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même on pourrait admettre pour un fait isolé un si étrange système d'interprétation, il échouera toujours devant la multitude et la publicité des faits qui remplissent toute l'histoire de la première communauté chrétienne.

Il reste encore une ressource à nos adversaires : c'est d'attribuer à la fourberie des Apôtres les miracles de leur vie et le succès merveilleux de leur parole. C'était là l'hypothèse favorite du 18e siècle '. Je sais bien qu'on a été obligé de l'abandonner, parce qu'on l'a, non sans raison, déclarée insoutenable. Présenter comme des fourbes les admirables fondateurs du Christianisme n'est nullement dans la tendance d'une époque qui prétend répudier jusqu'à un certain point la tradition honteuse du siècle de Voltaire. Cependant, si les disciples du Christ ne sont pas, comme nous l'avons démontré, des fanatiques ou des visionnaires, on est bien obligé d'admettre cette supposition révoltante que les hommes apostoliques ont contribué par la ruse et par la fraude à la merveilleuse propagation du Christianisme. C'est là, jusqu'à un certain point, la prétention de M. Salvador'. Il n'est donc pas inutile d'enlever à nos adversaires cette déplorable ressource, pour échapper à l'évidence des faits surnaturels. Quand les rationalistes examinent de loin l'histoire de la révélation, ils se tirent d'embarras par des solutions générales et sans applications positives. Mais, si on les transporte sur le terrain brûlant de l'histoire, les difficultés les entourent et les pressent, et le cercle total de la science se referme autour d'eux et les emprisonne dans son enceinte de fer.

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Les Apôtres imposteurs ! Je suis honteux pour mon siècle et pour

· J.-J. Rousseau se sépare encore, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, des extravagances de l'école voltairienne. Il s'exprime ainsi sur le caractère des Apôtres : « Après la mort de Jésus-Christ, douze pauvres pêcheurs entreprennent d'instruire et de convertir le monde; leur méthode était simple; ils prèchaient sans art, mais avec un cœur pénétré; et de tous les miracles dont Dieu honorait leur foi, le plus frappant était la sainteté de leur vie. Leurs disciples suivirent cet exemple, et le succès fut prodigieux. Les prêtres païens, alarmés, firent entendre aux princes que l'État était perdu parce que les offrandes diminuaient. Les persécutions s'élevèrent et ne firent qu'accélérer le progrès de cette religion, qu'ils voulaient étouffer. Tous les chrétiens couraient au martyre, tous les peuples couraient au baptême; l'histoire de ces premiers temps est un prodige continuel. » — - J.-J. Rousseau, Réponse au roi de Pologne, Discours, 1, 103.

. Cf. Salvador, Jésus-Christ et sa Doctrine, 11. - Il est entraîné à cette manière de voir par la logique de son système, malgré quelques répugnances apparentes. Voir par exemple ce qu'il dit de saint Paul, 11, Paul et l'Église, et de saint Jean, 11, 279.

mon pays qu'il se soit trouvé dans cette France catholique un homme pour répéter cette triste parole. Heureusement cet homme n'est pas de notre sang, et ce n'est pas une bonche française qui a osé répéter parmi nous le blasphème de Voltaire devant les contemporains de Chateauk and, d'O'Connell et de Pie IX! L'imposture! Mais savez-vous bien ce que c'est ? savez-vous qu'il faut des intérêts bien pressants et des nécessités bien rigoureuses pour qu'un homme sacrifie volontairement tout son avenir, son esprit et son cœur, à semer la parole de l'erreur dans le champ du père de famille? Qui est-ce qui s'engage de sang-froid, sans remords et sans hésitation, dans cet odieux projet d'enchaîner ses frères par la servitude de l'erreur? Qui oserait faire violence aux sentiments les plus foris de sa conscience et de sa nature, pour jeter sans raison et sans profit aux quatre vents du ciel la parole d'iniquité? Dieu, dans sa miséricorde et dans sa bonté, a mis sur le front de l'imposture un signe indélébile C'est comme cette tache de sang que l'homicide épouse de Macbeth sent toujours renaître sur son visage pâlissant. La fraude porte en elle-même sa misère et sa condamnation: on peut la montrer du doigt dans l'histoire, comme on montrait l'infamie à Sparte: son triomphe plein d'angoisses et de troubles n'évite jamais le supplice de la honte. Quand un homme a pu tromper ses contemporains et son époque, il lui faut tôt ou tard comparaître devant le tribunal de l'histoire, qui pèse en sa sévère balance tous les crimes dont il a flétri sa vie et sa mémoire. Eh bien! les Apôtres sont là devant nous, ils sont là chargés encore des chaînes de la persécution, couverts de la pourpre de leur martyre, couronnés de l'auréole que les siècles ont posée sur leurs fronts. Pauvres, humiliés. souffrants', pendant une vie qui fut une longue torture, les vain'queurs de l'idolâtric et du despotisme des Césars attendent de la justice de ce siècle leur bill d'indemnité. Je ne sais pourquoi, mais en contemplant ces solennelles figures cicatrisées par le glaive des bourreaux, à la vue de ces fronts sereins qui ont bravé les maîtres du monde, mon âme s'émeut et s'attendrit. Se pourrait-il, m'écriaije involontairement, que vous, les martyrs de la parole évangélique, que vous, qui avez tant souffert et tant prié, vous ne fussiez que d'indignes scélérats et d'odieux imposteurs? S'il en est ainsi, où donc est la vertu? Si les hommes qui ont sacrifié leur vie à la vérité, triomphé de la violence par une invincible douceur, vaincu la corrup

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Egentes, angustiati, afflicti! C'est ainsi que saint Paul parle des saints.

tion païenne par la sainteté de leur vie, fondé par leurs travaux la société moderne, si ces hommes ne sont que des d lomates adroits, s'ils ont sacrifié leur existence aux succès d'une odieuse politique, la vertu n'est qu'un vain nom. Comment! c'était pour le triomphe de l'erreur qu'ils ont, pendant que les glaives se croisaient sur leurs têtes, prêché à l'univers dégradé le pardon des injures, la patience, la douceur et la fraternité! Ils ont, pour le succès de la ruse la plus infernale, éveillé dans le cœur de l'humanité les plus admirables dévouements qu'ait jamais vus la terre! Ils ont, pour le triomphe de leurs passions, terrassé tous les vices; pour faire réussir l'erreur ils ont prêché des vérités qui ont changé la face de la société ! C'est de leur vie que nous vivons, c'est leur parole qui soutient le monde moral, c'est leur esprit qui nous dirige. Nous sommes les enfants de leur cœur et de leur sang, c'est pour nous qu'ils ont combattu, qu'ils ont souffert, qu'ils ont vaincu, et nous oserions jeter à leur dévouement cette odieuse parole: Vous avez menti !

Singulière imposture! étrange diplomatie! choisir pour Dieu un Crucifié et tenter de courber l'univers tout entier au pied d'un gibet sanglant: il fallait que ces bateliers galiléens comptassent bien sur leur adresse et sur leur génie, pour faire adorer un si révoltant mystère aux esprits sceptiques et railleurs du siècle d'Horace! C'était là certes une belle idée, bien propre à dominer les âmes, que de prendre pour les subjuguer le scandale et la folie de la croix ! Mais ce n'était pas assez de déraison: ces Apôtres, qu'on suppose si habiles, et si fourbes, quelques jours après le honteux supplice de leur Maître, viennent dogmatiser, non pas dans les ténèbres, non pas dans les conventicules secrets, mais (voyez donc la prodigieuse folie!) aux portes du temple, encombrées par la foule, dans les places populeuses, devant le Sanbédrin lui-même, qui venait de crucifier Jésus-Christ; ils ont l'audace d'annoncer, par un incompréhensible aveuglement, que leur Maître a guéri les malades, ressuscité les morts, et que ceux qui l'ont crucifié se sont rendus coupables du plus épouvantable des forfaits.

Mais sur quoi vont-ils donc s'appuyer pour assurer le succès d'une telle extravagance? Vont-ils flatter les passions des grands ou les rancunes des peuples? Vont-ils manier adroitement les préjugés de leur époque, vont-ils préparer, par des transitions habilement ménagées, le triomphe de l'erreur? Le sens commun indique qu'il fallait suivre une pareille marche. Eh bien! des hommes qu'on

suppose avoir vaincu le monde par la puissance de leur diploinatie se sont plu, au contraire, à entasser sous leurs pas les difficultés les plus invincibles. N'ont-ils pas annoncé, sans craindre et sans pâlir, qu'ils allaient renverser à leurs pieds tous les cultes vaincus, que les dieux allaient tomber de leurs autels et la Synagogue elle-même finir sa glorieuse destinée? N'ont-ils pas bravé avec audace les gouvernements et les pontificats? N'ont-ils pas dédaigné l'éloquence et la philosophie? Ils ont osé soulever contre eux par leurs paroles, depuis les bords du Rhin jusqu'aux rives du Nil, les Césars, les pontifes et les sages. Encore s'ils savaient flatter les passions révolutionnaires de la foule, s'ils avaient planté la croix dans le monde comme un arbre de la liberté, s'ils avaient, comme Spartacus, prêché la révolte aux esclaves : mais non, ils annoncent que les puissances sont établies de Dieu, que les rois et les empereurs sont les ministres du ciel, qu'il faut payer l'impôt el rendre l'honneur à qui on doit l'honneur.

Pourtant ils ont triomphé! Ils tombaient vaincus par le glaive, mais victorieux par la parole. Ils tombaient, mais leur sang purifiait et fécondait la terre. Ils tombaient, mais le monde s'ébranlait et craquait dans ses bases. Ils ont triomphé, non pas par la science. mais par l'humilité, non pas par la puissance, mais par la faiblesse, non par des victoires, mais par la mort. Ils se sont faits insensés pour confondre l'orgueil d'un siècle enivré de sa gloire. Ils sont restés pauvres pour purifier un monde gorgé d'or et de plaisir. Ils ont espéré contre toute espérance, et jeté dans le sillon de la parole de Dieu une semence qui semblait ne devoir jamais être fécondée par la rosée du ciel. Qu'on dise qu'ils ont été insensés: cela est bien: ne conviennent-ils pas eux-mêmes que leur prédication était une folie, un scandale ? Qu'on dise qu'ils ont, sans réflexion, sans calcul, sans prévision, marché au devant des persécutions et des tortures, ils n'en rougiraient pas. Qu'on dise qu'ils ont à cette vie qui passe préféré la couronne céleste qui ne se flétrit jamais : c'était là vraiment leur espérance. Mais, si l'on ose dire qu'ils ont été des scélérats et des imposteurs, il ne faut pas s'arrêter là. Il faut prendre dans la main des pharisiens le marteau qui a servi à clouer le Fils de l'homme, pour attacher à sa croix le titre de séducteur!

L'ABBÉ FRÉDÉRIC-ÉDOUARD CHASSAY, Professeur de philosophie au grand Séminaire de Bayeux.

Hevne scientifique.

ÉTUDES PHYSIOLOGIQUES

SUR L'ORIGINE DE L'HOMME ET DES RACES HUMAINES.

QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE '.

VII. Opinion de Buffon sur l'origine des choses ; — il nie les causes finales; — admet les molécules organiques; - les générations spontanées, et les transformations des espèces.

Pendant que Linnée, dans un autre pays, parcourait une carrière pleine de labeur et de gloire, la France vit paraître Buffon. Il naquit à Montbar, petite ville de Bourgogne, au commencement du 18e siècle. Grand naturaliste et grand écrivain, peintre sublime de la nature, Buffon porta dans l'étude à laquelle il avait voué sa vie un génie profond et inventif, une largeur de vues, une hardiesse de conceptions, qui emportèrent plus d'une fois sa pensée vers des hypothèses spécieuses et imaginaires. « Il excella, dit Vicq-d'A» zir, dans l'art de généraliser ses idées et d'enchaîner ses obser>> vations. Souvent, après avoir recueilli des faits jusqu'alors isolés »> et stériles, il s'élève et arrive aux résultats les plus inattendus. >> En le suivant, les rapports naissent de toutes parts; jamais on » ne sut donner à des conjectures plus de vraisemblance, et à des » doutes l'apparence d'une impartialité plus parfaite. Lorsqu'il » établit une opinion, les probabilités les plus faibles sont avec un » grand art placées les premières; à mesure qu'il avance, il en » augmente si rapidement le nombre et la force, que le lecteur, » subjugué, se refuse à toute réflexion qui porterait atteinte à son » plaisir. »

Buffon avait plutôt le génie de l'invention que celui de l'observation. Aussi, pour tout ce qui tient à l'observation des faits, se fit-il beaucoup aider par Daubenton, Guénaud de Montbelliard et autres naturalistes. Sa vaste intelligence réunissait ensuite les faits épars, les méditait, cherchait à deviner leurs rapports et leurs lois; et

• Voir le 3 art, au numéro précédent ci-dessus, p. 377.

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Éloge de Buffon, discours de réception à l'Académie Française.

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