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nous démontre encore, avec tant de facilité, la nature et les perfections de cet Etre suprême, que n'en dut-elle point apprendre à nos premiers parents qui la possédaient dans sa plus grande vigueur, et qui l'écoutaient toujours avec joie ?

Eut-elle plus de peine à leur indiquer leur téritable fin, ou, ce qui revient à la même chose, leur souverain bien? Ne nous dit-elle pas encore que Dieu, que l'Etre souverainement bon et parfait, doit être par cela même le bien suprême de toutes les intelligences, et que la félicité, comme la gloire de notre nature, consiste à lui ressembler dans les choses qui conviennent à des créatures, et surtout dans la sagesse et dans la sainteté ?

J'avoue que l'on trouve plus d'obscurité sur l'article du devoir ou sur les lois qui doivent servir de règle à notre conduite. On le croirait au moins, à n'en juger que par cette multitude d'ouvrages que l'on a composés pour déterminer les lois de la nature, ou de tours que l'on a pris pour en fixer l'évidence. Cela n'arriverait point si l'on distinguait les lois d'une nature innocente de celles de la nature corrompue. Les premières supposent des hommes qui sont maitres de leurs passions, qui ne connaissent pas encore la différence du tien et du mien, qui sont attachés à leurs semblables par les seuls nœuds de la communion du sang et de l'amour réciproque, qui cherchent tous leur félicité particulière dans la félicité publique, et qui n'ont pour fin générale que de plaire à Dieu et de lui ressembler. Pour conduire des gens de ce caractère, que faut-il que la raison des choses et des relations, ou, pour le dire autrement, que la raison elle-même ?

Enfin les motifs à remplir le devoir se présentaient d'eux-mêmes et ne pouvaient être couverts de la moindre équivoque. Car les lois de la nature n'étant que les moyens nécessaires pour conduire au bonheur, la raison, qui découvrait avec tant de facilité cette fin de l'homme, ne pouvait que déterminer efficacement par cette considération sa conduite; d'autant plus qu'à l'opposition de la félicité manquée elle montrait aussi nécessairement une peine infaillible.

II. Mais bien que l'homme innocent pût parvenir à toutes ces connaissances par les opérations et par les facultés de la seule raison, il y en eut quelques autres, où le secours des révélations lui fut nécessaire. Nous les réduirons à trois principales: la nourriture, le mariage et le don de la parole. Commençons par la nourriture. Aucune révélation n'était nécessaire à l'homme nouvellement entré au monde au sujet des liqueurs. L'eau étant encore la seule qu'il connût ou qu'il pût connaître de longtemps, il ne pouvait ni s'y méprendre, ni en abuser. Il n'en était pas de même des aliments. Il pouvait y en avoir de nuisibles et même de mortels. Le discernement n'en était néanmoins possible ni aux sens, ni à la raison. Il fallait donc que Dieu l'en avertit, et c'est aussi ce qu'il fit, au rapport de Moise (Gen.

II, 16, 17), en lui défendant de manger du fruit d'un arbre particulier qui croissait au milieu du jardin, et dont il ne pouvait goûter sans s'exposer au malheur de perdre certainement la vie à quelque heure.

Une seconde chose sur laquelle les premiers hommes eurent besoin d'une révélation regardait l'union conjugale. Puisque la diversité des sexes ne put être établie que pour servir à la multiplication du genre humain sur la terre, les simples mouvements de la nature étaient suffisants pour le porter à remplir cette destination naturelle. Mais pour savoir ce qui convenait le plus au bien-être des sociétés, des accouplements vagues, ou de l'union fixe et constante d'un seul avec une seule, c'est ce que la raison par elle-même ne pouvait décider. Elle avait besoin pour celà des lumières de l'expérience, et c'est effectivement à la faveur de cette expérience que la plupart des nations, et surtout des nations policées, préférant le mariage, en ont honoré l'état de leur estime singulière et de la protection de leurs lois. Mais comme ces avantages de l'union conjugale ne pouvaient être encore connus à la naissance du monde, l'instruction en dut venir immédiatement du Créateur, en quoi il paraît encore que Moise a fidèlement représenté la première histoire du genre humain (Gen. I, 27, 28; II, 18, 24; Matth. XIX, 4-6), lorsqu'il introduit Dieu liant par les nœuds les plus saints et les plus étroits le premier homme et la première femme, et fondant par cela même l'institution du mariage, où l'homme trouve une aide semblable à lui, et dans lequel deux deviennent une seule et même chair.

Enfin on ne conçoit pas bien, comment le don de la parole put être d'aucun usage sans l'assistance d'une révélation. Inventer arbitrairement des mots pour signifier les choses, convenir de cette signification, convenir de l'arrangement de ces signes, c'est l'ouvrage du temps, et même d'un temps assez long. Cependant Adam et Eve eurent besoin de s'entendre, et par conséquent de se parler, dès qu'ils se virent. Moïse même les introduit parlant dès qu'ils eurent reçu l'existence. Mais ce prodige paraît-il possible, à moins que l'on ne suppose une révélation interne, et semblable à ce que nous appelons l'irspiration, qui fit connaître à ce couple le sens des articulations qu'ils formaient l'un et l'autre ?

Considérations, qui mènent à celle de l'état de péché. — Que l'on ne s'étonne donc point de ce que nous admettons des révélations dans l'état d'innocence. Elles y étaient nécessaires, ainsi que nous venons de le voir, et cette observation, jointe aux autres que nous avions déjà faites sur l'état primitif et sur la condition originale de la nature humaine, va nous développer en partie les idées que l'on doit se faire de l'état de corruption et du plan nécessaire pour y remédier.

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La connaissance de l'état de péché en indique le remède. Nous venons de voir ce que l'homme fut et dut être dans sa perfection primitive, c'est-à-dire dans l'état de pureté où le Créateur le forma. A présent nous devons examiner s'il n'est pas dans une condition différente et, supposé que cela soit, considérer ensuite ce qu'un Dieu tout sage et tout bon a dû faire pour le rétablir dans les priviléges de sa première innocence.

1. L'homme est certainement dans un état de corruption. Que l'homme ne soit plus dans l'état parfait de son origine, c'est ce qui saute aux yeux et qui ne parle que trop de soi-même. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer notre condition présente avec le tableau précédent. Notre entendement est faible, lent et peu sûr dans ses opérations; notre raison est paresseuse, confuse, obscure et sujette aux illusions; nos passions, qui devraient lui être soumises, en ont secoué le joug, et ne lui donnent que trop souvent la loi; notre volonté en est aussi perpétuellement entraînée, de sorte que rien ne peut être plus vrai que ce que dit un apôtre, qu'il ya (Rom. III, 23) dans nos membres une loi qui fait la guerre à celle de notre entendemeni, la chair convoitant contre l'esprit et l'esprit contre la chair. Nous sentons aussi que nos corps sont faibles, chancelants, sujets à mille infirmités différentes, et nous voyons enfin (Hebr. IX, 27) qu'il est ordonné à tous les hommes de mourir une fois, et que comme il n'en est point qui ne soit mortel, il n'en est point aussi qui ne meure. Quel autre nom que celui de corruption et de dépravation peut-on donner à cet état de notre nature, où elle se trouve si fort audessous de ce qu'elle fut à sa première origine?

11. L'homme est dans un état d'impuissance pour son bonheur, ce qui ne peut se faire que par des secours ou des révélations diversifiés selon ses besoins, comme il est marqué dans l'Ecriture sainte. Mais cela même nous indique ce qu'un Dieu miséricordieux et touché de nos maux a dû faire pour y remédier d'une manière efficace. Il ne fallait à la yérité que nous rétablir dans l'état primitif cependant cela demandait des arrangements

tout nouveaux.

Deux choses étaient absolument nécessaires l'une, que nous pussions être remis dans la possession du privilége de l'immortalité pour laquelle Dieu créa l'homme s'il eût persévéré dans son innocence; et l'autre, que notre raison reprit tout son empire sur les passions, ou, ce qui revient à la même chose, que nous rentrassions dans l'exercice de la pure innocence.

Or, comme nous ne sommes plus à présent dans la situation où l'homme fut en sortant des mains de son Créateur, il est visible que le plan de la Providence, pour nous

sauver, dut être différent de celui qu'elle n'avait qu'à suivre pour nous préserver, et ce plan nouveau renferme les deux choses que nous venons d'indiquer.

Afin de nous rendre le privilége de l'immortalité, Dieu a dû laisser le cours libre à l'ordre de nature, qui veut que l'homme pécheur soit mortel et qu'il meure. Ce ne peut donc être qu'après cette mort naturelle que nous pouvons espérer de revenir à une vie éternelle; et ceci, comme on le voit bien clairement, suppose une résurrection.

Quant au retour de l'exercice d'une innocence parfaite, on sent assez que la chose n'est pas entièrement possible en-deçà du sépulcre. L'homme, tel qu'il est, peut toujours, dans ce monde, abuser de sa raison et de sa liberté. Ainsi tout ce qu'il peut attendre ici-bas de la clémence divine, c'est qu'elle lui fournisse les lumières qui lui sont nécessaires; qu'elle influe sur sa volonté pour la déterminer au bien, et que par des opérations surnaturelles, elle supplée aux faiblesses et aux imperfections de notre nature, jusqu'au temps heureux de la résurrection, où (1 Cor. XV, 54) la mort doit être engloutie en victoire, et (I Cor. XIII, 10) où toute imperfection doit être abolie.

Expliquons-nous néanmoins sur ces opérations surnaturelles, de peur que l'on ne s'en fasse de fausses idées. La nécessité n'en étant fondée que sur le besoin que nous en avons, ou, pour le dire autrement, sur notre impuissance naturelle, il est évident d'un côté que l'assistance surnaturelle ne doit avoir lieu qu'à l'égard des hommes qui veulent faire et qui font tout ce qu'ils peuvent naturellement, et de l'autre par conséquent, que les hommes qui négligent de faire tout ce qui est encore au pouvoir de leur nature ne peuvent ni ne doivent compter en aucune façon sur le secours surnaturel. D'où il résulte que ces derniers demeureront dans un état d'imperfection qui ne doit pas moins durer qu'eux-mêmes, et qu'immortels de leur nature il faut aussi que leur malheur soit éternel.

Expliquons aussi, pour la même raison, ce que nous avons dit des lumières que Dieu accorde extraordinairement à l'homme tombé pour le relever. Nous les avons limitées à celles qui sont nécessaires, et l'on sent assez la raison de cette limitation. Cela renferme pourtant tous les moyens d'instruction qui nous sont convenables, tant pour les vérités qui nous indiquent notre fin, que pour les motifs qui nous y portent; mais en quoi qu'il consiste, comme c'est le besoin seul qui en règle la mesure et la manière, il est clair aussi que Dieu seul est le juge de cette né

cessité.

Ceci regarde singulièrement les lumières qui nous doivent être communiquées par le canal de la révélation. Ce moyen d'instruction fut nécessaire, ainsi que nous l'avons vu, dans l'état d'innocence. A plus forte raison l'a-t-il été depuis la corruption de notre nature. Nous ne saurions donc douter que Dieu ne se soit souvent révélé aux hommes

depuis leur chute. Mais que ces révélations aient été diversifiées selon la diversité des temps, des lieux et des personnes, c'est ce qui ne paraît pas moins incontestable, puis que le besoin ou la convenance n'en peuvent étre absolument les mêmes pour tous les hommes, pour tous les siècles et pour tous les endroits de la terre. C'est à cet égard principalement que le jugement de la nécessité n'appartient qu'à Dieu seul, et que les hommes ne peuvent entreprendre d'en décider sans se rendre coupables de la témérité la plus présompteuse et la plus criminelle, parce que (Isaïe LV, 8) les pensées de Dieu sont au-dessus de nos pensées, que ses voies sont au-dessus de nos voies, et que (I Cor. I, 25) la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes.

Ajoutons néanmoins que rien ne pourrait être plus utile et plus nécessaire pour notre instruction qu'un recueil historique des principales révélations qu'il a plu à Dieu de donner aux grands hommes et des dispensations de la Providence qui y ont répondu. Il est donc fort probable qu'un secours si considérable ne nous a pas été refusé. Nous trouvons même dans nos livres sacrés une histoire semblable, revêtue de tous les caractères de crédibilité qui doivent mériter de notre part une foi entière.

Notre Ste. Ecriture n'est en effet, à proprement parler, que l'histoire de la Providence, par rapport aux affaires humaines ; et si le plan que nous venons de tracer, tant de l'état d'innocence que de celui du péché, représente fidèlement ce qui a dû être, on m'avouera sans peine que cette histoire est souverainement croyable, puisqu'elle représente aussi fidèlement ce qui a été et ce qui sera. On y voit l'homme formé à l'image de Dieu, qui aurait pu être éternellement heureux s'il n'eût pas manqué aux moyens prescrits par la nature même des choses. On I'y voit dechu de son innocence, mais rappelé au devoir par les bienfaits, par les châtiments, par les lois, par les promesses et par les menaces. On l'y voit devenu pécheur et mortel sur la terre, mais élevé à l'attente d'un nouvel état de perfection, lorsque dans la vie à venir (I Cor. XV, 53) ce mortel aura revêtu l'immortalité (Hébr. XII, 23), et que les esprits des justes seront rendus parfaits. On l'y voit enfin dans les ténèbres, conduit, éclairé par Dieu lui-même, qui, proportionnant la mesure et le degré de ses révélations à ce qui était le plus nécessaire et le plus convenable (Hébr. 1, 1), parla autrefois à lui, à plusieurs fois, en plusieurs temps et en plusieurs manières. Quels caractères de crédibilité pourrait-on y souhaiter davantage?

Que sera-ce donc si nous pouvons prouver qu'elle est plus que croyable? C'est-à-dire qu'elle est très-vraie et la seule qui le soit dans le sens le plus éminent. Ce serait naturellement ici le lieu d'entrer dans cet examen. Mais comme l'abondance et la Jongueur du sujet feraient oublier au lecteur le de nos raisonnements, il doit nous per

mettre de renvoyer cette importante matière ; et supposant déjà comme données les preuves que nous en donnerons à part dans la suite, nous allons examiner les révélations que l'Ecriture contient et qui se partagent, comme on sait, en deux principales: l'une, qui précéda Jésus-Christ, et l'autre, qu'il porta lui-même.

CHAPITRE VII.

Dans la nécessité d'une révélation avant la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, surtout par rapport au monde paien.

Le monde paien avait besoin d'une révélation, parce qu'il était dans un état d'ignorance, de superstition et de corruption d'où la raison ne pouvait le tirer. - Que l'on se rappelle ici ce que nous avons dit en parlant de l'état primitif, que la nécessité de la révélation commence où les lumières de la raison finissent, et l'on sentira sans beaucoup de peine combien la première était devenue nécessaire avant que Jésus-Christ parût sur la terre. Mais comme à sa venue il trouva le genre humain partagé depuis longtemps en deux portions fort inégales, dont l'une était celle des Juifs, et l'autre contenait le monde gentil, ou toutes les nations idolâtres; et comme d'ailleurs on ne peut bien juger de ce qui regarde les Juifs que par leurs livres sacrés, dont nous ne parlerons que dans la suite, nous commencerons d'abord notre examen par l'état du paganisme.

Et là-dessus nous posons en (1) fait et comme une chose qui ne nous est pas contestée, que le monde gentil était plongé dans l'ignorance la plus grossière et dans la corruption la plus déplorable. On y avait si fort oublié la grande fin de l'homme, qu'au rapport de (2) Varron, cité par saint Augustin,

(1) Tout ce chapitre est un abrégé très-défectueux que M. Burnet nous y donne d'une excellente pièce que M. Dan. Whitby publia en 1705 sous le titre de Necessity and usufulnes, etc., c'est-à-dire, la Nécessité et l'utilité de la révélation chrétienne déduites de la corruption des principes de la religion naturelle, tant

parmi les Juifs que parmi les païens. Note du trad.

(2) M. Burnet a sans doute copié ceci de quelqu'un, sans avoir examiné le passage de S. Augustin. Ĉar ce père n'y dit point ce qu'on lui fait dire. En voici les paroles, De Civit. Dei, lib. XIX, cap. I: Eos quamvis diversis erroneis modis, naturæ limes in tantum ab itinere veritatis deviare permisit, ut non alii in animo, alii in utroque fines bonorum ponerent et malorum : er qua tripartita velut generalium distributione sectarum. Marcus Varro in libro de Philosopbia tam multam dogmatum varietatem diligenter et subtiliter scrutatus, advertit ut ad 288 sectas, non quæ jam essent, sed quæ esse possent, adhibens quasdam differentias, facillime perveniret. C'est-à-dire « Quoique les philosophes s'écartassent du viai en diverses façons, les bornes de la nature ne leur permirent pas de s'en éloigner si fort, qu'ils ne placassent le souverain bien ou le souverain mal, les uns dans l'àme, les autres dans le corps, et les autres dans tous les deux à la fois. De celle espèce de division des sectes générales, Marc Varron, dans son livre de la Philosophie, a tiré par son exactitude et par sa subtilité une si grande diversité d'opinions, qu'à l'aide de certaines différences, il a remarqué, non qu'il y en eût actuellement

cette dépravation dut être extrême, et qu'il n'y a rien d'outré dans les descriptions que saint Paul (1) nous en donne en divers endroits de ses épîtres, d'autant plus que ce que cet apôtre en dit n'est que trop confirmé par le témoignage des écrivains mêmes du paganisme.

ce seul article avait enfanté deux cent quatrevingt-huit opinions différentes. Dieu lui-même y était comme inconnu au milieu de cette foule immense de divinités (1) dont on avait rempli le ciel, l'air, la terre et les enfers. D'ailleurs, quels étaient ces dieux et quel était le culte qu'on leur rendait? Ces dieux (2) donnaient les premiers exemples du vice, et le culte (3), pour leur être agréable, ne manquait pas d'y répondre. La religion elle-même fournissant ainsi les aliments les plus dangereux ou les prétextes les plus plausibles à la dépravation des mœurs, on conçoit aisément que

288, mais qu'il pourrait y en avoir tout autant. › On n'a qu'à lire ce qui suit dans le même chapitre de S. Augustin, pour s'apercevoir que ces 288 sectes ne sont que de l'invention de Varron. Cela n'empêche pas néanmoins que les sages païens n'aient été trèsdivisés sur l'article du souverain bien, et qu'aucun ne s'en soit fait de justes idées. Note du trad.

(1) Le polytheisme sans fin du monde gentil n'est ni inconnu, ni contesté. Celui des Juifs, auxquels Jérémie reproche, ch. 11, 28, et XI, 13, qu'ils avaient autant de dieux que de villes, n'était presque rien en comparaison de l'autre, où chaque âge, chaque profession, chaque état, chaque maison avait ses dieux particuliers. Mais comme on distingue ordinairement ici entre le vulgaire et les philosophes, il est bon d'observer que ces derniers firent une profession constante de respecter les dieux du vulgaire, comme nous aurons lieu de le prouver dans la suite. Observons de plus que les platoniciens, qui approchèrent plus près que les autres de la vraie connaissance du Dicu créateur, ne laissèrent pas d'en reconnaitre plusieurs créés et subalternes. Platon lui-même, dans son Timée, pag. 34 de l'édit. de Henri Etienne, 1578, après avoir rendu compte de la création du ciel, l'appelle evdaiμova bɛóv, un dier bienheureux, et à la suite de la production du soleil, de la lune, des planètes, de la terre. Voilà qui suffit, dit-il, pag. 40,Пept av ópuτűv xal yentar, sur l'article des dieux visibles et engendrés; article duquel il passe à celui des autres divinités dé la mythologie, en avouant qu'il faut croire ce qu'en ont dit les premiers auteurs, parce qu'étant euxmêmes enfants de ces dieux, ils doivent avoir bien connu leurs ancêtres. Περὶ δὲ τῶν ἄλλων Δαιμόνων..... Πειστέον δὲ τοῖς ἐιρηκόσιν ἔμπροσθεν, ἐκγόνοις μὲν θεῶν οὖσιν, ὡς ἔφασαν, σαφῶς δέ που τοὺς αὐτῶν προγόνους ειδόσιν. Π est vrai qu'à l'égard de ces dieux de la fable, le commentateur de Platon rejette ce que ce philosophe en dit sur la nécessité de se ménager dans l'esprit de la multitude: mais le reste n'admet point d'excuse, et l'on ne saurait douter que Platon ne pensât ce qu'il en disait. Note du trad.

(2) Les pères ont poussé le paganisme en mille occasions sur cet article, qui en était, effectivement, un des endroits les plus faibles, parce qu'il sautait aux yeux, et que l'on ne pouvait le cacher. Ovide, qui n'y cherchait d'autre finesse que celle de s'excuser, en fait ingénument l'aveu. Trist. lib. II, 287. Quis locus est templis augustior? Hæc quoque vitet In culpam si qua est ingeniosa suam. Cum steterit Jovis æde, Jovis succurrel in æde

Quam multas matre fecerit ille deus N. du trad., etc. (3) M. Burnet allègue en preuve les Jeux Floraux, et les Bacchanales, dont M. Whitby a donné une description succincte, dans l'ouvrage anglais dont je parlais tout à l'heure, et dans lequel à ces deux exemples il ajoute les impuretés abominables qui faisaient partie de la religion et du culte divin, à Abyde, à Samos, à Ephèse, en Phénicie, à Babylone, en Arménie, en Chypre, en Lydie, à Locres, en Cappadoce, et en Egypte. Note du trad.

On conçoit avec la même facilité que, dans un état pareil, il ne restait aux hommes ni espérance ni possibilité même de parvenir au

véritable bonheur. Ils en avaient entièrement perdu les idées; la route leur en était parfaitement inconnue, et celle qu'ils suivaient menait à la fin la plus opposée. Pour les tirer d'une situation si triste, il fallait nécessairement les ramener sur les voies de la vérité et de la vertu, et l'on m'avouera sans peine que cela ne se pouvait faire que par le moyen de la raison, ou par celui de la révélation. Il ne reste donc plus qu'à savoir si le premier suffisait; et s'il n'était pas suf→ fisant, il faudra conclure que la révélation était absolument nécessaire.

Que la raison seule et destituée de tous les secours de la révélation ne pouvait rien pour le bonheur de l'homme. - Que la raison seule et par elle-même n'ait pu, sans le secours de la révélation, dissiper les ténèbres du paganisme, en vaincre l'ignorance et la corruption, c'est ce qui parle en quelque façon de soi-même. Il ne s'agit pas ici de ce qu'aurait été capable de faire une raison pure, libre, forte, éclairée, mais de ce que pouvait une raison dépravée, esclave, affaiblie, obscurcie, telle que fut celle du monde païen. Par où pouvons-nous mieux en juger que par l'état actuel de ce qui s'y passa? Si la saine raison y eût conservé ses droits naturels, si les lumières y eussent toujours été assez vives et assez étendues pour instruire et pour conduire les hommes, si elle n'eût pas été livrée en esclave à l'empire des préjugés, des passions et des vices, d'où vient le peu d'effet qu'elle y eut sur l'esprit et sur le cœur des peuples, ou plutôt qu'elle n'y en eut point du tout? Aujourd'hui, je l'avoue, des gens élevés dans le sein du christianisme bâtissent de pompeux systèmes, où ils démontrent par la raison l'unité de Dieu, l'existence d'un seul Créateur, l'empire de la Providence, la différence essentielle du bien et du mal, l'immortalité de l'âme, et la nécessité d'un jugement à venir. Les uns le font pour appuyer la révélation, les autres le font aussi pour en conclure l'inutilité. Mais quelles que soient les vues qu'ils s'y proposent, ne nous serat-il pas permis de leur faire observer que c'est uniquement aux lumières du christianisme, dans lequel ils sont nés, qu'ils ont toute l'obligation de celles d'une raison si claire et si sûre? Ce n'est qu'à l'aide de la révélation chrétienne qu'ils sont devenus capables de raisonner si profondément et avec tant de justesse sur ces mêmes principes de la religion naturelle sur lesquels le gros des païens raisonna si peu et si mal. Car si la raison seule et par elle-même était capable (1) Rom. I, 21-51; 1 Cor. VI, 20; Ephes. IV, 17-49

de se porter si loin et si haut, d'où vient, encore un coup, qu'elle ne le fit jamais dans le paganisme?

On démontre le principe ci-dessus par l'im puissance des philosophes à remédier aux maux qui affligeaient le monde paien. On se récriera ici sans doute : Quoi donc! n'y eut-il pas des philosophes qui pensèrent mieux que la multitude, qui consultèrent la raison, qui l'écoutèrent, et qui travaillèrent même à en faire entendre la voix? L'objection est spécieuse; elle est imposante, et ce n'est pourtant qu'une fausse lueur. Car, sans chicaner sur le petit nombre de ces sages, que l'on examine seulement avec impartialité ce qu'ils firent, et l'on y trouvera une entière démonstration de l'impuissance de la raison, tant pour ce qui regarde les dogmes et le culte, que pour ce qui concerne les mœurs.

Par rapport aux dogmes et au culte, trois choses nous paraissent de la dernière évidence: 1° les philosophes du paganisme ne connurent le mal qu'en partie, et surent encore moins le remède qu'il y fallait apporter; 2° quand même leurs lumières auraient été moins bornées, l'entreprise de réformer le monde païen était infiniment au-dessus de leurs forces; et 3° pour exécuter cette entreprise il leur fallait un secours et des connaissances qu'assurément la raison seule ne pouvait leur donner.

Je dis 1° que les philosophes ne connurent le mal qu'en partie, et qu'ils connurent en core moins le remède qu'il y fallait apporter. Le partage presque infini de leurs sentiments sur la nature du souverain bien, dont nous parlions tout à l'heure, en est une preuve bien frappante et bien forte. Ne s'en présenta-t-il pas une autre, non moins considérable, dans l'étonnante diversité de leurs idées sur l'Etre suprême? Dans ce que (1)

(1) M. Burnet dit ici que Diogène Laërce rapporte diverses opinions étranges des philosophes sur la nature divine; mais comme ce prédicateur s'est fait une coutumne de ne marquer jamais de renvoi dans ses citations, je ne me crois pas dans l'obligation de parcourir toutes les Vies de Diogène Laerce pour vérifier ce qu'il dit. Il me suffira de prouver la vérité de sa proposition, en donnant ici le passage de Cicéron, qu'il indique simplement avec la même généralité. Le passage est dans l'exorde du livre III de la Nature des dieux, où Cicérou, parlant de son chef, s'exprinie de la manière suivante: Plerique, quod maxime verisimile est, et quo omnes, duce natura, vehimur, deos esse dixerunt ; dubitare se Protagoras, nullos esse omnino Diagoras Melius et Theodorus Cyrenaicus putaverunt. Qui vero deos esse dixerunt, tanta sunt in varietale ac dissensione constituti, ut eorum molestum sit annumerare sententias. Nam et de figuris deorum, et de locis atque sedibus, et actione vitæ multa dicuntur, deque his summa philosophorum dissensione certatur. C'est-à-dire, ‹ La plupart ont dit qu'il y a des dieux, sentiment qui est le plus vraisemblable, et auquel nous sommes entraînés par la nature elle-même. Protagoras doutait qu'il y en eût, el Diagoras de Mélos, de même que Théodore de Cyrène, n'en croyaient point du tout. Mais ceux qui ont dit qu'il y a des dieux se partagent et se divisent si fort, que ce n'est pas une petite affaire que celle de 1apporter seulement leurs avis. Ils se disputent sur la forme des dieux, sur les lieux qu'ils habitent, sur les siéges qu'ils occupent, et sur l'activité de leur vie,

Diogène Laërce et Cicéron nous en disent, pouvons-nous reconnaître les prétendus oracles de la pure raison, ou peut-on considé– rer les égarements sans pitié? Les plus grands de ces sages confessèrent (1) que tout ce que l'on disait des dieux était incertain; et, s'il en faut croire Socrate lui-même (2), tout ce qu'il en connaissait était qu'il n'en connaissait rien. Ce fut bien pis encore au sujet du culte que l'on doit rendre à la Divinité. Car bien qu'il se trouvât des philosophes qui sentaient tout le ridicule des superstitions populaires, ou qui blâmaient les fictions de la mythologie sur lesquelles ces superstitions étaient fondées (3), il n'y en eut pourtant

et sur cela les philosophes se combattent avec une extrême chaleur. L'épicurien Velleius, qui parle ensuite, prouve ceci en détail par l'énumération qu'il fait de plus de vingt sentiments différents, dont il rapporte la substance en nommant les auteurs. Note du trad.

(1) Comme Cicéron doit être mis sans difficulté dans ce rang, nous n'allèguerons ici que ce grand homme; et cela d'autant plus que les paroles que nous avons à en produire se trouvent, comme les précédentes, à la tête de son livre II de la Nature des dieux. Voici ce qu'il y dit: Perdifficilis... et perobscura quæstio est de natura deorum ; quæ ad agnitionem animi pulcherrima est, et ad moderandam religionem necessaria. De qua tam variæ sunt doctissimorum hominum, tamque discrepantes sententiæ, ut magno argumento esse debeat, causam, id est, principium philosophiæ, esse scientiam, prudenterque academicos d rebus incertis assensionem cohibuisse. C'est-à-dire : « C'est une question bien difficile et bien obscure que celle qui regarde la nature des dieux, quoiqu'il n'y en at point de plus belle pour éclairer l'esprit ni de plus nécessaire pour régler la religion. Mais les sentiments des plus savants hommes sont là-dessus si divers et si peu d'accord, que cela nous prouve que cet objet, qui sert de principe à la philosophie, est encore à savoir, et que les académiciens ont grande raison de suspendre leur entière détermination sur des choses incertaines.› On sait qu'il parle des membres de la nouvelle académie, et l'on voit qu'il met au nombre des choses incertaines celles qui regardaient la nature divine. Voyez aussi ce que le même Cicéron dit vers la fin de son livre des Questions académiques, que Socrate, Démocrite, Anaxagore, Empedocle, et presque tous les anciens ont dit que l'on ne pouvait rien connaître, rien comprendre, rien savoir. Quæ ad confessionem ignorationis adduxerunt Socratem, Democritum, Anaxagoram, Empedoclem, omnesque pene veteres, qui nihil cognosci, nihil percipi, nihil sciri posse dixerunt. Note du trad.

(2) Je ne sais d'où M. Burnet a tiré cet aveu de Socrate sur la nature divine en particulier. Le prédicateur ayant presque partout la mauvaise coutume, ou de ne point citer ses auteurs, ou de n'en point indiquer les endroits, je n'ai pu vérifier ce qu'il dit ici, quoique j'aie consulté Platon, Cicéron, Xénophon et Diogène Laerce. Tout ce que je trouve dans le premier et dans le dernier, c'est que Socrate faisait une profession générale εἰδέναι μὲν μηδὲν, πλὴν αὐτὸ τοῦτο εἰδέ vac, qu'il ne savait rien que cela seul, qu'il ne savait rien. Note du trad.

(3) La complaisance que les philosophes eurent, ou par politique, ou par habitude, ou peut-être même par religion, de se conformer aux superstitions populaires, ne peut être mieux démontrée que par l'exemple de Socrate, de tous vraisemblablement le plus éclairé, et certainement le plus vertueux. Prenez garde à ce que Xénophon lui fait dire dans son Apologie: Tevra

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