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obligés de les compter. On fixa le nombre qu'on en donneroit à chaque qualité de Vers, & on releva la fimplicité de cette méchanique par l'ornement de la rime. Il eft remarquable que les Chinois, quoique leur langue, par la inefure des fyllabes & les diverfes inflexions des tons, foit la plus muficale & la plus harmonieuse de toutes (1), ont cependant réglé leur Poëfie par le nombre des fyllables & par la rime.

Si dans notre Poëfie Françoife nous avons fuivi les mêmes loix, ce n'eft qu'après avoir tenté les premieres. Quelques Poëtes, dans le feiziéme fiécle, aveuglés par une fauffe érudition, entreprirent de donner à notre Poëfie une mesure pareille à celle des Grecs & des Latins. Il firent voir en François des Vers hexamétres, pentamétres & faphiques; mais leur travail ne fervit qu'à faire connoître que l'Art travaille envain, quand il s'écarte de la Nature. On ne peut contraindre une langue à recevoir une harmonie qui ne lui convient pas.

Cette obligation à régler nos Vers par le nombre des fyllabes, nous força à n'avoir, pour ainfi dire, que deux fortes de Vers, le grand Vers, dont la céfure partage l'Hémiftiche, & le petit Vers, qui femble deftiné à la Poëfie Lyrique, dont la vivacité demande les Vers plus courts. Les Grecs & les Romains plus riches que nous, outre l'hexamétre majeftueux, confacré au Poë me Epique, le pentamétre deftiné à la Plainte, & l'iambe au Poëme Dramatique, avoient encore différens Vers pour la Poëfie Lyrique : l'alcaïque plein de force, le faphique plein de douceur, & le phaleuque fait pour le badinage. Je n'en dirai pas

(1) C'eft ce que M. Freret affure dans fa Differtation imprimée dans les Memoires de l'Académie des Belles Lettres, Tome 3.

pas davantage, parce qu'il eft inutile de nous ar rêter à admirer des richeffes que nous ne pouvons pofféder. Revenons aux nôtres: tâchons d'en connoître le prix, & examinons quel eft l'ornement de notre rime.

S. De la Rime.

MALGRE les plaifirs que nous procure la Rime, elle a parmi nous beaucoup d'ennemis, & le nom. bre en augmente tous les jours. Lorfque nos grands Poëtes s'en font plaint, comme ils lui font toujours reftés fidéles, on a regardé leurs plaintes comme celles des amans, qui, en accufant la pefanteur de leurs chatnes, les veulent toujours porter. Boileau, qui appelloit cette Rime quinteufe, pouvoit bien dire d'elle, ce que Tibulle difoit de Délie, perfida, fed quamvis perfida, cara tamen. Les plaintes qu'on fait contre elle aujour d'hui font d'une nature différente.

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,, Pourquoi, dit-on, regarder comme un orne»ment un ennuyeux tintement de finales monotones, froide & puérile invention des peuples du Nord, chez lefquels tout eft auffi glacé que le climat? Le retour des mêmes fons que les Grecs & les Romains, maîtres de la délicateffe, évitoient avec foin, n'a jamais pû plaire qu'à ,, des peuples groffiers. Si par respect, pour l'an-»tiquité de la loi, la Rime eft malheureufement néceffaire à notre foible Poëfie, ofons du moins la rendre plus facile. Ne fommes-nous pas déja affez accablés. de notre chaîne? pourquoi vouloir encore l'appefantir? Les Anglois & les Italiens, qui dans plufieurs occafions fe 99. couent le joug, fe moquent de notre conftan,,ce; & lorfque dans nos ouvrages férieux ils

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trouvent plufieurs Rimes riches, ils regardent » cette richeffe comme une affectation ridicule. "

Telles

1

Telles font les déclamations qu'on répéte fans ceffe; & il eft fâcheux que l'illuftre Auteur du Télémaque ait enhardi nos beaux Efprits à tenir ce langage. C'eft ainfi qu'il parle de la Rime dans fa Lettre fur les travaux de l'Académie: Notre Verfification perd plus, fi je ne me trompe, qu'elle ne gagne par les Rimes: elle perd beaucoup de variété, de facilité & d'harmonie.... La Rime ne nous donne que l'uniformité des finales, qui eft ennuyeufe, & qu'on évite dans la Profe, tant elle est loin de flatter l'oreille.... Je n'ai garde néanmoins de la vouloir abolir: fans elle notre Verfification tom. beroit; mais je crois qu'il feroit à propos de mettre nos Poëtes plus au large.

N'avons-nous donc pas déja affez de Rimeurs, & pourquoi les mettre au large? ils ne s'y mettent que trop depuis quelque tems: leur exemple rendra leurs fucceffeurs encore plus hardis: quand on a commencé à élargir fa chaîne, on va bientôt jufqu'à la brifer tout-à-fait. Ceux qui fecoueront le joug de la Rime, fe diront autorifés par des Poëtes Italiens & Anglois, dont les Vers, quoique non rimés, ont été bien reçus; & fi Apollon ne nous protége, notre Poëfie déja ébranlée tombera entiérement. Il s'agit donc de répondre à ces accufations, & de faire voir que M. de Fenelon, quoique fi habile dans le ftile poëtique, n'a pas bien parlé de notre Verfification, dans laquel. le il n'eût pas réüffi felon les apparences, comme on en peut juger par l'Ode qu'on a imprimée à la fin de fon Télémaque.

La premiere réponse eft l'exemple des grands Poëtes de l'Italie & de la France. L'Ariofte, le Taffe, le Dante & Pétrarque fe font foumis au joug fans paroître efclaves, & feront toujours les premiers Poëtes de leur nation. Les premiers Poëtes de la nôtre ont été de fcrupuleux obfervateurs de la Rime, mais jamais fes efclaves: loin

d'être

d'être gênés par elle, il femble que ce foit elle qui leur obéiffe, & qui vienne à leurs ordres. Pourquoi leurs fucceffeurs, s'ils veulent mériter de l'être, demanderont-ils des priviléges dont leurs maîtres n'ont pas eu befoin? voit-on que l'Auteur d'Athalie aille chercher bien loin les Rimes les plus riches?

Par moi Jérufalem goûte un calme profond,
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'altier Philiftin par d'éternels ravages,
Comme au tems de nos Rois, défoler fes rivages.
Le Tyrien me traite & de Reine & de fœur,
Enfin de ma maifon le fuperbe oppreffeur,
Qui vouloit jufqu'à moi pouffer la barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie, &c.

L'oreille eft fatisfaite par la confonance de ces fyllabes qui viennent terminer les Vers fi naturellement, qu'il ne paroît pas qu'on les appelle. Si des Italiens & des Anglois ne fentent pas l'agré ment de cette confonance, nos Poëtes ne travaillent pas pour des oreilles étrangeres qui ne peuvent être les juges de notre harmonie. Je fup pofe qu'au lieu de lire ainfi ces Vers de Boi leau,

Cérès s'enfuit éplorée

De voir en proie à Borée
Ses guérets d'épics chargés,
Et fous les urnes fangeufes
Des Hyades orageufes
Tous fes tréfors submergés

on les life de cette maniere:

Cérès s'enfuit confternée
De voir en proie à Borée'

Ses

Ses guérets d'épics chargés,
Et fous les urnes fangeufes
Des hyades pluvieufes

Tous fes tréfors emportés.

Ce changement de trois mots qui ne frappera point une oreille étrangere, frappera fi fort nos oreilles délicates, qu'elles ne retrouveront plus l'harmonie de cette Strophe.

Après avoir oppofé aux ennemis de la Rime l'exemple de nos fameux Poëtes, je crois qu'on peut leur opposer de folides raisons.

La Rime, qui placée à la fin des Vers, en rend la chute plus marquée, & tient l'attention fufpendue jufqu'au retour du même fon, loin d'être un tintement ennuyeux, forme une confonance qui a été de tout tems agréable à prefque tous les peuples. Je fuis étonné d'entendre répéter fi fouvent à des Gens de Lettres, que la Rime eft une invention des peuples du Nord dans les fiécles d'ignorance, puifqu'elle n'a jamais été tant recherchée que dans l'Orient (1). Tous les Sçavans conviennent aujourd'hui que la Poëfie des Hébreux eft pleine de Rimes. Nous pouvons à celles des anciens Hébreux joindre celles des Perfes, des Chinois, des Tartares, des Afriquains, & de plu. fieurs peuples de l'Amérique: ce plaifir eft donc commun aux peuples de l'Orient comme à ceux du Nord. I eft vrai que ceux-ci, dans les fiécles d'ignorance, rechercherent la Rime jufqu'au ridicule excès de régler par elle leurs Vers Latins; & fans cette affectation plufieurs de nos anciennes Profes paroîtroient plus belles. Les Romains étoient trop riches de leur propre fonds pour avoir

() Voyez la Diflertation de M.Fourmont fur la Poëfie des Hébreux, dans les Memoires de l'Académie des Belles-Lettres, Tome 4.

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