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VIII.

Enfin, il nous restait la tâche de réduire à leur proportion naturelle les attributions du pouvoir public, que les modernes publicistes ont exagérées outre mesure, en vertu de leur principe de la toute-puissance de l'État, qui n'est, au fond, que la consécration de tout despotisme et la mort de toute liberté.

Pour nous, le gouvernement le plus fort et le plus heureux n'est pas celui qui fait tout, mais celui qui laisse faire tout ce qui ne compromet pas la justice et l'ordre public; et qui, content d'exercer les deux fonctions politiques, les seules qui lui appartiennent, les fonctions de juger et de combattre, ne se charge pas, si ce n'est pour les surveiller, des fonctions purement civiles que le droit naturel attribue à la cité, et qui sont du ressort du pouvoir paternel et du pouvoir communal. Nous avons exposé ces doctrines dans notre dernier chapitre. A cette occasion, nous avons combattu la monstruosité révolutionnaire de la centralisation au point de vue civil, politique et social. En cherchant la cause du malaise actuel de la plus grande partie des États de l'Europe, nous l'avons rencontrée dans l'énorme faute des gouvernements assez insensés pour avoir voulu concentrer dans leurs mains toute action sociale et tout pouvoir; et nous avons soutenu que c'est là ce qui, en faisant peser sur eux toute responsabilité, les déconsidère, les affaiblit et les perd.

Nous nous sommes arrêté à exposer d'une manière toute spéciale ces ravages de la centralisation en Italie, et nous. avons démontré que cette question italienne, en général, et cette question romaine, en particulier, dont la diplomatie européenne se préoccupe tant sans les comprendre, ne sont que des questions de décentralisation, et qui ne peuvent être résolues par l'énorme extravagance de l'unification, mais bien par la décentralisation de tous les intérêts, de tous les pouvoirs.

Plusieurs publicistes, catholiques et protestants, à la suite de l'infernal Machiavel, ont écrit des volumes pour apprendre au Pouvoir public ce qu'ils appellent le grand art. de gouverner les États. Ces travaux sont, nous osons l'affirmer, aussi vains par rapport à leur but qu'absurdes par rapport à la pensée qui les a inspirés. Ces auteurs ont pris leur point de départ de l'idée païenne, la plus fausse et la plus funeste, de la toute-puissance du Pouvoir public et du droit qu'il aurait de tout dominer, sous prétexte de tout gouverner. Dès lors, ils ont dû embrasser, dans leurs traités touchant les fonctions de la souveraineté, toutes les branches, si multiples et si variées, de l'administration publique; et disserter longuement sur leur nature et sur la manière de les diriger et de les harmoniser entre elles, moins dans l'intérêt du peuple, que dans l'intérêt du pouvoir. Ils ont dû entrer dans une foule de détails, dans des explications et des théories sans nombre, si compliquées et si abstruses, et partant, impossibles à saisir et bien plus impossibles encore à réaliser par la pratique. Rien que l'administration communale, qu'on a dévolue à l'autorité centrale comme une de ses attributions, supposerait en elle l'élévation du génie, la science du savant et le dévouement des Saints; qualités très-rares sur les marches du trône.

Comme la multiplicité des lois n'aboutit qu'à la corruption de la république : In Republica corruptissima plurimæ leges; de même, la multiplicité des devoirs n'aboutit qu'au désespoir de les remplir; et de là à la facilité de les méconnaître et de les fouler aux pieds. Aussi, nous doutons fort que le traité de Duguet, par exemple, sur l'institution d'un prince, en quatre gros volumes, puisse jamais former un bon prince.

Quant à nous, nous avons voulu faire un ouvrage de principes et non un ouvrage de détails. Nous avons voulu rappeler, dans leur ensemble et dans leur généralité, les grands principes du droit public chrétien, qui forment les vraies

bases de l'ordre social; et croyant avoir, tant bien que mal, rempli cette tâche importante, nous nous sommes cru dispensé d'aborder d'autres questions, pour compléter cet Essai sur le Pouvoir public.

Il est possible que, sous l'empire des idées et des préjugés révolutionnaires qui dominent partout, même dans les régions du pouvoir, on ne fasse pas attention à la vérité que nous venons de dire tout entière, et qu'on ne veuille pas des seuls moyens de salut qu'elle offre à la société qui périt : nous n'aurons pas perdu pour cela notre travail. Après le cataclysme qui menace l'Europe, qu'on serait encore à temps de conjurer, mais que probablement on ne conjurera pas, le malheur portera conseil; on appréciera les doctrines qu'un aveuglement surnaturel ne permet pas, dans ce moment, de comprendre; on reconstituera tout sur leurs bases, et, en même temps que la religion chrétienne sauvera les âmes et que la philosophie chrétienne sauvera la science, la politique chrétienne sauvera la société. Cette fois encore, salut ne viendra que de la vérité: Et veritas liberabit vos.

le

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ESSAI

SUR LE

POUVOIR PUBLIC.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA SOCIÉTÉ ET DU POUVOIR EN GÉNÉRAL.

§ 1. Les publicistes modernes ne définissent pas, ou bien ils définissent mal la société. Les publicistes épicuriens. - Vraie définition de la société. - Explication de cette définition. — Il n'y a de société qu'entre les êtres intelligents. Ces êtres ne peuvent être unis en société que par l'obéissance au même Pouvoir. Trois espèces de sociétés. - La communion des Saints n'est qu'une loi de l'ordre social.

TOUTE

OUTE la science du droit public est dans une bonne définition de la société. Ce qui concerne le Pouvoir public forme le sujet le plus important de cette science; il ne peut donc être bien compris que par la notion exacte de la nature, du constitutif essentiel et de la fin de tout ordre social. C'est pourquoi, avant d'aborder les grandes questions touchant le Pouvoir public que nous nous proposons de développer et de résoudre dans cet ouvrage, nous croyons devoir donner et expliquer la vraie définition de la société; et avant de traiter du

Pouvoir public en particulier, nous allons nous occuper, dans ce premier chapitre, de la société et du Pouvoir en général.

Entre les phénomènes caractéristiques de la science moderne, le plus curieux peut-être et le plus déplorable est celui-ci :: Que, dans tout ce qu'elle entreprend de traiter, soit ignorance, soit légèreté, soit présomption, la chose qu'elle oublie le plus de faire connaître est précisément la chose dont elle veut s'occuper. Dans les ouvrages de philosophie, par exemple, on chercherait en vain une notion claire et distincte de ce qu'est la philosophie, de l'usage qu'on en doit faire et du but qu'elle doit atteindre. Il en est de même dans les ouvrages des rationalistes par rapport à la raison, et dans les ouvrages de droit public par rapport à l'ordre social. En effet, il nous est bien des fois arrivé d'arrêter tout court et de jeter dans l'embarras des philosophes, des rationalistes et des publicistes, en leur demandant uniquement : « Qu'est-ce que la philosophie? Qu'est-ce que la raison? Qu'est-ce que la société? »>

Quant à ceux, parmi les philosophes et les publicistes modernes, qui ont daigné définir dans leurs livres le sujet de leurs spéculations, à de rares exceptions près, ils s'y prennent de manière à faire pitié. Car c'est un fait, qu'à l'imitation des anciens philosophes, leurs pères et leurs maîtres, ces écrivains non seulement ont combattu toutes les traditions les plus constantes et les plus universelles de l'humanité, mais qu'ils ont encore faussé les idées les plus simples, les principes les plus fondamentaux de la science philosophique et de la science du droit public. L'école matérialiste en particulier a pris à tâche de ravaler le plus possible

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