime est encore ignoré :
Tout le camp n'en sait rien. Doris, à ce silence,
Ne reconnois-tu pas un père qui balance?
Et que fera-t-il donc ? Quel courage endurci
Soutiendroit les assauts qu'on lui prépare ici :
Une mère en fureur, les larmes d'une fille,
Les cris, le désespoir de toute une famille,
Le sang à ces objets facile à s'ébranler 2,

1120

1. Croitre. Vaugelas (Rem.): « Ce verbe est neutre, et non pas actif, et jamais M. Coëffeteau ny aucun de nos auteurs en prose ne l'a fait que neutre; mais nos poètes pour la commodité des vers s'émancipent et ne feignent point de le faire actif quand ils en ont besoin.

Qu'à des cœurs bien touchés tarder la jouissance,

C'est infailliblement leur croistre le désir,

dit M. de Malherbe.... Il faut donc dire accroistre en prose, quand on a besoin de l'actif, et non croistre. » En dépit de cette décision de Vaugelas et des hésitations de Ménage, l'Académie a toujours reconnu croître comme actif, sans le restreindre dans ce sens à la poésie, Corneille et Racine en ont fait un fréquent usage.

2. Le sang représente ici la nature, l'instinct de la famille.

Leur sang même, infecté de sa funeste haleine,

Ou ne leur parle plus, ou leur parle de haine.

(La Thébaïde, v. 1031, var.)

A ces objets. Objet signifie ce qui est sous les yeux.

...

Dans son sang, hélas! elle est soudain tombée.
Jugez à cet objet ce que j'ai dù sentir.

(La Thébaïde, v. 1471.)

C'est donc à ce spectacle, à cette vue. A signifie devant, en présence de, comme dans ce vers (Andromaque, 1401) :

Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes.

Facile à s'ébranler, qui s'ébranle facilement. Ainsi dans Phèdre (v. 1211):

IPHIGÉNIE.

10

Achille menaçant, tout prêt à l'accabler?

Non, te dis-je, les Dieux l'ont en vain condamnée: 1125 Je suis et je serai la seule infortunée.

Ah! si je m'en croyois....

DORIS

Quoi? Que méditez-vous ?
ÉRIPHILE

Je ne sais qui m'arrête et retient mon courroux,
Que par un prompt avis de tout ce qui se passe,
Je ne coure des Dieux divulguer la menace,
Et publier partout les complots criminels
Qu'on fait ici contre eux et contre leurs autels.

DORIS

Ah! quel dessein, Madame !

ÉRIPHILE

Ah! Doris, quelle joie !

1130

Que d'encens brûleroit dans les temples de Troie,
Si troublant tous les Grecs, et vengeant ma prison, 1135
Je pouvois contre Achille armer Agamemnon ;

Si leur haine, de Troie 3 oubliant la querelle,

Peut-être a-t-il un cœur facile à s'attendrir.

Malherbe a dit : « Nous sommes faciles à recevoir des impressions. » Cf. Corneille (Edipe, v. 1168):

Le ciel, juste à punir, juste à récompenser.

1. Que... je ne coure, locution fort usitée au XVIIe siècle. C'est le quin des Latins. - Molière :

Entrez dans cette porte,

Et sans bruit ayez l'œil, que personne n'en sorte.

(École des maris, v. 931.)

2. Troublant, mettant le trouble parmi les Grecs. - Prison, captivité. 3. De Troie, etc. Querelle se disait dans un sens plus relevé qu'aujourd'hui.

Rome aujourd'hui m'a vu père de quatre enfants;
Trois en ce même jour sont morts pour sa querelle.
(Corneille, Horace, v. 1707.)

Mais la querelle de Troie est ici la querelle contre Troie. De est au

Tournoit contre eux le fer qu'ils aiguisent contre elle, Et si de tout le camp mes avis dangereux

Faisoient à ma patrie un sacrifice 1 heureux

DORIS

1140

J'entends du bruit. On vient Clytemnestre s'avance.
Remettez-vous, Madame, ou fuyez sa présence.
ÉRIPHILE

Rentrons. Et pour troubler un hymen odieux,
Consultons des fureurs qu'autorisent les Dieux 2.

SCÈNE II

CLYTEMNESTRE, ÆGINE

CLYTEMNESTRE

Ægine, tu le vois, il faut que je la fuie.

Loin que ma fille pleure et tremble pour sa vie,

1145

(Bé

sens passif, comme dans les exemples suivants.: « Le zèle de votre prince et le bien public vous tiennent continuellement attaché » rénice, épître).

Dis-lui que de mon fils l'amour est assez fort.

(Andromaque, v. 1039.)

1. «< Sacrifice et sacrifier sont à la mode »>, faisait remarquer le P. Bouhours dans les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (4° éd., 1673, p. 119).

:

2. Le théâtre reste vide; mais les scènes sont liées, car Doris a vu Clytemnestre, et c'est l'arrivée de celle-ci qui fait retirer Ériphile. C'est une liaison de vue, comme dit Corneille. «< Quelques-uns ne veulent pas que quand un acteur sort du théâtre pour n'être point vu de celui qui y vient, cela fasse une liaison mais je ne puis être de leur avis sur ce point, et tiens que c'en est une suffisante quand l'acteur qui entre sur le théâtre voit celui qui en sort, ou que celui qui sort voit celui qui entre; soit qu'il le cherche, soit qu'il le fuie, soit qu'il le voie simplement sans avoir intérêt à le chercher ni à le fuir.» (Cor neille; la Suivante, examen:)

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